Tous les mercredis après-midi, une quinzaine de jeunes du lycée Jean-Jaurès de Montreuil suivent un atelier d'entrainements rhétoriques en vue de participer au concours d'éloquence "Les Libres Parleurs de Montreuil". Nous avons suivi cette 5e séance de travaux pratiques.
"Vous êtes l'avocat d'un méchant de fiction de votre choix : Dark Vador, Voldemort, Palpatine ou bien la Team Rocket. Vous allez plaider son innocence et vous allez devoir le défendre devant un tribunal", explique Raphaëlle Martin, enseignante à Sciences Po et intervenante devant une quinzaine d'élèves du lycée Jean-Jaurès de Montreuil. Les lycéens ont une demi-heure pour préparer leur plaidoirie.
Depuis le 9 février, le petit groupe se retrouve toutes les semaines dans une grande salle au sous-sol du lycée. Encadrés par Raphaëlle Martin, formatrice de prise de parole en public et leur professeur de SVT, Jamila El Mansouri, les jeunes gens se confrontent a un exercice compliqué : parler en public et défendre son point de vue.
Renforcer la confiance en soi
L'idée de défendre un méchant de fiction, semble plaire aux élèves. En revanche, les références sont différentes. "Dark Vador, ça ne date pas d'hier, fait remarquer un jeune participant". Raphaëlle Martin répond en rigolant. "Oui ça ne date pas d'hier mais c'est les méchants de quand j'étais petite". "Bien sûr, vous prenez le méchant de votre choix", précise-t-elle.
Les élèves se rassemblent par deux ou trois ou restent seul devant leur copie. Ça discute, ça réfléchit.. Les deux enseignantes passent de groupe en groupe pour répondre aux interrogations. Elle rappelle les consignes données pendant les précédentes sessions. Il faut travailler la posture, se tenir bien droit, regarder les gens dans les yeux. Construire son argumentation sur quatre temps : l'exorde (l'entrée en matière), le message, le développement et enfin la conclusion.
La demi-heure s'est écoulée. Ambre se lance sur la piste. Face à elle, ses camarades. Elle a choisi de défendre un personnage de méchant du manga One Piece. "Doflamingo, ce personnage est-il réellement un vrai méchant", questionne-t-elle, en débutant son discours.
Pour défendre son client, elle met en avant l'histoire douloureuse de ce personnage qui explique-t-elle "a beaucoup souffert dans son enfance, a vu sa mère mourir alors qu'il était très jeune". Elle poursuit avec les faits d'armes de Doflamingo qu'elle décrit comme un héros ayant "une énorme force psychologique qui lui a permis de devenir un grand corsaire et d'être respecté par le gouvernement". Sa plaidoirie se termine sous les applaudissements de ses camarades.
Les élèves sont invités à donner leurs avis sur la prestation de leur camarade. "Elle est sûre d'elle" dit l'un des jeunes. "Et oui, renchérit l'intervenante et quand on a l'air sur de soi, on se dit elle a l'air de s'y connaitre, elle doit avoir raison". Tu vois c'est ça l'Ethos" (l'attitude, ndlr), précise-elle.
Donner le goût du débat citoyen
Ce concours d’éloquence, lancé par la Ville de Montreuil, contribue à renforcer les compétences oratoires des jeunes participants, il est autant un projet scolaire qu’un apprentissage à la citoyenneté, explique l'intervenante Raphaëlle Martin.
La prise de parole, c'est une compétence citoyenne,
Raphaëlle Martin
"J'ai été vraiment emballée lorsque l'on m'a proposé de participer à ce projet", raconte l'intervenante. "Dans ces ateliers on travaille sur l’éloquence mais aussi sur la rhétorique. Savoir défendre ses idées, savoir argumenter, savoir aussi décrypter les discours, c'est capital", assure-t-elle.
Retour dans la salle, la parole est à Ousmane Cisse, élève de 1ère. "Je suis personnellement convaincu qu'Akainu n'est pas méchant", assène Ousmane. "C'est vrai qu'il a tué Ace, mais n'oubliez pas que ce pirate brûlait des maisons". "Akainu (personnage de One Piece) est une bonne personne qui protège la population des méchants pirates", assure-t-il, maniant une mauvaise foi assumée.
Capter l'attention de l'auditoire
Maxime Sergé se lève à son tour pour venir se placer face à ses camarades. Il a décidé de défendre Thanos, un super-méchant évoluant dans l'univers Marvel. Lui aussi a ses techniques. Pour capter son auditoire et se rendre plus légitime, il emprunte une formule d'avocat "Monsieur et Madame, les jurés". D'un ton convaincant, il déroule ses arguments pour défendre un méchant "qui a sauvé la moitié de la terre", passant sous silence qu'il a tué l'autre moitié. La prestation de Maxime se termine, comme pour tous, sous les applaudissements.
Préparer le "grand oral de la maturité" inscrit au programme du bac
Maxime Sergé est en classe de terminale. Il revient sur les motivations qui l'ont poussé à suivre ces ateliers. "Ça m’apporte des outils pour pouvoir m’exprimer à l’oral. De nature je ne suis pas très bavard et je ne suis pas très à l'aise lorsque je dois m'exprimer en public, là ça permet de prendre de l'assurance. Je sens déjà la différence, en seulement cinq séances", dit-il.
Même motivation pour Vildan Boran, élève de terminale. Elle explique, "Je voulais être plus à l'aise à l'oral pour le bac. Quand je sors de la séance je me trouve plus forte comme si j'avais changé de personnalité et du coup ça me donne envie de revenir".
C'est sur les conseils de sa professeure, Mme El Mansouri, qu'Ambre Lavaud, élève de 1ère vient à l'atelier. "Je suis venue pour expérimenter car je ne savais pas trop ce que c'était l'éloquence". Comme ça lui plaît, elle reste.
Grâce à ces ateliers elle prend conscience de l'image qu'on renvoie, de l'importance de bien poser sa voix, des silences et de l'humour "toutes ces techniques qui vont permettre de capter l'attention des autres", explique-t-elle.
Après dix ateliers préparatoires, les lycéens se retrouveront pour la grande finale du 20 mai 2022 à l’hôtel de ville de Montreuil. S’affronteront ce jour-là, les élèves choisis par leurs camarades pour représenter leurs lycées. Sur la scène, on distinguera celui ou celle qui sait manier avec le plus de talent et de conviction, le difficile art oratoire.