Abandon de famille, non-scolarisation, maltraitances... L'Association d'Aide Pénale, un organisme socio-judiciaire, reçoit des parents condamnés par la justice à suivre un stage de responsabilité parentale. Écoute, échanges, et rappel des droits et devoirs parentaux... Des pères et des mères ont accepté de témoigner.
Au début, quand il est arrivé là, il pleurait. Il disait : je suis en train de tout foutre en l'air et je ne sais pas comment c'est arrivé. Il y avait chez lui trop de souffrance. Et on s'est mis à en parler". Ce matin, dans l'un des box de l'AAP, l'Association d'Aide Pénale, un organisme socio-judiciaire parisien, Chantal, bénévole, ex-directrice d'école, s'entretient à nouveau avec Philippe (prénom d'emprunt), la cinquantaine, père d'une adolescente de 17 ans.
Sa souffrance est toujours palpable, mais du "chemin a été fait depuis ce qui s'est passé avec ma fille" s'accorde à dire Philippe. "Je lui ai arraché son téléphone, elle passait à peu près toutes ses nuits sur son téléphone. Ma fille est tombée par terre. À l'école, elle a tout raconté à une copine. Un surveillant a tout entendu. Il a fait un signalement. La machine judiciaire s'est emballée. Je me suis retrouvé en garde à vue", résume dans un souffle Philippe. "Ça fait bien peur, ça fait réfléchir !", se rappelle-t-il.
Poursuivi pour fait de violence, ce père de famille a été condamné à effectuer ce stage. Dans le cadre d'une peine alternative : trois séances d'entretien individuel et une séance collective en présence d'autres parents. "Le but de ce stage, c'est d'amener les gens à réfléchir sur ce qui s'est passé, de se poser des questions. Il ne s'agit de pas rentrer dans leurs vies. Mais de les aider à trouver un chemin ( ..) inviter Philippe à restaurer le dialogue avec sa fille", développe Chantal.
Un travail d'écoute
"La base de notre travail n'est pas forcément de travailler sur les faits, mais plutôt sur ce que la personne va nous dire de sa situation et ça passe d'abord par une écoute bienveillante, puis par un rappel à leurs obligations en tant que parents", explique Anne-Isabelle de Prin, directrice de l'association. Dans l'équipe de bénévoles,"on a des profs, des psychologues, des directrices d'école, des médecins", détaille-t-elle. L'AAP est "composée d’équipes mixtes : éducateurs spécialisés, travailleurs sociaux, intervenants socio-judiciaires, représentants de la société civile actifs ou retraités".
Nous ne sommes pas juges, pas avocats, pas policiers, pas psy. Les bénévoles reçoivent, sur ordonnance du parquet, les parents pour les écouter.
Marie-Anne Le Moine, présidente de l'association.
Analyser les carences de l'autorité parentale
L'association accompagne 170 parents chaque année. Une très grande majorité de stagiaires vient à l'AAP dans le cadre d'une peine alternative, sans inscription au casier judiciaire. Ces sessions sont, pour une partie d'entre elles, payantes : 280 euros.
"Notre activité a explosé en trois ans, on a multiplié par trois notre activité. Les magistrats favorisent les stages alternatifs", selon Anne-Isabelle de Prin, directrice de l'association.
Les parents stagiaires ne pas tous forcément coupables de violences sur leurs enfants, précise Marie-Anne Le Moine. Dans les cas de peines alternatives,"nous recevons des parents quand y a trop d'absentéisme à l'école, pour une négligence de surveillance. Quand, par exemple, l'enfant est laissé seul dans la voiture et chez lui, sans surveillance pendant les courses. Ça peut être aussi un devoir de garde qui n'est pas respecté, l'enfant est dans la rue alors qu'il devrait être chez lui", détaille la présidente de l'APP.
Il y a aussi des parents qui "ont été condamnés pour des faits de violences plus lourds, soit à une peine principale à suivre ce stage de responsabilité parentale ou en peine complémentaire et là, il y a inscription sur le casier judiciaire", poursuit la présidente de l'association.
Un rappel des droits et devoirs parentaux
Des photos et dessins de parents, de familles, d'enfants sont dispersés sur la table. Cet après-midi, en séance collective, des pères, des mères, des couples présents, doivent sélectionner deux illustrations, les présenter au groupe et argumenter leur choix. La séance oscille d'abord entre écoute attentive et larmes. Deux bénévoles animent ce groupe de parole et la question de l'affirmation de l'autorité parentale émerge rapidement dans les échanges.
