"J’ai vu 300 personnes agglutinées sur le trottoir", à la sous-préfecture de Saint-Denis, l'accueil des étrangers jugé indigne

Un collectif d'associations et d'habitants de Saint-Denis appelle à manifester ce vendredi devant la sous-préfecture contre les conditions d'accueil des étrangers. Les demandes de rendez-vous en ligne sont tellement limitées qu'elles poussent les gens à tenter leur chance au débotté.

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"J’ai vu 300 personnes agglutinées sur le trottoir. Certaines, désespérées, essayaient de faire passer leur dossier entre les grilles, pour les donner au vigile. C’était une situation déshumanisée de panique et de pleurs." C’est en accompagnant son voisin à la sous-préfecture de Saint-Denis que Diangou Traoré a pris conscience de la situation. "J’ai ressenti de la tristesse et de l’injustice. Et j’ai compris que c’était tous les jours comme ça."

Diangou Traoré est représentante des locataires de la cité des Francs-Moisins à Saint-Denis, et militante associative. Son voisin vient la voir le 15 août dernier pour lui demander de l’aide, afin de régler sa dette de loyer. Il a perdu son travail en avril. Son employeur l’aurait bien gardé, mais il n’avait plus de titre de séjour. Impossible de trouver un créneau de rendez-vous en ligne pour le renouveler. La cinquantaine bien tassée, et ses enfants nés à Saint-Denis depuis 25 ans, le coup a été dur.

Depuis, la militante se rend tous les vendredis matin à la sous-préfecture de Saint-Denis. Avec d’autres habitants et militants, ils apportent du thé et du café, organisent un piquet de veille pour tenter de faire passer les gens sans rendez-vous. Et au fur et à mesure, elle s’est mise à faire quelques interviews publiées sur Tiktok.

@diangou.traore Un locataire m'a contacté à propos d'un retard dans le paiement de son loyer, dû au non-renouvellement de son titre de séjour. J'ai pris la décision d'aller à la sous-préfecture et d'échanger avec les personnes qui attendent devant la grille. #sousprefecturesaintdenis #anef #renouvellement #renouvellementtitredesejour #titredesejourfrance #titredesejour #prefecture #sousprefecture ♬ son original - Traoré Diangou

Les témoignages sont édifiants. "Ça fait 4 jours que je viens à 4 heures du matin, pour un renouvellement, dit un homme". "Moi ça fait un an déjà que je n’arrive pas à prendre de rendez-vous", explique un autre. "Mon compte est même bloqué."

Dans une autre vidéo, une femme raconte : "Je me suis déplacée en préfecture, on m’a dit que ça ne pouvait se faire qu’en ligne. Lorsque j’ai essayé de faire ma demande en ligne en janvier, on m’a dit qu’il fallait que je me déplace en préfecture. La réponse à chaque demande prend 3 à 4 semaines. De mars à juin, je n’ai pas pu obtenir de récépissé. Finalement, ma demande a été supprimée."

Ils sont nombreux dans cette situation. A la clef, perte d'emploi et dettes qui s'accumulent. Certains attendent depuis plus de 6 mois et finissent par se retourner vers la maison de justice et du droit. "Il y a des rendez-vous sur le site, mais ils partent trop vite, parfois en moins de deux minutes", reprend Diangou Traoré. "Il y en a qui passent toute leur nuit sur leur écran. Au pire des cas, ils y vont au culot. C’est devenu une fabrique de sans-papiers, alors que certains ont 30 ans de carte de séjour."

Pour un accueil plus digne

Plusieurs associations tentent de faire bouger les lignes : Cimade, Secours Catholique, LDH, DAL, ainsi que des étudiants de Paris 8, des riverains et le député Eric Coquerel. Dans un communiqué commun, ils dénoncent un système de rendez-vous en ligne "limités et aléatoires, qui pousse des personnes en situation régulière vers l’irrégularité, entraînant perte d’emploi, de droits sociaux et expulsion. Nous demandons un accueil digne, en présentiel et sans conditions, ainsi qu’une prise en charge rapide et humaine des dossiers, comme le prévoit la loi".

Epinglée par le tribunal administratif, la préfecture de Seine-Saint-Denis avait pourtant décidé d’agir. Jusqu'en 2017, il fallait faire la queue à Bobigny, du lundi au vendredi, de 8 heures à 10 heures, avec seulement 30 rendez-vous octroyés par jour. Le système était d’une simplicité limpide : premier arrivé, premier servi. Les files d’attente pouvaient débuter à partir de 5h du matin, qu’il vente ou qu’il pleuve. Et un système illégal de revente de places s’était petit à petit installé.

Les efforts de l'administration

La préfecture accumulait alors deux ans de retard sur le traitement des dossiers. En 2018, elle décide de changer de système. Les files d’attente interminables sont remplacées par des rendez-vous en ligne. Afin de clarifier et d’accélérer les procédures, les dossiers incomplets ne sont plus acceptés. Entre l'ancien et le nouveau système, c’était "le jour et la nuit", selon le préfet de l’époque Pierre-André Durant, dans une interview au Parisien.

La préfecture ne s’est pas arrêtée là. Elle promet qu’un usager accédant au service en ligne aura un rendez-vous sous 4 semaines environ. Elle a par ailleurs développé plusieurs actions : des mails et appels personnalisés aux publics les plus fragiles, des points d’accès numérique ouverts sur chaque site pour les plus éloignés du numérique, ainsi que des actions pour lutter contre la fraude aux rendez-vous. Car une nouvelle une fois, les trafics de places sont réapparus, même en ligne. Un travail a été mené avec le procureur pour faire fermer des cybercafés qui prenaient des rendez-vous pour les revendre 300 ou 500 euros.

La sous-préfecture de Saint-Denis, quant à elle, ne traite que le renouvellement des titres de séjour. Une tâche un peu plus limitée. Sauf qu’elle comprend une très large partie du territoire et les plus grosses villes du département. Selon les associations, elle est largement débordée. D’après l’équipe du député Eric Coquerel, elle est passée brusquement de 30.000 à 60.000 dossiers à gérer chaque année. 

Vers la fin du filtrage à l'entrée

Lors de sa rencontre avec les associations la semaine dernière, le sous-Préfet a accepté d’abandonner le filtrage à l’entrée afin que personne ne patiente dans la rue. Les récépissés pour renouvellement sont désormais reçus dans une salle d'attente. L’enjeu étant de gérer au mieux les situations d’urgence, en évitant la réapparition des files d’attente comme auparavant.

La préfecture réfléchit également à un outil plus performant qui permettra de prioriser et de mieux aiguiller les dossiers, dans le courant de l’année 2025.

Une maigre amélioration pour le Collectif pour le respect des droits des étrangers 93, qui maintient quand même son appel à manifester ce vendredi 4 octobre devant la sous-préfecture de Saint-Denis, en soutien aux personnes concernées.

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