Après 20 ans comme réalisateur, Benoît Cohen ressent le besoin d’un nouveau carburant. C’est à bord d’un yellow cab new-yorkais, référence incontournable du cinéma, qu’il prend un nouveau départ. De cette incroyable expérience, il tire un livre adapté aujourd’hui en BD.
Sa couleur jaune claque sur la skyline de la grosse pomme. Même en noir et blanc, le Yellow Cab constitue une référence emblématique de l’imaginaire cinématographique de Benoît Cohen : "C’est Taxi driver avec De Niro, Scorsese. C’est Jarmusch, c’est Breakfast at Tiffany’s, The Game de Fincher, Brando dans Sur les Quais, James Cagney, Audrey Hepburn, Ben Gazzara, Benny the cab… " Pour le cinéaste, le rêve américain remonte à ses études de cinéma à l’Université de New York. De retour à Paris, il enchaîne alors différents projets avant de connaître une notoriété certaine avec son troisième long métrage Nos enfants chéris en 2003. Avec Romane Bohringer et Mathieu Demy, ce premier succès a ensuite été décliné en série télé.
Le fait d’avoir cette licence, c’est une part de ma vie. A tel point que chaque année, je la renouvelle, même si je ne pense plus tellement conduire de taxi.
Six films et deux décennies plus tard, Benoît Cohen éprouve le besoin de retourner de l'autre côté de l'Atlantique. Il s’installe alors en famille à Brooklyn. Sa compagne a coutume de vanter son sens de l’orientation : "Si un jour tu en as marre de faire des films, tu pourras toujours conduire un taxi."
Lors de son passage dans la capitale, nous avons pu le rencontrer à bord d'un taxi parisien (Reportage de D.Morel/V.Guénée/T.Guiet)
L’idée germe alors un soir dans son esprit : et si on racontait l’histoire d’un acteur français venu vivre son rêve américain, un rêve qui se transforme en cauchemar ? Il est alors obligé de devenir chauffeur de taxi. "Et si pour écrire cette histoire de l’intérieur je passais ma licence et devenais moi-même chauffeur de yellow cab ?"
Idée folle, idée formidable, qu’il va effectivement concrétiser. Sur le papier, cela paraît simple ; plus exactement, internet met en avant de nombreuses écoles spécialisées : 24 heures de cours, un examen écrit et un test anti-drogue pour un coût moyen de 500 $. En comparaison, à Paris, c’est plus compliqué : formation de 4 mois, maîtrise de la langue française requise, des réglementations locales contraignantes, une mémorisation incontournable d’adresses, une connaissances indispensable des monuments et des bâtiments publics, un cours de gestion - et bien sûr de conduite. Le tout pour environ 2 000 €.
Tout comme le réalisateur #BenoitCohen le fera des années plus tard pour écrire #yellowcab @Ed_Flammarion pic.twitter.com/XUOeCRNw5S
— arlettaz (@alinesophie) September 28, 2019
Banco : Benoît Cohen s’inscrit dans une école du fin fond du Queens, un quartier bien moins favorisé que celui où il vit. Il est le seul élève français et apparaît comme une curiosité parmi la multitude de migrants arrivés de différents pays. Rien ne va se passer comme prévu car il doit affronter le labyrinthe administratif qui mène à la licence.
"C’est compliqué, en grande partie car les permis de conduire d’autres pays ne sont pas reconnus aux Etats-Unis. Après, le problème c’est l’administration. C’est amusant et c’est ce que je raconte dans le livre : c’est pareil partout. Parfois, on dit en France : l’administration !!! Alors qu’aux États-Unis, cela a l’air plus simple, mais en fait il y a les mêmes problèmes."
Un jour, enfin, il transporte ses premiers clients.
Moi le premier jour de conduite je me suis pris trois pv quand même et le deuxième jour je me suis fait enlever ma voiture. Donc, cela commençait pas très bien. Après j’ai compris qu’il fallait faire un peu plus attention avec la police qui déteste les chauffeurs de taxi, jugés trop nombreux et mauvais conducteurs.
