Ancien collaborateur de "Métal hurlant", Frank Margerin, 67 ans, est un demi-dieu de la BD. Il nous a ouvert les portes de sa maison dans le quinzième arrondissement de Paris pour revenir sur son parcours, nous montrer sa myriade de collections et, pourquoi pas, nous dédicacer quelques BD.
Tu peux te présenter et nous dire où on est ?
Frank Margerin : Je suis auteur de bande dessinée. J’ai commencé en 1976 dans le journal Métal hurlant. On est chez moi, c’est à la fois un atelier, un musée... Et surtout, un endroit où il y a beaucoup de bordel [rire].
Raconte-nous ton enfance. C’est là que tu t’es mis à dessiner ?
Frank Margerin : J’ai eu une enfance assez cool, j’ai grandi avec un frère et une sœur dans un HLM de la porte d’Asnières. Mon père est parti quand j’avais trois ans mais on le voyait assez régulièrement, il était artiste peintre. Ma mère, sans être une professionnelle du dessin, avait aussi un excellent coup de patte. Elle nous a sans doute aussi donné la passion du dessin – je dis « nous » parce que mon frère et ma soeur dessinaient aussi. C’était une enfance heureuse. Quand je ne sortais pas, je dessinais.
Comment est né ton personnage phare, Lucien ?
Frank Margerin : Lucien est né dans un numéro spécial rock de Métal hurlant, qui était à l’origine un journal de science-fiction. À son arrivée au magazine, Philippe Manoeuvre avait insufflé un courant rock n’roll, et il a eu l’idée de créer un numéro spécial sur le thème du rock. J’ai dessiné la bande de Lucien et de ses potes et j’ai raconté une histoire de répétitions de concert, tout bêtement à cause du thème du numéro. Si ça avait été un numéro spécial pâtisserie, j’aurais créé une bande de pâtissiers.
Tu voulais en faire une série de BD ?
Frank Margerin : Ça devait être un one shot, cette bande n’avait pas vocation à revenir. Mais j’ai eu un déclic, j’avais l’impression d’enfin raconter des histoires qui me touchaient, qui me parlaient. J’ai eu envie de recommencer, et j’ai demandé à Jean-Pierre Dionnet si je pouvais ramener mes petits rockeurs pour remplacer une série en fin de cycle, il m’a dit « pas de problème ». D’ailleurs, le personnage de Lucien s’est imposé au fur et à mesure, il n’était pas le héros au départ. Ça me plaisait beaucoup d’avoir enfin un héros, avant ça je n'en avais pas puisque je changeais de personnages à chaque histoire.
Tu as conscience que le personnage de Lucien est une icône de la BD ?
Frank Margerin : Je ne sais pas si Lucien est une icône. On me le dit, mais à mes yeux j’ai simplement créé un personnage que j’aime bien et auquel je suis attaché. Je suis heureux de savoir que beaucoup de gens l’aiment. Lucien, à force de le dessiner, c’est presque devenu un pote à moi. Quand je
redessine sa bande, je retrouve des copains et je prends toujours autant de plaisir. Ça fait sept ans que je n’ai pas fait de Lucien, et il commence à me manquer.
Tu veux recommencer à dessiner Lucien ?
Frank Margerin : Oui. Pendant quelques années, j’ai dessiné un nouveau personnage qui s’appelait Momo le coursier, puis j’ai fait une bande dessinée sur mes copains Shirley et Dino. Quand j’ai commencé à reprendre Lucien, ça faisait huit ans que je n’y avais pas touché et j’aurais eu le sentiment de régresser si je ne le faisais pas évoluer. Je me suis dit que si Lucien avait mon âge, il aurait des enfants, il aurait pris un peu de ventre et ses cheveux seraient blancs. Là, j’avais quelque chose à raconter, comme le décalage entre un Lucien un peu largué et des personnages plus jeunes, rodés aux nouvelles technologies. Alors Lucien est revenu avec trente ans et trente kilos de plus. Je lui ai quand même laissé sa banane, que j’ai blanchie : j’ai fait des essais chauves, mais c’était horrible, je n’ai pas pu m’y résoudre. J’ai tenté la moustache, aussi. Pas terrible.
Tu as dessiné combien d’albums de Lucien ?
Frank Margerin : Aujourd’hui, j’ai fait onze albums de Lucien. Je pense en faire un douzième dans le courant de l’année qui vient.
Sur cette guitare, on voit un dessin de Lucien avec un autre personnage. Tu peux nous en parler ?
Frank Margerin : Un ami a un jour eu l’idée d’imprimer un dessin de Lucien et du chanteur Renaud sur une guitare. C’était une pièce unique, et comme il trouvait l’idée sympa, on en a fait une petite série signée par Renaud et moi-même. J’en garde un exemplaire chez moi.
Tu connais Renaud ?
Frank Margerin : Oui, c’est un pote. Et je suis surtout un grand fan.
Tu peux nous montrer où tu bosses ?
Frank Margerin : Voici mon atelier, c’est ici que je travaille. À l’origine, j’avais un bureau immense mais à force d’accumuler des objets, je n’ai plus qu'un petit espace de libre. J’essaie de me frayer un passage pour pouvoir dessiner. Allez, donne-moi tes BD, je vais te dessiner un petit Lulu enthousiaste.
Tu le dessines par cœur, là ?
Frank Margerin : Les yeux fermés. Je le dessine le doigt en l’air, et je lui fais dire « yeah ! », comme tous les rockeurs. Je rajoute un peu de cirage, et hop ! Je suis le Lucky Luke de la dédicace.
Tes projets à venir ?
Frank Margerin : En premier lieu, je vais refaire un Lucien, vu que je n’en ai pas fait depuis sept ou huit ans à cause de la série de BD Je veux une Harley, sur laquelle j’ai beaucoup travaillé. J’ai pas mal de choses à raconter. Je voudrais aussi parler de l’EHPAD - pas pour Lucien, à soixante ans il est encore trop jeune. Mais c’est un sujet que j’ai découvert avec ma mère, et même si ce n’est pas très drôle, je veux trouver un moyen de rigoler avec.
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