Le photographe Dimitri Tolstoï a visité une trentaine d'entreprises industrielles implantées dans cinq régions. Ses photos sont exposées sur les grilles de la gare de l'Est et dans un hall de la gare Montparnasse.
Des photographies du parisien Dimitri Tolstoï sont exposées tout le mois de mars sur les grilles de la gare de l'Est. Là même où, chaque jour, des milliers d'exilés arrivent d'Ukraine, principalement des femmes et des enfants qui fuient leur pays en guerre.
Ce projet photographique n'est pas en lien avec cette actualité tragique mais difficile de ne pas aborder l'actualité avec l'arrière-petit-fils du romancier Léon Tolstoï, auteur de Guerre et Paix. "Je trouve que c'est un gâchis d'une tristesse infinie quand on voit ce qui se passe en Ukraine. Ce sont des frères. La Grande Russie est née à Kiev entre le 9e et 10e siècle", nous déclare Dimitri Tolstoï lors de l'entretien qu'il nous a accordé pour évoquer son projet photographique.
Une immersion dans la France industrielle
A travers le programme "Territoires d'industrie", l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) lui a demandé de documenter les entreprises françaises. "On m'a donné carte blanche pour aller justement photographier des sites industriels en activité, pour montrer où notre industrie française en était, à quel point elle est florissante. J'ai appris des choses incroyables sur notre industrie, que je ne connaissais pas du tout. J'étais émerveillé par tout ce que j'ai vu, les personnes avec qui j'ai parlé, leur savoir-faire, leur humilité, leur satisfaction de montrer ce qu'ils savaient faire. Et ils étaient vraiment très heureux qu'un photographe vienne pour qu'on parle de leur industrie et de leur savoir-faire."
Les territoires d'industrie s'exposent à Paris
Cinq régions et une trentaine de sites industriels ont été sélectionnés : l’ensemble Lacq-Pau-Tarbes, entre Nouvelle Aquitaine et Occitanie ; le Nord-Franche-Comté, en Bourgogne-Franche-Comté ; Saint-Nazaire Cordemais, dans les Pays de la Loire ; la Vallée de l’Huisne, entre le Centre Val-de-Loire, la Normandie et les Pays de la Loire ; les Vosges, en Grand Est.
Fin 2021, pendant près d'un mois, il est parti de la gare de l'Est et de la gare Montparnasse pour sa mission. C'est dans ces deux gares que l'on peut apprécier son travail jusqu'à la fin du mois de mars. Le trafic passager est tel que pour cette exposition ce sont 12 millions de visiteurs potentiels attendus sur un mois.
Mes images je l’espère, vous feront voyager à travers notre belle industrie française.
Dimitri Tolstoï, photographe
A la gare Montparnasse le photographe s'arrête devant un cliché intrigant qui renvoie à l'imaginaire de Star Wars.
"Là, nous pouvons voir le stockage des pales d'éoliennes qui mesurent 75 mètres chacune. Mon imagination, notre rêve de gamin ; on a vu des armées, des têtes un peu bizarres, comme des espèces de robots et c'est ce qui m'a fasciné. Et c'est un endroit qui est vraiment magique parce que c'est très graphique."
Du gigantesque chantier Saint-Nazaire ( 200 hectares ) à l'usine de papier Clairefontaine dans les Vosges, célèbre pour ses cahiers d'écolier, il nous confie :
"Ce que j'ai appris ? Premièrement je sais comment on fabrique des chaussettes, des hameçons ; comment le lard fumé est fait - avec un système incroyable où la fumée ne repart pas dans l'atmosphère et où tout est en circuit fermé. Mais aussi du nucléaire, les chantiers de l'Atlantique où on fabrique les plus grands paquebots du monde, les éoliennes qui sont déposées en pièces détachées et qui sont après livrées et assemblées dans le monde entier. J'ai beaucoup aussi appris sur l'industrie de pointe comme Alsthom et les TGV que l'on voit dans cette gare."
Tolstoï, la fougue de l'âme slave
Dimitri Tolstoï a affuté son regard de photographe au cours de sa carrière dans le monde de la publicité, un travail plusieurs fois primé. Le photographe s'est également fait connaitre par ses expositions sur la renaissance de la mode de la barbe chez les hommes ("Les barbes de Tolstoï") et sur la piscine Molitor, avant sa transformation en complexe aquatique et hôtelier luxueux, quand elle était couverte de graffitis.
