Au terme de dix jours de procès dans l'affaire Théo, l'avocat général a requis en début d'après-midi de trois mois à trois années de réclusion criminelle assorties de sursis à l'encontre des trois policiers jugés pour avoir violenté Théodore Luhaka, dont les séquelles sont irréversibles.
Loïc Pageot, l'avocat général, a livré pendant près d'une heure sa lecture du dossier. Le verbe précis, didactique, se défendant d'être un anti-flic, face à une salle comble de fonctionnaires de police venus en soutien de leurs trois collègues. "Qui sommes-nous pour porter des jugements car nous ne sommes pas sur le terrain. Je ne suis pas là aujourd’hui pour rapporter un trophée mais porter l’intérêt public (...) Le rôle du ministère public, ce n’est pas de stigmatiser la police. Nous avons besoin d’elle pour assurer notre sécurité. Et elle doit avoir tout notre soutien, à condition que les policiers respectent les textes en vigueur, les personnes auprès desquelles ils sont amenés à intervenir."
Et à écouter l'avocat général, les trois policiers qui ont procédé à l'interpellation de Théodore Luhaka le 2 février 2017 à Aulnay-sous-Bois ont manqué à leurs devoirs d'exemplarité. Le ton tranchant, l’unique magistrat chargé des dossiers impliquant les policiers de Seine-Saint-Denis depuis 14 ans, s'interroge d'abord sur le coup de matraque à l'origine de l'infirmité de la victime. Le coup d'estoc qui a perforé la zone péri anale du jeune homme, qui en garde aujourd'hui de lourdes séquelles. "Est-ce que Théo a été violé ? Non évidemment. S’agit-il pour autant d’un regrettable accident ? Non, c’est un geste volontaire. Ce qui est regrettable, ce sont les conséquences que ce geste a entraînées."
Lors de son audition, l'auteur du coup, Marc-Antoine Castelain, 34 ans, avait expliqué qu'il avait porté le coup alors qu'un de ses collègues, Jérémie Dulin, est au sol et qu'il craint qu'il ne soit blessé. S’agit-il d'une affaire légitime défense ? Y a-t-il eu une stricte proportionnalité ? Se demande de nouveau devant la cour Loïc Pageot. Non selon lui. "Théodore Luhaka n'a qu'un but : échapper à son interpellation. Il ne cherche pas à piétiner Jérémie Dulin qui se relève, ne présente aucune trace de quoi que ce soit, aucun étourdissement." Concluant que ce n'est pas parce que le geste est enseigné dans les écoles qu'il est légitime, argument derrière lequel s'était retranché Marc-Antoine Castelain.
Vous choisissez de donner ce coup d'estoc au niveau de la cuisse alors que vous êtes aveuglé par des gaz lacrymogènes et que vous êtes sur le côté de Théodore Luhaka. Vous lui faites courir un double risque alors qu'il ne représente pas de danger. Tout ça ne ressemble ni de près ni de loin à de la légitime défense. Je crois que les policiers ont perdu pied au cours de leur tentative d'interpellation.
Loïc Pageot, avocat général
L'avocat général rappelle qu'il ne s'agit pas d'une petite blessure puisque Théodore Luhaka présente une mutilation et une infirmité permanente. "Le sphincter de Théodore Luhaka ne refonctionnera pas. Voilà la mutilation (...) Ça ne l'empêche pas de vivre mais ça altère largement sa vie. Il s'est renfermé dans sa coquille, il n'a plus d'amis (...) Il y a aussi infirmité permanente."
"Ils ont brisé depuis sept ans la vie de Théodore Luhaka"
Enfin, Loïc Pageot revient sur tous les autres gestes, les coups de poing, de pied, de genou reprochés aux policiers alors que Théodore Luhaka est au sol, menotté et qu'il ne présente aucun danger. "Mais quelle était la nécessité? Théodore Luhaka n'oppose plus de résistance, il est allongé au sol inerte." "C'est un geste de violence gratuite. Il s'agit d'une violence policière" assène-t-il concernant le coup de poing au ventre et le coup de pied décochés à Théodore Luhaka et reproché au policier Tony Hochart. Le coup de genou de Jéremie Dulin dans la tête de Théodore Luhaka qui tape contre le muret ? "Là encore, on est dans la pure violence policière qui consiste à se venger."
Un avocat général sévère enfin lorsqu'il s'agit de parler du comportement des policiers après l'interpellation : leurs mensonges lors de la rédaction du procès-verbal, leur irresponsabilité en abandonnant sur un banc du commissariat Théodore Luhaka alors grièvement blessé, leur attitude enfin pendant l'audience en cherchant à se victimiser. "L'autorité, ce n'est pas de frapper sans discernement. Résultat : ils ont brisé depuis sept ans la vie de Théodore Luhaka. Il ne pourra pas vivre la vie normale d'un garçon de 29 ans. J'espère que la décision lui donnera la force de suivre ses traitements, certes difficiles car invasifs." Concluant ainsi son réquisitoire. "Nous n'avons pas besoin de policiers comme ceux-ci."
A l'issue de son réquisitoire, il a ainsi réclamé 3 ans de réclusion criminelle avec sursis à l'encontre de Marc-Antoine Castelain, 34 ans, l'auteur du coup de matraque qui a rendu infirme Théodore Luhaka. Une peine assortie de cinq ans d'interdiction professionnelle et cinq ans d'interdiction de port d'arme. Il a demandé 6 mois de réclusion criminelle avec sursis à l'encontre de Jérémie Dulin, 42 ans, auteur de violences volontaires. Une peine là encore assortie d'une interdiction professionnelle et d'une interdiction de port d'arme portée à deux ans. Enfin, concernant le dernier policier, Tony Hochart, 30 ans, lui aussi accusé de violences volontaires, Loïc Pageot a demandé trois mois de prison avec sursis. Très loin des peines maximales prévues par la loi, de sept à quinze ans de prison pour de telles infractions. Des peines qui "peuvent paraître dérisoires" selon le procureur mais justifiés par l'absence de casiers des policiers.
Le verdict est attendu ce vendredi.