"Je nous considère comme journalistes" : qui sont les illustrateurs judiciaires derrière les procès Paty et Pelicot ?

En France, ils sont une dizaine à vivre officiellement de ce métier rare. Rencontre avec Valentin Pasquier et Elisabeth de Pourquery, crayons en main et regards affûtés.

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Ils sont une poignée discrètement installés dans les salles d'audience. Parmi eux ce midi, Valentin Pasquier assis dans le carré presse du palais de justice de Paris. Sur ces genoux, un bloc de papier à dessin. Il suit le procès de l'assassinat de Samuel Paty par un terroriste islamiste, en vue d'un documentaire. Le professeur d'Histoire au collège du Bois d'Aulne à Conflant-Sainte-Honorine (Yvelines), avait été tué le 16 octobre 2020 à la sortie de l'établissement où il enseignait. 

Concentré, le dessinateur judiciaire profite d'une matinée d'audience plus calme pour ajuster des ombres et perfectionner les détails de ses esquisses : " Là, je dessine la salle d'audience, j'ai commencé par la place qu'occupent les juges avant d'ajouter les éléments du décor. La première fois que j'ai eu l'occasion de publier un dessin d'audience, c'était en 2015 quand j'étais stagiaire dans un  quotidien régional. En 2018, alors que je réalisais tous les soirs des comptes rendus d'audiences pour ma rédaction, je publiais sur X (anciennement Twitter) les dessins que je faisais en même temps dans mon carnet. Mes employeurs ont continué à faire appel à moi mais cette fois-ci pour mes illustrations. Le bouche-à-oreille a fait le reste."

Des illustrations vendues entre 200€ et 400€

Le trentenaire a couvert des centaines de procès et compte des milliers d'illustrations à son actif. Certaines lui ont demandé quelques heures de travail, d'autres à peine quelques minutes. Très peu d'illustrateurs d'audience vivent à temps plein de cette activité.

Ils sont pour la plupart graphistes ou journalistes, comme lui : "Chacun a sa définition de ce métier pour lequel il n'existe pas de formation, pas de diplôme, pas de fédération dédiée. Certains se présentent comme croquistes ou aquarellistes. Moi, je suis dessinateur judiciaire car je nous considère comme journalistes".

Valentin Pasquier vend ses dessins entre 200€ et 400€ avec la part d'incertitude que comporte ce métier. Certains jours, il lui arrive de repartir sans avoir vendu une seule illustration, tandis que d’autres, il peut en vendre deux ou trois.

Au-delà des aspects financiers, il met en lumière un aspect particulier de son métier : "Contrairement à d'autres outils journalistiques, le dessin suscite la curiosité chez certains témoins. Ils viennent voir comment je les ai représentés, parfois avec amusement, parfois avec surprise. Ça crée des échanges plus humains, même au cœur de la dureté ou de la tragédie des procès", tient à souligner Valentin Pasquier.

"Il faut figer les expressions le plus vite possible"

Valentin Pasquier commence toujours par dessiner le visage puis les mains, les matières les plus expressives selon lui : "Il faut figer les expressions le plus vite possible, certains accusés ou témoins sont appelés à la barre pour s'exprimer quelques secondes à peine. Et puis il y a les accusés dont on découvre le visage pour la première fois, je pense à Nordahl Lelandais ou Salah Abdeslam". 

Avant 1954, les appareils photos avaient droit de cité dans les tribunaux. Pour comprendre les raisons de l'interdiction des appareils photos pendant les débats judiciaires, il faut remonter au procès de Gaston Dominici à Digne, accusé du triple meurtre d’une famille anglaise. Dans l'espoir de décrocher un meilleur angle de vue, un photographe va, durant l'audience, s'installer sur la table de l'avocat général alors que ce dernier requiert.

Dessiner des procès demande un mental d'acier et de la distance

Élisabeth de Pourquery, journaliste et dessinatrice d'audience

Élisabeth de Pourquery fait partie des rares journalistes en France à vivre de cette profession. Journaliste à France Télévisions depuis 30 ans, c'est à la suite d'une reconversion professionnelle désirée qu'elle réussit à marier sa passion pour le dessin à son métier de journaliste : "C'était une décision loin d'être évidente. Je faisais beaucoup d'antenne, j'étais présentatrice sur France 3 avant d'être responsable d'une chronique santé. Il y a 11 ans, j'ai renoncé à tout ça pour suivre une formation dans une école de bande dessinée."

En 2014, elle couvre le procès d'un djihadiste, son dessin ne tarde pas à faire mouche. Il attire aussitôt l'attention d'une journaliste de l'Humanité qui le publie : "C'était un moment extraordinaire pour moi, jamais je n'aurais imaginé que mes dessins puissent avoir un prix", dit, encore émue, celle qui, aujourd'hui, a dessiné plus de 200 procès.

Élisabeth de Pourquery démarre elle aussi ses dessins par la tête et les yeux. Celle qui a la réputation d'être rapide, réalise une dizaine d'illustrations par jour. Cette passionnée d'art, a complété sa formation par l'obtention d'un Master en section art plastique à l'université Paris1 Sorbonne, suivi d'un an à l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts : "J'ai la chance d'avoir un don instinctif pour la ressemblance que j'ai pu améliorer avec mes cours d'anatomie à l'école des Beaux-Arts de Paris".

La dessinatrice voit ses efforts et son art récompensés : ses dessins judiciaires sont exposés à la bibliothèque du tribunal judiciaire de Paris jusqu'au 6 janvier 2025.

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