Pour lutter contre les discriminations, en hausse en 2021 selon une enquête réalisé en juillet, le département lance un observatoire. Une première en France.
La Seine-Saint-Denis a lancé mardi 9 novembre un observatoire des discriminations et de l'égalité. Une initiative mise en place au moment où 63% de ses habitants déclarent avoir été discriminés au cours des cinq dernières années notamment en raison de leur origine ou de couleur de peau, selon un sondage Harris Interactive. Cette enquête d'opinion, menée pour le département, "montre une augmentation des faits vécus ou ressentis par les habitants de la Seine-Saint-Denis à un niveau très élevé", pointe le président (PS) du conseil départemental, Stéphane Troussel.
Quand il y a des discriminations et qu'elles persistent (...) c'est la promesse d'égalité républicaine dans notre pays qui est mise en cause.
La part des habitants qui se disent victimes de discriminations a augmenté de sept points par rapport au précédent baromètre réalisé en 2019 et dévoilé en 2020. Neuf personnes interrogées sur dix estiment également que des personnes sont discriminées dans le département du fait de leur couleur de peau, de leur religion ou de leur quartier d'habitation, selon cette enquête. Le phénomène apparaît aussi dans le monde du travail, la recherche d'un logement ou les rapports avec la police et la justice. Le sondage a été réalisé par téléphone du 5 au 19 juillet 2021 auprès d'un échantillon de 1 002 personnes, représentatif des habitants de Seine-Saint-Denis âgés de 18 ans et plus.
"Première en France"
Face à ce constat, "on décide de prendre nos responsabilités en créant cet observatoire des discriminations et de l'égalité, je crois que c'est une première en France, parce que de notre point de vue, dire c'est déjà agir", affirme M. Troussel. "Quand il y a des discriminations et qu'elles persistent (...) c'est la promesse d'égalité républicaine dans notre pays qui est mise en cause", met-il en garde. Officiellement lancé à Montreuil, ce nouvel observatoire aura pour mission de recueillir des faits et de les analyser, de sensibiliser les habitants et les acteurs de terrain, et de mener des actions concrètes comme une campagne de testing prévue en 2022. Il disposera également d'un conseil associé composé d'habitants, d'experts et de chercheurs qui proposeront des actions en faveur de l’égalité.
1/4 | Face à l’augmentation des discriminations, nous faisons en #SeineSaintDenis le choix de l’action ! Je suis très fier de lancer avec @OrianeFilhol l’Observatoire des discriminations et de l’égalité. Une 1ère en France pour un Département. ⬇️
— Stéphane Troussel (@StephanTroussel) November 9, 2021
? https://t.co/VBoiMNKis8 pic.twitter.com/0S1USCT0DW
L’Observatoire des discriminations et de l’égalité est créé sur le même modèle que l'observatoire des violences faites aux femmes, instauré en 2002. Le département avait alors été le premier à se doter d'une telle structure, puis à voir naître des dispositifs innovants comme le "téléphone grave danger" déployé ensuite au niveau national.
"Réparation morale"
Nous avons rencontré l'une de ces victimes de discrimination. Elle souhaite conserver l’anonymat. Nous l'appellerons Nora. Il y a plusieurs années, cette trentenaire d'origine algérienne travaillait dans une société informatique à Aulnay-sous-Bois. Elle explique y avoir "subi du harcèlement moral et sexuel". "J’ai fait l’objet de propos racistes et de discrimination salariale. Tout était réuni", se souvient-elle. Elle raconte : "Mon manager me qualifiait de ‘baleine’, d’autruche’... Il m’a dit : 'tu me fais penser à un singe avec ton nez’". Nora ajoute que cette situation a été son "quotidien pendant six mois".
Aujourd’hui, quand un homme m’approche, j’essaye ne pas le regarder dans les yeux.
Elle a engagé des procédures judiciaires auprès du Conseil des prud'hommes de Bobigny pour tenter de faire réparer le préjudice qu'elle a subi. De longues procédures qui ont duré six ans, et à l'issue desquelles l'entreprise où elle travaillait a finalement été condamnée. En plus d'un versement d'indemnités, son avocate a obtenu que la décision de jugement figure sur la page d’accueil du site internet de ladite société. "Il n’y a aucune réparation qui sera à la hauteur du préjudice subi par les victimes", précise Me Ines Saad Ellaoui, qui a elle-même été victime de discrimination dans sa vie personnelle et professionnelle. "En allant en justice, ce que veulent les victimes, c’est une réparation morale et une condamnation de leur employeur, que la responsabilité de la société soit reconnue", explique-t-elle.
Bien que les faits se soient produits il y a plusieurs années, et malgré sa victoire judiciaire, Nora nous confie que cette expérience l’a "détruite". "Aujourd’hui, quand un homme m’approche, j’essaye ne pas le regarder dans les yeux", nous confie-t-elle. Elle ajoute que sa vie professionnelle se résume aujourd’hui à "ne pas être dans des contrats fixes. Je fais en sorte qu’on ne s’habitue pas trop à moi".
L'avocat de l'entreprise informatique n'a pas souhaité répondre à nos demandes d'interview. Celle-ci a fait appel du jugement et entame une procédure pour ne pas appliquer la décision de justice.