Après six mois de courses mouvementées, il met son projet de scénario et de film de côté et décide de raconter son odyssée dans un livre, Yellow Cab, publié chez Flammarion puis en poche aux éditions J'ai lu. Car toutes les scènes qu'il a pu imaginer à bord de son taxi se révèlent en fait bien plus étonnantes dans la réalité.
Un dictaphone fixé à côté de lui, Benoît Cohen enregistre chacune des conversations qu'il engage avec ses clients. Au final : un magasin d'anecdotes savoureuses sur 250 pages de notes. Une galerie humaine variée défile en effet sur sa banquette arrière. A la différence de Paris, à New York il y a bien davantage de taxis que de voitures particulières. Quand bien même les lignes de métro s'avèrent nombreuses et le réseau dense, les New Yorkais, qu'ils soient riches ou pauvres, dépensent facilement quelques dollars pour s'offrir un déplacement en yellow cab.
"En général, les taxis new-yorkais sont dans un moins bon état que les taxis parisiens. Ce sont des voitures qui sont sur-utilisées tout le temps. Car le principe, à part pour les gens qui ont leur propre taxi, ce qui est assez rare, c'est de louer son taxi pour une période de 12h. C’est un roulement permanent et donc ils s’usent plus."
Ce récit est aujourd’hui adapté en BD par Christophe Chabouté aux éditions Vents d'Ouest-Glénat : Yellow Cab. Le dessinateur au style immédiatement reconnaissable. Sa maîtrise du noir et blanc, son sens de la narration et son don inné pour le découpage en font sans conteste l’un des grands maîtres du 9ème art. En 2014, il était parti chassé la baleine blanche pour une adaptation remarquée de Moby Dick. Cette fois-ci, l'histoire est racontée presque entièrement à l’intérieur d’un taxi, un défi qu’il a su relever avec brio - lui qui avait dessiné un précédent huis clos, maritime dans l'album Tout seul et su faire parler un banc publique sans aucun phylactère dans un récit muet d'une grande audace Un peu de bois et d'acier. Nouveau défi : dessiner New York, une mégapole qu'il n'a jamais visitée.
Le New York que je connais, c’est le New York que je rêve ou que j’ai vu dans les films. C’est le New York que je vois dans les photos, dans la musique. C’est le New York cliché en fait.
Chabouté a dessiné cet album à distance. Pourtant aucun détail de cette ville iconique ne manque. De même, avant de se lancer dans ce projet, il a très peu rencontré Benoit Cohen. Il en a pourtant fait le héros graphique à part entière de l’album.
"L’idée d’imprimer le visage de quelqu’un pour le dessiner, c’est bien beau, mais la main ne va pas forcément où on veut. Donc il faut travailler le truc ; et l’idée, ce n’est pas forcément faire un dessin qui ressemble à Benoît, mais faire un dessin qui raconte Benoît."
A vous de juger !
Pour le cinéaste, cette échappée américaine fut aussi la recherche d'un carburant différent, lui qui a vécu et grandi pendant quarante cinq ans à Paris. "C'est vrai que pour moi le Parisien pur et dur, cela a été un choc - mais un choc vraiment positif. "C'est alors que tout arrive, comme une nouvelle promesse. "Même tant que cinéaste, même en temps que scénariste, il ya une espèce de routine qui s'installe. Et tout d'un coup, je me suis dit : je n'ai pas envie de changer de métier. Alors je vais changer de lieu pour essayer de voir si ailleurs cela se passe différemment."
Son projet de film resté inachevé existera peut-être un jour. D'ici là, le cinéaste continue d'écrire des récits personnels et, quoiqu'il arrive, conserve dans sa poche sa licence de taxi driver.
Pour feuilleter Yellow Cab de Chabouté et Benoît Cohen - éd. Glénat :
Yellow Cab