Paris a beau limiter l'exposition de ses habitants aux ondes grâce à une charte unique en France, elle n'échappe pas à la course effrénée des opérateurs vers la 4G, au grand dam d'associations de riverains et des écologistes.
A elle seule, la capitale concentre plus de 13% du réseau 4G français, technologie mobile très haut débit en plein déploiement dans l'Hexagone. Début décembre, l'Agence nationale des fréquences (ANFR) avait autorisé l'installation de 1.866 émetteurs nouvelle génération dans Paris intra-muros, dont 1.154 déjà en service.
"C'est la course entre les opérateurs. Le développement de la 3G s'était étalé sur plusieurs années. Cette fois, il y a eu un vrai boom avec l'arrivée de la 4G et la concurrence provoquée par Free", raconte Agnès Pezzana de l'Agence d'écologie urbaine, rattachée à la mairie.
Son service a vu passer "plus de 1.300" demandes d'implantations ou de conversions d'antennes en 2013. Un casse-tête pour la Ville, qui s'est engagée à favoriser les implantations et à répondre sous quatre mois à toute demande des opérateurs. Nombre d'édiles avalisent les demandes. Mais en cas d'avis défavorable de la mairie d'arrondissement, les dossiers sont renvoyés en Commission de concertation de la téléphonie mobile. Cette "CCTM" réunit opérateurs, associations, mairies centrale et d'arrondissements.
Concertation en panne
"C'est de la démocratie participative à deux balles : on vous fait croire qu'on prend les avis en compte et on s'assoit dessus", s'offusque Etienne Cendrier, porte-parole de Robin des toits.
Cet été, plusieurs associations - Robin des toits, Priartem et Agir pour l'environnement - ont claqué la porte de la commission. Début juillet, elle devait se prononcer sur une centaine de demandes. Temps pour chaque dossier : "environ deux minutes", s'indigne encore Etienne Cendrier.
"La CCTM ne fait pas vraiment de concertation mais est plutôt devenue une chambre d'enregistrement. (...) Tout est fait dans la précipitation", confirme Jean-Jacques Anding, de l'organisation de consommateurs CLCV, dernière association à siéger. "On est sur un rythme intensif mais pas impossible", rétorque Mao Peninou, adjoint au maire chargé des antennes relais et président de la commission. Environ 20% des dossiers examinés sont reportés, explique l'élu socialiste.
Charte réellement protectrice ?
Les antennes parisiennes doivent respecter un plafond d'exposition de 5 volts/mètre pour la 2G/3G et 7 V/m pour la 4G, huit fois plus bas que les normes nationales. Pour imposer cette charte présentée comme "la plus protectrice d'Europe", la Ville a utilisé comme arme de négociation l'accès aux toits municipaux, indispensable aux opérateurs pour étoffer leur couverture.
"Ce n'est pas le Nirvana (...), mais c'est la meilleure charte possible étant donné le rapport de force", se défend Mao Peninou, qui a mené la négociation. Selon lui, les opérateurs s'améliorent, après avoir longtemps joué au chat et à la souris avec la Ville. "La charte n'est pas très contraignante pour les opérateurs. Ils n'ont pas vraiment besoin de la violer, la mairie se couche pour eux", conteste Pascal Julien (EELV), adjoint au maire du 18ème arrondissement.
Le quartier fait partie des arrondissements frondeurs et rend une grande majorité d'avis défavorables, comme le 12ème et le 14ème. Le problème majeur reste que "le président de la commission finit par prendre une décision qui est basée sur les seuls seuils d'exposition de la charte. L'opposition des riverains ou la présence d'établissements sensibles (hôpitaux, écoles, crèches, ndlr) ne rentre pas en ligne de compte", note Laurent Touzet, adjoint PS au maire du 12ème.
Crèches exposées
Certains habitants sont donc inquiets ou en colère. Dans le 19ème, le collectif Bellevue a forcé Bouygues à couper la 4G sur une de ses antennes cet automne. L'émetteur, dressé rue de Bellevue, surplombe une crèche agréée par la Ville, une trentaine de mètres plus loin.