Arrière petit-fils de l'écrivain Russe
Son nom de famille résonne aussi pour les amateurs de littérature. Issu d’une famille aristocratique russe, Dimitri Tolstoï découvre très tôt sa vocation de photographe. Son arrière grand-père est le célèbre écrivain russe Léon Tolstoï, l'auteur de Guerre et Paix. Ce que l'on sait moins c'est que l'épouse de l'écrivain était photographe. "Sofia Tolstoï a appris la photo avec un maître d'origine grecque quand elle était jeune. D'ailleurs dans la propriété d’Yasnaïa Poliana (là où son mari a écrit Guerre et Paix ainsi que Anna Karénine) il y a toujours sa petite chambre noire avec laquelle elle faisait des photos, beaucoup de photos de famille. Ce qui est étonnant c'est qu'on on la voit sur cette photo avec une partie de ses 13 enfants, une photo qu'elle a signée. C'est donc un des tout premiers selfies modernes de l'époque. Tolstoï faisait aussi ses propres selfies."
Stature haute, oeil vif et barbe poivre et sel, en nous présentant les clichés noir et blanc de sa famille, un souvenir lui revient. Agé à l'époque d'une vingtaine d'années, il s'était rendu dans la maison du grand homme, devenue un musée, à coté de Moscou, là-même où il écrivit plus d'une centaine d'œuvres. Le musée-domaine “Yasnaïa Poliana” a fêté ses cent ans en 2021. La personne a l'accueil s'est écrié : " Léon Tolstoï est vivant !" Les yeux et le haut du visage de ce jeune homme devant elle, ce serait le portrait craché de son aïeul.
Même s'ils descendent de l'écrivain, les Tolstoï ont dû fuir la Russie après la victoire bolchevique en 1919. Dimitri Tolstoï raconte au Figaro en 2018 : « Ils n'avaient pas le choix. S'ils ne partaient pas, c'était la mort assurée. Tous ces exilés étaient l'élite de la Russie. Je suis d'ailleurs moi-même comte ! Ce déracinement a été très difficile pour eux. La famine et la pauvreté. Pour payer ses études de médecine en France, mon père a même été porteur de bagages à la gare de Lyon. Mais comme disait mon trisaïeul, les années qui restent à vivre sont plus importantes que celles que l'on a vécues. »
Aujourd'hui, Dimitri Tolstoï a repris la direction de l'association Les Amis de Léon Tolstoï, fondée par son père. Il a encore de la famille en Russie et compte aussi beaucoup d'amis dans la communauté ukrainienne. Pendant la première décennie des années 2000, il ne cache pas son soutien à Vladimir Poutine. Il considère alors, comme beaucoup, que l'ancien directeur du renseignement russe, le FSB, a su redresser l'économie du pays, rétablir l'autorité de l'Etat et surtout restaurer la grandeur de la Russie. Ses premiers doutes sont apparus suite à la guerre menée en Géorgie en 2008, puis à l'annexion de la Crimée et la déstabilisation du Donbass en 2014. Et aujourd'hui, avec la soudaine brutalité de la guerre en Ukraine, il prend ses distances avec les ambitions impérialistes de l'autocrate.
Aussi, quand nous lui demandons, devant la gare de l'Est, si, comme pour tant d'autres artistes russes, c'est devenu difficile de travailler depuis le début de cette invasion ou s'il redoute d'être boycotter, il précise : "Pour moi cela ne change strictement rien ; je pense que le nom que je porte m'aide énormément. Mon cher arrière-grand-père était beaucoup plus pour la paix que pour la guerre. Il l'a montré dans ses écrits, même si cela s'appelle Guerre et Paix. En tant qu'humaniste il a toujours prôné la non-violence. D'ailleurs à la fin de sa vie, Gandhi et lui étaient en correspondance. Selon moi, durant le dernier siècle, avec Martin Luther King et Nelson Mandela, ils sont les quatre à avoir toujours mis en avant la non-violence face à la violence. Et nous, au 21ème siècle, nous retournons dans la violence …"