Le fort de Romainville est situé sur la commune des Lilas en Seine-Saint-Denis. Dans cette enceinte du XIXe siècle, il reste des traces infimes du passage d'hommes et de femmes qui ont été déportés ou fusillés pendant la Seconde Guerre mondiale. Sur les murs de la casemate n°17, on peut encore lire leurs mots tracés au crayon sur le mur. En mauvais état, la restauration des lieux débutera en 2023.
Un dessin de religieuse signé par une des détenus ou deux portraits de femmes anonymes. Le mur de la casemate 17 du fort de Romainville porte la trace des prisonniers qui ont laissé ces dessins sur le mur comme une dernière volonté de marquer leur passage.
"Ces dessins sont très touchants, mais ils sont finalement peu nombreux car la très grande majorité des graffiti, ce sont surtout un nom, une date de passage, une adresse". "L'objectif, était de laisser une trace sur le mur pour prévenir ses proches que l'on va partir pour une destination inconnue", raconte Thomas Fontaine, spécialiste de l’Histoire du camp de Romainville et directeur des projets du Musée de la Résistance nationale.
L’idée du graffiti, c’est de laisser une trace de soi
Thomas Fontaine, directeur des projets du Musée de la Résistance nationale
La casemate 17 est une pièce du fort de Romainville où l'on enferme les prisonniers juste avant leur déportation. "La plupart des gens qui laissent ces inscriptions sont à la veille d’un départ du fort. Certains se doutent qu’ils vont partir en déportation, mais beaucoup pensent qu’ils vont être conduits au mont Valérien pour être fusillés", rappelle l'historien. "Ces hommes et ces femmes qui n'ont pas eu le droit d’écrire prennent alors ce droit, et laissent une trace sur un mur", souligne-t-il.
Une trace exceptionnelle et rare
"Ce camp de Romainville est assez méconnu", poursuit Thomas Fontaine, "pourtant il est en activité dès l'année 1940, et c'est l'un des premiers camps d'internement allemand installé en France occupée".
Au total, près de 7000 personnes seront détenues au fort de Romainville durant l’Occupation, dont 3800 femmes. Plus des trois-quarts de ces prisonniers seront ensuite déportés, directement de Romainville, ou après un transfert à Compiègne et un tiers des déportés, hommes et femmes, ne reviendra pas de déportation.
À partir de janvier 1944, le fort de Romainville devient exclusivement un camp de transit pour les résistantes déportées en Allemagne. Des détenues qui ont écrit des graffiti sur les murs de leur cellule, dans la casemate 17. Ces inscriptions permettent aujourd’hui de retracer leur parcours. Ces femmes qui ont été détenues pendant de longs mois à la centrale de Rennes, sont des résistantes communistes qui avaient été arrêtées par la police du gouvernement de Vichy et transférées au fort de Romainville.
Lorsqu’elles arrivent dans la casemate 17, elles savent qu’elles seront déportées. Elles inscrivent leurs noms sur le mur, ces noms sont entrelacés.
Sur le mur de la casemate 17, on peut lire les noms de quatre femmes dont celui d'Eugénie dite Yvonne Fournier, militante communiste. Arrêtée en 1942 en Saône-et-Loire, et condamnée à cinq ans de prison par la section spéciale de la cour d'appel de Dijon, elle est emprisonnée à Rennes. Livrée aux Allemands le 6 avril 1944, elle arrive au fort avec soixante-neuf autres camarades. Le 17 avril, elle est enfermée dans la casemate 17 et inscrit son nom sur le mur. Le départ étant repoussé au 18, le 7 est transformé en 8, comme sur les graffiti de Jeanne Chauviré et d'Andrée Bonnavita. Ces femmes tracent leurs graffiti à hauteur de châlit dans un même espace du mur. Elles font partie du convoi du 18 avril 1944, qui comprend plus de quatre cents femmes à destination du camp de Ravensbrück.
Grâce aux graffiti laissés par les prisonniers sur le mur de la casemate 17 du fort de Romainville, on va pouvoir raconter la grande Histoire, là où elle s’est déroulée
Thomas Fontaine
Seuls, les graffiti de la casemate 17 ont été préservés. Dans cette pièce de 120 m², ont été retrouvés 120 traces de graffiti dont au moins 70 de la période de la seconde guerre mondiale. "On a réussi à identifier près de 55 victimes", explique Thomas Fontaine qui a publié en 2012 un ouvrage sur le sujet : Graffiti de résistants. Sur les murs du fort de Romainville, 1940-1944. "Chaque graffiti identifié a été documenté pour rendre un nom à son auteur et retrouver son histoire. Le travail a été mené en dépouillant les archives, mais aussi en s’intéressant au bâti, à l’histoire des espaces du fort. C’est cette documentation singulière, inscrite dans la pierre et dans le mortier, qui est venue compléter les sources traditionnelles", indique-t-il.
Les graffiti peuvent être très simples, un nom, un prénom, une date de naissance ou une date de passage. Mais les chercheurs ont découvert des alphabets en allemand, comme des premiers cours de vocabulaire allemand. "On le sait par des témoignages, ce sont des Allemands, opposants au nazisme, qui, dans la casemate forment leurs camarades français en leur expliquant qu’ils vont être déportés, et qu’il faut absolument qu’ils parlent quelques mots d’allemand", précise Thomas Fontaine.
Des sources historiques essentielles à conserver
Les graffiti tracés par les résistants mettent directement en contact le public actuel et l’individu qui a laissé un message pour qu’un jour, on sache qu’il fut emprisonné en ce lieu. "A Romainville, on va pouvoir raconter la grande Histoire là où elle s’est déroulée. Contrairement à un musée, ce fort est une trace directe de la Résistance et de la déportation. Lorsque des élèves visitent ce lieu, ils sont sensibles à histoire de ces hommes et de ces femmes. Ils posent des questions sur leurs vies, sur leurs parcours, sur leurs engagements. A travers les traces qui nous sont parvenues, ils sont en train de vivre un cours d’histoire", poursuit-il. "Et à l’heure de la disparition des derniers témoins, cette mémoire, ces valeurs qu’ils ont défendues, il faut les transmettre", ajoute l'historien.
Arrêter la détérioration du temps
Mais ces messages fragiles sont menacés par le temps. Les graffiti inscrits sur les parties humides du mur se détachent et il faut les restaurer rapidement. Le ministère des Armées vient d’annoncer que les des travaux de restauration des graffiti de la casemate 17 seront effectués par une équipe spécialisée en 2023. Il souhaite également engager des interventions sur le bâti permettant d’améliorer les conditions de conservation thermo-hydriques du lieu.
"Le fort de Romainville est un lieu mémoriel majeur dans l’histoire de l’internement et de la déportation de la Seconde Guerre mondiale, avec la particularité d’avoir vu en majorité des femmes internées", explique le ministère dans un communiqué.
"Il s’agit d’un projet essentiel pour notre mémoire nationale, plus que des graffiti, ce sont des fragments de parcours de vie gravés dans les murs qui permettent de retracer les destins de ces hommes et surtout de ces femmes victimes de la déportation nazie. Préserver le fort de Romainville, c’est assurer la transmission de leurs histoires et de notre mémoire nationale à notre jeunesse en leur permettant de venir la voir de leurs propres yeux", a indiqué Patricia Miralles, secrétaire d’État auprès du ministre des Armées, chargée des Anciens combattants et de la Mémoire.
Le coût total des études et des travaux est estimé à près de 300 000 €. Les travaux devraient se dérouler de mars à novembre 2023.