Procès de l'assassinat de Samuel Paty : "On a besoin de savoir ce qui s’est passé dans leur tête", six mineurs jugés à partir de ce lundi

Le 16 octobre 2020, le professeur Samuel Paty était assassiné à la sortie de son collège à Conflans-Sainte-Honorine par un terroriste d’origine tchétchène. Ce lundi s’ouvre le procès des cinq mineurs qui l’ont désigné contre de l'argent à son bourreau, et de l’adolescente à l’origine de l’emballement. Un procès, attendu par la famille et les professeurs, qui se tient à huis clos.

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Ils avaient entre 13 et 15 ans. Tous étaient élèves au collège du Bois d’Aulne de Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) au moment de l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty, le 16 octobre 2020.

À partir de ce lundi, six adolescents comparaissent, à huis clos, devant la cour d’assises des mineurs de Paris. Cinq d’entre eux sont jugés pour association de malfaiteurs en vue de préparer des violences aggravées. Ils sont accusés d’avoir surveillé les abords du collège et d'avoir désigné l’enseignant à l’assaillant contre rémunération. La sixième, une adolescente, est quant à elle jugée pour dénonciation calomnieuse. Elle avait raconté que lors d’un cours, Samuel Paty avait demandé aux élèves musulmans de sortir de la classe avant de montrer des caricatures du prophète Mahomet. Un mensonge à l’origine de la cabale contre Samuel Paty, de la machine infernale qui a entraîné la mort de l’enseignant.

"Leur rôle à tous est prédominant dans ce dossier, affirme Virginie Le Roy, l’avocate qui représente la famille de Samuel Paty. Il y a d’abord celle qui fait ce mensonge. Et puis il y a ceux qui ont désigné leur professeur et ils sont plusieurs : celui qui a été payé et qui a redistribué, celui qui faisait le guet… Pourquoi ont-ils fait ça ? Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas ce sursaut de se dire il y a quelque chose d’anormal à ce qu’un homme tout vêtu de noir vienne demander, contre de l’argent, de désigner le professeur pour le punir, pour l’afficher sur les réseaux ? Pourquoi ne se sont-ils pas dit : je préviens un adulte, un professeur ou je passe mon chemin tout simplement ?"

"Ce procès, c’est le moyen de comprendre pourquoi nos élèves en sont arrivés là"

Autant de questions qui hantent également les collègues de l’enseignant assassiné. Traumatisés, certains ont quitté le collège, d’autres ont décidé de changer de métier. Pour ceux qui sont restés et que nous avons rencontrés, l’incompréhension et la sidération prédominent toujours, trois ans après le drame.

"Ce procès, c’est le moyen de comprendre pourquoi nos élèves en sont arrivés là. On a besoin d’entendre nos élèves là-dessus pour nous permettre d’avancer", confie l'un de ces professeurs qui a souhaité garder l’anonymat. Il se portera partie civile avec une dizaine d’autres de ses collègues, pour entendre notamment les explications de ces élèves dont il a été l'enseignant. Car après leurs placements en garde à vue, aucun d’entre eux n’est revenu au Bois d’Aulne. Aucune discussion n'a donc plus été possible.

"On a besoin de savoir ce qui s’est passé dans leur tête, ce qui les a amenés à participer à cet acte parce que si on n’arrive pas à comprendre la logique, on va rester avec cette idée que finalement, tous les élèves pourraient se retourner contre nous. Que ce qu’ils ont fait, n’importe quel élève pourrait le faire", explique cette autre enseignante qui dit avoir vécu douloureusement "l’après attentat" malgré le soutien de l’association française du terrorisme (AFVT), malgré les ateliers et les espaces de parole mis en place dans le collège, malgré aussi des consultations chez un psychologue. "Déjà, il y a eu la peur, tout simplement. La peur de retourner travailler sur ce lieu. Ensuite, il y a le stress post-traumatique avec des changements d’humeur brutaux. Ce que les victimes d’attentat peuvent ressentir, on l’a ressenti."

Pour ces enseignants, le rapport aux élèves a changé depuis ce funeste 16 octobre 2020, la confiance a été "abîmée". Il y a les mots que l’on soupèse avant de les utiliser, de peur qu'ils soient mal interprétés ; les attitudes que l’on observe, désormais avec méfiance. Une peur ravivée par l'assassinat du professeur Dominique Bernard à Arras le 13 octobre dernier.

Il y a aussi les déclarations qui blessent. Comme les propos tenus par la sœur de Samuel Paty lors de son audition devant la commission d’enquête du Sénat le 17 octobre. Ce jour-là, Mickaëlle Paty accuse les collègues de son frère d’avoir été des "spectateurs complices qui se sont inventé une conscience post-attentat", continuant de "prolonger la calomnie après l’assassinat de son frère". Elle leur reproche aussi de ne pas l’avoir protégé alors qu'il était en danger.

Difficile à entendre pour ces enseignants. "Nous sommes nombreux à l’avoir soutenu, à l’avoir ramené chez lui, à lui avoir envoyé des messages, des marques de soutien. Oui, il y a des professeurs qui se sont désolidarisés mais c’est vraiment une minorité", raconte l’une d'entre eux. "Ça fait mal parce que je suis un des collègues qui a ramené Samuel chez lui dans la semaine qui a précédé l’acte (...) C’est vrai que je n’ai pas non plus été alarmiste. J'essaye de me refaire le film en me disant : est-ce que si j’avais fait ça, ça aurait été différent ? Le sentiment de culpabilité, il est présent."

Aucun d'entre eux ne sera entendu pendant le procès qui doit durer jusqu'au 8 décembre, et auquel ils espèrent assister. "C'est notre place", assurent-ils. 

Les huit adultes mis en cause dans cette affaire seront jugés lors d'un autre procès en novembre 2024.

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