Malgré l'obligation prévue par la charte, l'opérateur n'avait jamais mentionné cet établissement sensible dans sa demande d'implantation. Un oubli également passé inaperçu à l'ANFR et à la mairie. "Toutes les crèches associatives sont passées à la trappe car elles n'étaient pas répertoriées comme des établissements sensibles. (...) Qu'est-ce que ça va donner dans 40 ans pour la santé de nos enfants ?", s'inquiète Elise Provost, la jeune maman aux commandes du collectif.
Rue Jean Cottin, dans le 18ème, le collectif Alliance pour l'annulation de trois antennes relais (Apatar) est allé jusqu'au blocage, pour empêcher Free d'installer son antenne au-dessus de deux écoles. "On a fait comprendre aux ouvriers qu'ils ne passeraient jamais", raconte Natacha Jankowski, porte-parole d'Apatar.
Le collectif reste sur ses gardes. Après que Free a accepté de respecter la charte, les sous-traitants ont tenté de revenir en douce avant la délivrance d'une nouvelle autorisation, rappelle-t-elle. En réunion avec les habitants, l'opérateur a également présenté un plan d'urbanisme erroné, où une école apparaissait plus basse (et donc plus éloignée d'une antenne voisine) qu'en réalité.
Des cas loin d'être des exceptions, regrette-t-on en mairies d'arrondissements. "Les erreurs et les comportements limites concernent tous les opérateurs. (...) On est parfois obligés de taper du poing sur la table", soupire Laurent Touzet. Faute de moyens, l'information des riverains par les mairies sur les antennes reste limitée. Les locataires d'immeubles des bailleurs sociaux sont les plus mals lotis, car les opérateurs ne négocient qu'avec le propriétaire.
Une nouvelle loi ?
Les opérateurs récusent tout passage en force : Orange, SFR, Bouygues et Free assurent tous "respecter la charte". "S'il y avait eu une infraction, la Ville
de Paris nous aurait envoyé un rappel à l'ordre", remarque la Fédération française des télécoms. Les inquiétudes des Parisiens sont "injustifiées", selon elle. Les taux d'exposition des antennes relais prévus par le décret de 2002 sont validés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).
Le dernier rapport de l'Anses, l'agence nationale dédiée à la sécurité sanitaire, reconnaît que les ondes électromagnétiques peuvent provoquer des modifications biologiques sur le corps, mais estime que les études scientifiques n'ont pas démontré "d'effet avéré" sur la santé. "La communauté scientifique reste divisée, il n'y a donc pas de consensus qui permette de parler de risques avérés. (...) Mais il y a assez de signaux pour qu'on prenne des précautions", décrypte Janine Le Calvez, présidente de l'association Priartem.
Les associations spécialisées militent en faveur d'un seuil d'exposition abaissé à 0,6 V/m. Paradoxe : à même qualité de service, cela impliquerait de tripler le nombre d'antennes existantes, selon une expérimentation remise au gouvernement. Avoir plus d'antennes, moins puissantes, permettrait aux portables, dont les ondes sont classées cancérigènes par l'OMS, "d'émettre moins fort" pour capter, explique Jean-Luc Vuillemin, chez Orange. Mais le directeur des réseaux de l'opérateur ne croit pas à cette alternative.
"Nous avons les moyens d'investir plus, mais soyons clairs : l'acceptabilité sociétale des antennes reste relativement faible", fait-il valoir, et "implanter une antenne reste un processus long et difficile". "C'est à l'Etat de prendre ses responsabilités et de changer la législation, ou alors de donner une vraie compétence aux maires", juge Celia Blauel (EELV), adjointe au maire du 14ème arrondissement.
Fin janvier, les députés EELV soumettront à l'Assemblée nationale une proposition de loi, suite au rejet d'un précédent texte. Objectif : suivre l'exemple parisien, malgré ses limites, pour favoriser la concertation et modérer l'exposition dans tout l'Hexagone.