Un puits de pétrole risqué pour l'eau du robinet, la faune et la flore. C'est l'avis du tribunal administratif de Melun, ce jeudi 30 janvier qui suspend temporairement le forage, car non conforme à la loi. La préfecture a 10 mois pour prendre des mesures et limiter les risques de pollution.
"La société Bridge énergies exploite depuis 2009 un gisement d’hydrocarbures à Nonville (Seine-et-Marne), dans le cadre d’une concession d’une durée de vingt-cinq ans. Elle a été autorisée, par arrêté du préfet de Seine-et-Marne du 30 janvier 2024, à réaliser des travaux de forage de deux nouveaux puits dans le cadre de cette concession", rappellent les juges administratifs de Seine-et-Marne.
Cette autorisation avait déjà été attaquée avec un référé-suspension, en mai 2024. En clair, cette décision aurait pu suspendre les opérations. Mais la justice administrative avait rejeté ce recours, en arguant de l’absence d’urgence pour faire appliquer cette restriction temporaire.
Un rejet avec des réserves
Cette fois, le tribunal administratif de Melun (Seine-et-Marne) a rejeté une grande partie des arguments juridiques des opposants, dont Eau de Paris. Pour autant, elle se montre réservée en soulevant des illégalités dans cet arrêté d’autorisation.
Le tribunal "a ainsi relevé que l’étude d’impact réalisée par la société était insuffisante en ce qui concerne la protection de la faune et de la flore, en l’absence d’analyse des incidences du projet pour les espèces protégées susceptibles d’être présentes sur le site de la concession".
D’après les juges administratifs, "l’autorisation préfectorale n’avait pas fixé, en méconnaissance de la réglementation applicable, le montant des garanties financières exigées de la société pour faire face notamment au coût des interventions éventuelles en cas d'accident avant ou après la fermeture du site et au coût du maintien en sécurité des installations".
La juridiction ajoute aussi que "l'arrêté ne prescrit pas l'imperméabilisation du fossé périphérique du site de la concession Bridge Energies".
Les juges nuancent toutefois leur décision, en estimant qu’il s’agit d’illégalités qui peuvent être régularisées. La justice a donc accordé un délai de dix mois et rendra sa décision définitive à l'issue de cette période.
La déception des associations environnementales
Les associations regrettent que le tribunal ait balayé les arguments climatiques contre ces forages.
“Ce jugement permet de contredire les affirmations du Ministre et de Bridge Énergies en reconnaissant l’illégalité, en l’état, de l’autorisation très controversée de créer les deux nouveaux puits de forage. Il ne permet pas en revanche de trancher tous les points du contentieux, loin s’en faut, et en particulier s’agissant de l’application de la réforme des titres miniers, et du nouveau Plan Local d’urbanisme de Nonville qui n’a pas entendu permettre l’installation de ces nouveaux puits de forage”, dénonce Louis Cofflard, avocat représentant Les Amis de la Terre France, France Nature Environnement Ile-de-France, France Nature Environnement Seine-et-Marne, le Réseau Action Climat et Reclaim Finance.
De son côté, Marine Yzquierdo, avocate, représentant l’association Notre Affaire à Tous, dénonce une décision "anachronique"." Les décisions rendues au Royaume-Uni [3] nous le rappellent : l'impact sur le climat des projets de forages pétroliers doit être pris en compte. Alors que nous battons des records de température mondiale depuis des années, il existe un consensus scientifique clair : tout nouveau forage pétrolier est incompatible avec une limitation du réchauffement climatique à 1,5°C."
Le risque d'une pollution
Le projet est vivement contesté par la régie publique Eau de Paris. Elle redoute notamment la pollution de deux de ses captages d'eau situés à proximité du site pétrolier, à Villeron et Villemer. Ces deux sites alimentent 180 000 Parisiens et Seine-et-Marnais en eau potable.
"Depuis plus d’un an, Eau de Paris, soutenue par la Ville de Paris, plusieurs collectivités locales et six ONG environnementales, s’est ainsi mobilisée pour dénoncer les risques majeurs que ce projet faisait peser sur les nappes phréatiques […], des captages d’eau essentiels, situés dans une zone classée Natura 2000, qui sont au cœur de l’alimentation en eau potable de Paris et des communes avoisinantes dépendantes de cette unique ressource", justifie la société dans son communiqué.
Anne Hidalgo, la maire de Paris s'est félicitée pour la décision rendue par les juges administratifs : "La décision du tribunal est une première victoire dans le combat mené par la Ville de Paris aux côtés d'Eau de Paris et de nombreuses associations qui luttent pour le climat. Le combat continue pour mettre fin à ce projet mortifère pour notre planète et dangereux pour la ressource en eau des habitants de Paris et de Seine-et-Marne."
Partie remise pour le forage
Bridge Energies, anciennement Bridgeoil, est titulaire d'une concession d'exploitation du gisement courant jusqu'en 2034 et portant sur une superficie de 10 km². La concession comprend deux puits producteurs de pétrole et n'en possède plus qu'un en activité.
Dans un arrêté préfectoral de fin janvier 2024, elle a obtenu de l'État d'en ouvrir deux autres, d'une profondeur de 1 500 mètres. L'extension ferait passer la concession de 10 à 53 km². En septembre, Philippe Pont, le président de Bridge Energies, plus petit producteur de pétrole de France, a assuré que ce projet, s'il voyait le jour, permettrait de financer toute une palette d'activités en faveur de la transition écologique, comme du stockage de CO2 pour le compte d'industriels, de la géothermie ou encore de l'aquaponie.
"Le projet n'est pas suspendu, au contraire. Le jugement écarte l'ensemble des moyens qui ont été soulevés par Eau de Paris, à l'exception de deux moyens", a contredit le président de Bridge Energies Philippe Pont, joint par l'AFP. "Le tribunal nous a donné en fait quelques mois supplémentaires pour compléter l'étude environnementale concernant les espèces protégées, donc c'est vraiment une question de détails", a développé M. Pont, critiquant un "arrêt attaqué de manière abusive et politique".
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En France, la production de pétrole représente 1 % de la consommation nationale, réalisée aux deux tiers dans le bassin parisien et le reste dans le bassin aquitain, en Gironde.