Alors que l'hôpital et la médecine de ville traversent une crise profonde, la série d'annonces du Président peine à convaincre les médecins. "Floues", "pas à la hauteur", "insuffisantes" pour ceux que nous avons interrogé.
Cécile Rouyer, infectiologue à l’hôpital Avicenne de Bobigny, attendait beaucoup des annonces d’Emmanuel Macron pour sortir le système de santé de "ce jour de crise sans fin". Un système à bout de souffle avec des urgences débordées, des cabinets de ville engorgés, des médecins libéraux en grève depuis décembre et une crise des vocations sans précédent… Mais les espoirs de ce médecin, porte-parole du collectif Santé en danger en Île-de-France, ont vite été douchés. "Les signaux forts ne sont pas là. J’espérais au moins une mesure avec des financements supplémentaires et qui s’applique dès maintenant. Mais il n’y en a pas."
En Seine-Saint-Denis où elle exerce, la situation est extrêmement tendue. Il manque 30 % de praticiens hospitaliers. Par conséquent, des consultations et des opérations chirurgicales sont déprogrammées, les urgences sont saturées. "12 heures d'attente minimum", indiquait une feuille de papier accrochée aux urgences du CHU d'Avicenne le 27 décembre.
"Une tension qui ne date malheureusement pas de la triple épidémie de covid, grippe, bronchiolite, relate le docteur Rouyer. Emmanuel Macron dit qu’il faut tout faire pour garder les soignants mais il n'a pas de véritable plan. Il n'y rien dit par exemple sur les permanences de nuit qui n’ont pas été revalorisées depuis 30 ans. C’est pourtant le personnel de nuit qui part en premier."
Sortir de la tarification à l'acte
Lors de son déplacement à Corbeil-Essonne, le Président s'est en revanche attaqué aux 35 heures en demandant la mise en place d'une "organisation plus souple" à l'hôpital. "Je veux que d'ici le 1er juin au plus tard chaque hôpital ait engagé et finalisé des discussions avec les équipes, les partenaires sociaux, pour adapter les plannings et les organisations de travail", a-t-il martelé. "Ce n’est pas sérieux ! fustige Christophe Prudhomme, médecin urgentiste au Samu 93 et porte-parole de l'Association des médecins urgentistes de France (AMUF). Il nous dit de nous organiser nous-même d'ici six mois, de faire nous mêmes les plannings alors que nous avons un problème de temps de travail et de personnel. Et alors qu'il vient de nous imposer un budget de la sécurité sociale qui ne couvrira pas l'inflation". Or, sans budget supplémentaire, difficile de recruter selon ce médecin.
Pour renflouer les caisses de l'hôpital, une des solutions avancées par le président est la sortie de la "T2A", la tarification à l’activité, dès le prochain texte budgétaire sur le financement de la Sécurité sociale en 2023. Un mode de rémunération, très décrié, qui valorise mal les soins non programmés et les actes complexes le plus souvent réalisés dans le système public. "C'est une bonne idée mais cela semble infaisable dans les prochains mois, voir d'ici plusieurs années" d'après Cécile Rouyer. Un avis partagé par Gilles Pialoux, chef de service des maladies infectieuses de l’hôpital Tenon (Paris 20). "La T2A dont tout le monde dit du mal, on la remplace par quoi ? On va pas la démanteler en quelques mois, c'est très flou." Un médecin qui semble également très circonspect sur les autres annonces du président.
Il y a une tension hospitalière très forte et on ne voit aucune échéance de sortie à court terme
Gilles Pialoux, chef de service à l'hôpital Tenon
"Le président dit vouloir recruter du personnel non médical, mais comment ? Sur 690 000 demandes sur Parcoursup chaque année, il n’y a que 36 000 places. 10 000 étudiants arrêtent en cours de route. Ensuite, 15 % de ces personnels formés arrêtent dans les 5 ans. Comment on y remédie concrètement ? Avec quelles aides au logement ? Quels moyens pour être plus compétitifs avec le privé ? Vous voyez, chaque point amène un pourquoi… On est dans des vœux. Nous à Tenon, nous avons actuellement 20 patients qui attendent sur des brancards. C’est beaucoup. Il y a une tension hospitalière très forte et on ne voit aucune échéance de sortie à court terme."
Concernant la médecine de ville cette fois-ci, Emmanuel Macron qui n'a pas répondu directement aux médecins grévistes, promet d’"accélérer" le recrutement des assistants médicaux pour "gagner du temps médical". Leur nombre doit passer de près de 4000 à 10000 d'ici la fin de l'année 2024. "Mais avec quels moyens ? Comment allons-nous les payer ?, " s'inquiète Noëlle Cariclet, porte-parole de "Médecins pour demain" en Île-de-France, un mouvement qui demande l'augmentation du prix de la consultation à 50 euros. "Nous n’avons pas besoin d’administratifs en plus mais d’investir sur du personnel médical. Les structures ne ferment pas faute de personnel administratif, mais faute de soignants," constate cette médecin psychiatre de Seine-et-Marne.
Des questions restées sans réponses
Arnaud Chiche, médecin anesthésiste-réanimateur à Hénin-Beaumont et fondateur du Collectif Santé en Danger, va encore plus loin. "Emmanuel Macron se satisfait du fait que le numerus clausus a été supprimé. Mais il a été remplacé par le numerus apertus qui limite encore beaucoup trop la formation des médecins. Il n'a toujours pas compris qu'il fallait former beaucoup plus de médecins. Qui va payer leurs assistants ? Les médecins ? Mais si c'est le médecin généraliste qui doit les payer, comment va-t-il faire ? On a le sentiment qu'Emmanuel Macron a pris la bonne mesure de ce qui se passe à l'hôpital mais pas du tout en ce qui concerne la médecine de ville. Cela me paraît être un démantèlement de la médecine de ville."
Parmi les autres questions restées sans réponses : comment prendre en charge les 600 000 patients avec des pathologies chroniques qui n’ont pas de médecin généraliste ? Le Président a indiqué qu'ils se verraient proposer un médecin d'ici la fin de l'année. Difficile à mettre en place dans un contexte de pénurie de médecins généralistes et d’extension constante des déserts médicaux.
FO-Santé, deuxième syndicat de la fonction publique hospitalière, a d'ores et déjà appelé à une grève illimitée à partir du 10 janvier pour protester contre "l'inaction" du gouvernement. Tandis que les biologistes libéraux menacent de fermer leurs laboratoires à partir de lundi.