On ne veut pas leur faire oublier qu'on est dans une mesure judiciaire.
Une bénévole
"Je n'arrive plus à me faire obéir de mes ados", déplore ce père de famille qui travaille la nuit. "Mais comment faire quand les enfants n'écoutent plus, quand dehors, les enfants font ce qu'ils veulent", répond cet autre qui témoigne de son désarroi. "Je ne sais plus quoi faire pour mes enfants qui sont tout le temps sur leur portable", s'émeut cette mère de famille.
"Certains parents ne savent plus comment faire pour affirmer leur autorité. Ils ont l'impression que la loi les a dépossédés de leur autorité. Taper - sur leur enfant - est quelques fois pour eux une manière d'affirmer leur autorité. Et ne pouvant plus le faire à cause de la loi, ils se sentent du coup démunis, ils ne savent plus comment s'y prendre", témoigne cette bénévole, animatrice de la séance. "On entend des parents dire 'pourquoi on ne pourrait pas taper sur les enfants pour les élever, moi, j'ai bien reçu des roustes et ça m'a jamais fait de mal'", relate cette bénévole de l'AAP.
Une quinzaine de parents participe cet après-midi à cette réunion collective. Au bout de deux heures et demie d'échanges, la séance se solde par un rappel des obligations juridiques, économiques, sociales et morales dans l'intérêt de l'enfant.
Les participants sont invités à définir ce que sont les droits et devoirs des parents."On n'est pas dans un simple groupe de parole sur la parentalité. Il y a des fautes qui ont été commises. Il faut les sensibiliser. Parfois les parents ne reconnaissent pas leurs fautes", précise une animatrice de la séance. "C'est important de rappeler leurs obligations, comme, celle de scolariser leurs enfants, de leur dire qu'ils risquent sinon une forte amende. Un jour, ça va leur tomber dessus et ils vont se demander pourquoi ?", insiste une autre animatrice bénévole du groupe de parole.
Questionner la violence
"Le principe de notre travail, c'est de questionner la posture de ces parents, de leur donner des outils pour qu'ils puissent faire un pas de côté pour pouvoir échanger avec leurs enfants (...) Mais tous les parents ne sont prêts à faire un pas de côté !", analyse Wassim El Gelli, responsable du pôle famille à l'AAP.
Sociologue de formation, Wassim El Gelli organise tous les vendredis des groupes d'échanges destinés à des parents volontaires qui ont besoin d'un soutien dans leur pratique éducative. Pour le responsable du pôle famille, il faut expliquer aux parents que la violence ne conduit pas à asseoir l'autorité.
"La domination de l'adulte sur l'enfant, elle est inscrite dans l'histoire de l'Humanité" ( ...) et la question de la violence dans l'éducation a été posée de façon récente", selon Wassim El Gelli. Les lois sur la protection de l'enfance ont été créées dans un passé proche, rappelle-t-il. Par exemple, "la loi d'interdiction de la fessée, elle date de 2010, la protection de l'enfance, c'est une question qui existe depuis peu."
Un besoin d'autres espaces de paroles
Outre l'organisation de stage de responsabilité parentale, l'AAP conduit différentes missions en lien avec l'appareil judiciaire : la réparation pénale des mineurs ou la médiation pénale dans le cadre de conflits infra-familiaux.
L'association ambitionne aujourd'hui de créer d'autres espaces de paroles à destination de parents qui se sentent démunis, des groupes d'échanges sur des problématiques telles que l'addiction aux écrans, aux réseaux sociaux, sur certaines pathologies dont sont atteints les enfants… Reste que pour développer ces activités, l'AAP qui recherche des bénévoles, est "peu connue" et "fragile financièrement", regrette Anne-Isabelle de Prin.
Pour la directrice de l'association, la justice, avec ces stages de responsabilité parentale imposés aux parents condamnés pour des carences éducatives, est une première réponse, mais elle mériterait d'être développée pour être encore plus prise en compte.
"Moi, je voudrais qu'on revienne à l'origine même des stages, c'est-à-dire qu'à partir du moment où un jeune commence à aller dans la rue et à devenir primo délinquant, c'est peut-être qu'il y a là, un signe que les parents sont en difficulté", ajoute-t-elle.
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