15 ans après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, point de départ de trois semaines d’émeutes dans les banlieues françaises, l’Institut Montaigne publie un rapport qui bat en brèche de nombreux clichés sur les quartiers pauvres. Entretien avec son auteur, Hakim El Karoui.
Il y a 15 ans jour pour jour, le 27 octobre 2005, la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois provoquait trois semaines d’émeutes et de révoltes dans les banlieues. Depuis le décès des deux adolescents, électrocutés dans un transformateur électrique après avoir cherché à échapper à la police, le sentiment d’abandon et de relégation dans ces quartiers n’a jamais disparu.
Un rapport de l’Institut Montaigne vient aujourd’hui bousculer de certaines idées reçues : "Les quartiers pauvres ont un avenir". L’étude, publiée dimanche par le think tank d'orientation libérale, s’intéresse à 1 296 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) situés en France métropolitaine, classés ainsi depuis la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine de 2014.
Pauvreté, populations immigrées et jeunes, parcs de logements sociaux importants, taux de participation électorale faible… Outre leurs points communs, le rapport distingue trois grands types parmi ces quartiers : des quartiers "post-industriels" dans le nord et le nord-est de la France ; des quartiers "excentrés", situés dans ou près des petites villes et villes moyennes ; et enfin des quartiers "maquiladoras" ou "métropolitains", situés en périphérie des grandes métropoles. Ces derniers se trouvent particulièrement en région parisienne : à titre d’exemple, 38,3 % de la population de Seine-Saint-Denis vit dans un "QPV".
Quant à la question de la redistribution, le rapport souligne que si l’Île-de-France contribue pour 31 % du PIB français, les ménages franciliens ne disposent que de 22 % du revenu disponible national. Les territoires de la "diagonale du vide", avec des revenus reposant en particulier sur les retraites, est au contraire la première bénéficiaire de la redistribution.
Autre cliché battu en brèche : l’idée selon laquelle la drogue ferait vivre les quartiers pauvres. Selon le rapport, l’activité économique générée par le trafic de drogue est en fait plus faible que ce que l’on pourrait imaginer. Estimée à 2,7 milliards d’euros dont 1 milliard d’euros pour le cannabis, cette activité représenterait seulement 20 000 emplois en équivalent temps plein.
Enfin, l’étude va contre l’idée selon laquelle la politique de la ville serait un "puits sans fond", soulignant une véritable sous-dotation en matière d'investissement public dans les quartiers pauvres. Mais le rapport qualifie toutefois ces politiques publiques d’"inefficaces et centrées sur le bâti". De quoi proposer plusieurs solutions, comme l’établissement d’un plafond pour limiter une trop grande concentration de logements sociaux dans certaines communes (d’une hauteur de 40 % maximum, par exemple) et ainsi "mieux répartir les nouveaux arrivants".
Autre piste : construire une "vraie stratégie de la promotion sociale et de la lutte contre la pauvreté, dont l’exécution serait interministérielle, reposant sur un « Anru des habitants », à côté de l’Anru (l’Agence nationale pour la rénovation urbaine) des bâtiments". Entretien avec Hakim El Karoui, l’auteur du rapport, pour tout comprendre aux enjeux.
France 3 PIDF : Quel avenir peut-on imaginer pour la Seine-Saint-Denis, département le plus pauvre de France ?
Hakim El Karoui : Département le plus pauvre de France, mais depuis 10 ans, c’est celui qui a créé le plus d’emploi : 29% des nouveaux emplois créés en France ont été créés en Seine-Saint-Denis. Des emplois certes pas très qualifiés en général, mais il y a deux dynamiques en Seine-Saint-Denis.Il y a l’extension de Paris vers le Nord, les nouveaux sièges et de nombreux cadres qui viennent s’installer dans le département. Et on voit qu’il y a une circulation croisée très importante. Les emplois des habitants qui ne sont pas très bien formés ne sont pas très rémunérateurs, mais ils sont nécessaires quand même pour franchir une étape ou deux de l’échelle sociale.Les habitants de ces quartiers touchent moins d’aides sociales que la moyenne des Français
Niveau de vie, taux d’imposition… Pour cette étude, vous avez compilé pendant un an différents critères sociaux et économiques, pour ensuite les comparer au reste de la France. Il en résulte que contrairement à certains clichés, les habitants de ces quartiers sont loin d’être des "assistés"…
Ils touchent moins d’aides sociales que la moyenne des Français : 6000 euros par tête, contre 6800 euros par tête. Et en plus, ils contribuent énormément au financement. L’essentiel de la protection sociale va vers les plus de 60 ans ; la retraite et la santé représentent 480 milliards d’euros, sur 730 milliards d’euros au total.Dans ces quartiers, les habitants sont très jeunes donc ils sont plus au chômage, ils sont plus pauvres, mais il y a très peu de retraités et très peu de dépenses de santé. La Seine-Saint-Denis, pour reprendre cet exemple, est le huitième département contributeur au financement de la protection sociale… Et tenez-vous bien : c’est le dernier receveur.
On peut avoir l’impression que peu de choses dans ces quartiers en 15 ans, à part peut-être l’Anru. Un programme, selon vous, peut-être trop concentré sur les bâtiments et trop peu sur l’humain ?
On parle beaucoup de l’Anru, c’était nécessaire. C’est dans les quartiers pauvres des grandes villes qu’on trouve les grands ensembles, les plus anciens, qu’il fallait réhabiliter. L’Anru est un système d’ingénierie financière qui permet de travailler rapidement avec les communes, mais ce n’est pas tout : on détruit une barre, on l’a reconstruit… Si on ne crée pas d’activité économique et qu’on remet les mêmes habitants, ils vivent un peu mieux mais ils n’ont pas plus d’avenir.L’Anru 2 s’est concentrée un peu plus sur l’activité économique, mais je pense qu’il faut revenir en amont. Toute la nouvelle immigration en France depuis 30 ans est venue en Île-de-France : en Seine-Saint-Denis, on est passé de 15% à 30% d’immigrés, alors qu’en France l’immigration a augmenté de 10%.la France périphérique des gilets jaunes qui s’est beaucoup plainte mais qui, en fait, est beaucoup mieux traitée
Par ailleurs, on sait faire de l’ingénierie pour construire des bâtiments, mais pour travailler sur l’humain, en mettant d’abord des enseignants, des policiers, des médecins d’expérience… Dans ces trois domaines, ces quartiers-là sont très en retard, par rapport à la France périphérique des gilets jaunes qui s’est beaucoup plainte mais qui, en fait, est beaucoup mieux traitée. Donc on peut remettre plus d’argent, mais les moyens ne suffisent pas : il faut mettre de l’expérience dans ces quartiers.