TEMOIGNAGES. Accidents mortels à la RATP, un sujet tabou chez les conducteurs de RER et de métro

À la RATP, les conducteurs de métro ou RER n'aiment pas aborder le sujet de peur de se porter la poisse. État de choc, dépression, inaptitude à reprendre le travail, leur quotidien devient souvent difficile après ce qu'ils appellent un AGP, un accident grave de personne. Comment sont-ils accompagnés dans ces moments-là ? Reçoivent-ils une formation pour les préparer ? Réponses.

Depuis plusieurs semaines, les accidents mortels se multiplient sur le réseau de la RATP. Le 15 avril dernier, une jeune adolescente de 14 ans perdait la vie à la station Cité Universitaire, après avoir chuté sur le quai du RER B. Samedi 22 avril dernier, une quadragénaire est morte sur la ligne 6 du métro, après que sa veste est restée coincée entre les portes, la happant sur les voies. Ce jeudi, peu après minuit, un couple alcoolisé est également décédé après être descendu volontairement sur les voies de la ligne 13, à la station Gaîté. Ils ont été percutés par une rame de métro.

Lorsque ces accidents graves surviennent, la RATP déclenche systématiquement une cellule d'aide aux victimes, pour les témoins mais aussi pour les agents. Mais comment sont-ils réellement accompagnés ? Cette aide est-elle suffisante ? Nous avons posé la question à deux d'entre eux.

Cinq séances avec un psychologue en tout et pour tout 

 

Yannick Stec est conducteur sur la ligne du RER B, il est délégué CGT RATP RER. Rentré à la RATP en 1995, il est devenu conducteur en 2001, il raconte : 

"On sait que ça fait partie des risques du métier, mais en termes d'accompagnement, nous n'avons pas grand-chose. L'accompagnement se fait avec cinq séances chez un psychologue dans un cabinet privé, qui sont prises en charge par l'employeur. Mais par la suite les collègues ont souvent des arrêts prolongés, ou ils sont déclarés inaptes. Après, il n'y a rien de prévu pour eux. Pas de groupe de discussion, aucun échange. Beaucoup s'en plaignent d'ailleurs." 

Les accidents graves sont redoutés, certains voient vraiment la personne sur les voies et ils ne peuvent rien faire, ils sont impuissants

Yannick Stec, conducteur RER B

"Durant notre stage de formation, nous avons une journée dédiée à la prévention des risques avec un petit focus sur les accidents graves voyageurs. On nous dit que oui ça peut être un gros choc, mais on ne nous en dit pas plus. Il n'y a pas de prise de conscience de la RATP, même si d'un point de vue juridique nous sommes pris en charge. On sait que la direction va tenter de mettre quelque chose en place, mais pour l'instant les organisations syndicales n'ont pas été conviées, il n'y a rien."

"Les accidents graves sont redoutés, certains voient vraiment la personne sur les voies et ils ne peuvent rien faire, ils sont impuissants. Aujourd'hui nous demandons un meilleur suivi psychologique, une meilleure aide, mais aussi un accompagnement qui sécurise les carrières des collègues lorsqu'ils ne peuvent plus exercer."

"Il y a un sentiment d'impuissance terrible"

Pour Christophe Cabos, délégué à la CGT métro, l'accompagnement par la RATP est également à repenser :

"Nous ne sommes pas pris en charge totalement. Je pense que la RATP devrait mettre en place une équipe dédiée à cet accompagnement. Car lorsqu'un accident grave à personne survient, ce n'est pas nécessairement un suicide. Il y a aussi des accidents, comme ce qui s'est passé récemment sur la ligne 6."

"Cet accident est une tragédie pour la famille de la victime, mais également pour le conducteur qui est aujourd'hui en arrêt, tout comme sa femme qui est également conductrice de train, car ce sont des choses qui impactent aussi l'entourage. J'ai un collègue qui a eu deux accidents mortels, il s'est fait interner en maison de repos à la suite du deuxième."

"Il y a un sentiment d'impuissance terrible lorsqu'on voit qu'une personne est tombée sur la voie et que nous arrivons avec une vitesse de 30,40 ou 50 km/h et une inertie du train qui est de plusieurs tonnes. Pour ces cas-là, il faudrait un meilleur accompagnement."

On nous dit que ça peut être un gros choc, mais on ne nous en dit pas plus

Christophe Cabos, conducteur de métro

Pour ce conducteur de métro, plusieurs mesures de prévention sont à mettre en place : 

"Nous n'avons pas de formation à ce sujet. Peut-être parce que nos formateurs eux-mêmes n'ont pas reçu d'indications pour aborder ce sujet avec pédagogie, et puis on espère toujours que ça n'arrive pas. On nous dit que ça peut être un gros choc, mais on ne nous en dit pas plus."

Si on pense aux solutions techniques pour éviter ces AGP, il faut savoir qu'un conducteur qui met son train en mouvement doit avoir deux contrôles. Il entend un premier "ding" qui lui indique que les portes sont fermées. Et un deuxième contrôle lumineux, qu'on appelle le maintien de fermeture, c'est une boucle qui vérifie que les portes sont bien fermées.

Ce n'est donc pas logique qu'une main ou qu'une veste reste coincée dans une porte et que nous recevions les deux contrôles nous indiquant qu'il n'y a pas de problème. Sachant qu'une fois la mise en marche du train, le conducteur n'a plus de visibilité sur le quai. Est-ce qu'il faut installer des portes palières à toutes les stations pour éviter cela ? Je n'en sais rien… Il faudrait peut-être aussi faire un rappel de communication pour dire qu'au moment du silence sonore, on ne doit pas courir, accélérer pour descendre ou monter du train, qu'il ne faut pas tenter de tenir les portes etc."

De son côté, la direction de la RATP rappelle qu'en 2022, il n'y a eu aucun accident mortel sauf actes volontaires.

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