Fin observateur, Christophe Chabouté signe un nouvel album de bande dessinée. Son titre : Musée aux éditions Glénat. Le dessinateur a passé des semaines à observer les visiteurs venus admirer les nombreux chefs-d’œuvre du musée d’Orsay. Avec lui, la nuit, les peintures et les sculptures prennent vie.
Démarche de cow-boy, voix rauque de taiseux et visage buriné par les vents marins, il fait « des livres très très épais avec beaucoup beaucoup de pages parce qu’ (il) aime bien ça et parce qu’ (il) a besoin de ça. La plupart du temps en noir et blanc et souvent sans paroles ou du moins pas très causant. ». Bref à son image. « D’ailleurs, le bonhomme n’est pas très causant non plus », précise-t-il « pas souvent, quoi ! ». Christophe Chabouté compte aussi ses mots quand il s’adresse à un aréopage d’officiels. Ce jour-là, c’est le lancement de son nouveau roman graphique, Musée aux éditions Glénat, sous la nef majestueuse de l’ancienne gare d’Orsay.
De magnifiques tranches de vie saisies sur le vif
L’auteur de Landru et Yellow Cab préfère les entretiens en petit comité. L’occasion nous est donnée de lui poser quelques questions sur le propos de ce nouvel album qu’il définit ainsi : « Qui regarde qui ? Et si les rôles s'inversaient entre les “regardeurs” disent des “regardés”. »
Le Louvre je le trouvais beau, mais trop grand. Le musée d’Orsay, je le trouve à taille humaine.
Chabouté, dessinateur
Et quand on lui demande quelles œuvres “regardées” il a choisi de dessiner parmi les 150 000 environ que comptent les collections du musée, toutes techniques confondues, sa réponse fuse : « Je ne crois pas que l’on se pose la question de ce que l’on va dessiner ou croquer. On va vers ce qui nous appelle. Et c’est comme quand on regarde, je ne me demande pas ce que l’on doit regarder. Je me laisse aller vers ce que j’ai envie de voir, ce qui me fait plaisir et ce qui me fait du bien surtout. »
Et si les œuvres se mettaient à observer les visiteurs
Voici ce que nous découvrons sur l’une des planches. Un homme d’âge mûr pérore : « Substantifique, constitutif ! Dans cette toile, l’eurythmie de la pluralité chromatique. » Devant le même tableau de Monet - Les Coquelicots, une jeune femme plus sincère : « Cette douceur, ce calme, cette sérénité, on attend le doux et léger frottement de l’herbe contre les robes.»
Alors, le regard affuté, Christophe Chabouté a passé des semaines au milieu des visiteurs sur plusieurs années. Il a découvert le musée quand il était étudiant à Paris. Et pour réussir à capter ces moments, il s’est fait tout petit pour les croquer. A notre demande, il a refait un croquis d’un personnage souvent représenté à travers les pages de l’album : Œdipe à Colone, une sculpture en marbre le représentant âgé et aveugle aux côtés de la très jeune Antigone.
« Quand il y a beaucoup de monde, il faut se cacher parce qu’automatiquement quand je dessine, il y a quelqu’un qui va venir regarder par-dessus votre épaule. Certains artistes aiment bien, moi cela m’agace. Je n’aime pas que l’on voit ce que je fais. J’aime bien que l’on voit ce j’ai fait. Quand je lâche un bébé dans la nature ou qu’un bouquin sort en librairie cela me va. »
Une discrétion difficile à tenir sachant que plus de 3 millions de visiteurs ont défilé dans les salles en 2022. Il précise que ses « croquis ne sont pas de vrais dessins, ce sont juste des notes. »
Un adepte de la ligne sombre
Sous son crayon, le musée du XIXe siècle devient son “musée”. Passé maitre d’une œuvre au noir, Chabouté aime jouer avec les chefs-d’œuvre d’Orsay. Et les lieux iconiques comme la très grande horloge. « C’est un peu cliché cette pendule. Tout le monde la connait. Mais pour un dessinateur c’est du pain béni. Au niveau des ombres et des lumières, c’est royal. On peut tout faire avec ça.»
Et même faire sortir des tableaux, des personnages comme Berthe Morizot … ou encore donner vie à des statues de marbre et les tableaux de maîtres. Selon lui lorsque les portes du musée sont fermées, les œuvres s'animent, se racontent, ou commentent ce qu'elles ont pu voir ou entendre au cours de la journée. L’Olympia de Manet, lassée de passer sa vie allongée, déserte sa couche ; Les Raboteurs de parquet de Caillebotte, fatigués, délaissent les lattes du parquet...
Et une fois de plus, il choisit de nous raconter de petites histoires, celles de l’infra-ordinaire.
« A la limite dans le musée ce qui m’intéressait le plus, ce n’est pas forcément les œuvres elle-même. C’est les gens qui tournent autour, leur façon de regarder les œuvres et ce qu’ils peuvent en dire. Et donc pour le montrer, j’ai dû plus ou moins réveiller les œuvres pour qu’elles le racontent la nuit quand elles sont un peu tranquille. »
Digne héritier des maitres du noir et blanc, comme Tardi, Comés et Pratt, Chabouté limite les dialogues au minimum. Ses BD sont souvent quasi muettes et laissent une grande part à l’imaginaire. Que ce soit quand il raconte l’histoire d’un banc public à Paris - Un peu de bois et d’acier - ou quand il adapte Moby Dick d’Herman Melville. Il puise son inspiration dans de nombreux arts.
« J’essaie d’avoir les yeux ouverts, cela permet d’élargir et de pas rester sur la BD. »
La dernière fois que nous l’avions rencontré, c’était lors de l’adaptation du roman du cinéaste Benoît Cohen, devenu taxi driver dans la ville mythique de New-York : Yellow Cab - éditions Vents d’Ouest (sélectionné aux Harvey Awards, fait rare pour un album français).
Cet adepte de la ligne sombre conserve un équilibre entre puissance des ombres et délicatesse des traits. Son roman graphique donne envie retourner au musée avec un tout autre regard. Suivez le guide.