Procès des policiers dans l'affaire Théo : "J’ai prié pour qu’il se remette car j’ai causé une blessure désolante"

Il est le policier à l’origine du coup de bâton télescopique qui a rendu infirme Théodore Luhaka. Ce mercredi, Marc-Antoine Castelain a dû expliquer à la cour d’assises de Bobigny l’ensemble des gestes accomplis le 2 février 2017 lors de l’interpellation du jeune homme. Regrettant les conséquences "désastreuses" qu’ils ont pu avoir sur lui.

Des trois policiers jugés, Marc-Antoine Castelain est le seul à n'avoir pas pu retourner sur le terrain. Par peur d'être de nouveau confronté au stress comme il s’en est déjà expliqué devant la cour. Aujourd’hui responsable informatique d'un petit commissariat du Nord, toujours sous anxiolytiques, l'ancien policier de 34 ans a dû s'expliquer sur l'enchaînement des évènements qui ont conduit à l'interpellation de Théodore Luhaka. Revenir sur ce funeste coup de matraque à l'origine de l'infirmité du jeune homme. Un geste qu'il dit regretter depuis sept ans. "Je me suis posé cent fois la question, ça me hante. Tous les jours je pense à la blessure de Mr Luhaka et ça me pèse, a-t'il confié la voix tremblante. J’ai prié pour qu’il se remette car j’ai causé une blessure désolante, affreuse, sans avoir l’intention de le faire."

L'ancien policier comparait pour violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente sur la victime. Il encourt la plus lourde peine, jusqu’à 15 ans de réclusion. "Je suis renvoyé devant une cour d’assises et j'encours une peine importante. Il y a une angoisse énorme."

A l'époque des faits, Marc-Antoine Castelain a quatre ans d'expérience dans la police dont deux ans passés au sein de la Brigade de sécurité territoriale (BST) d'Aulnay-sous-Bois. Ses missions : patrouiller dans les zones sensibles du secteur en proie aux violences urbaines, aux vols à l’arraché ou à la vente de produits stupéfiants. C'est dans cette optique que, le 2 février 2017, lui et ses trois coéquipiers se dirigent vers la structure culturelle Le Cap, un point de deal de cannabis bien connu selon lui. "On n’est pas là pour en découdre mais pour procéder à des contrôles d’identité, explique l'ancien gardien de la paix. On est en plein milieu de la cité La rose des vents, une cité sensible appelée "killeur de flics". Il est hors de question d’aller casser des gueules car ce n’est pas notre façon de faire."  A cet endroit, les interpellations peuvent rapidement dégénérer selon Marc-Antoine Castelain qui raconte en avoir fait l'expérience quelques mois auparavant.

"Pour moi, la force est proportionnelle"

Il est environ 16h45 lorsqu'il arrive seul sur la dalle de la cité, bâton téléscopique de défense à la main, le temps que ses collègues le rejoignent. Les suspects sont alignés contre le mur. Marc-Antoine Castelain procéde à une première palpation avant qu'un des jeunes ne le provoque en approchant son visage contre le sien. "Je ne lui mets pas de claque mais j’appose la paume de ma main sur sa tête. Et là, Mr Luhaka m’attrape au niveau du col de manière très virulente."

Théodore Luhaka est repoussé mais il tente alors de "forcer le passage". La situation s'envenime. L'ancien policier parle d'un effet tunnel. "Je vois mon collègue Jérémie Dulin tomber au sol. Il est costaud mais il ne se relève pas. Je vois ensuite Mr Luhaka qui se relève et marche vers mon collègue. Je ne pense qu'à ça. En plus, Mr Luhaka n'a pas été palpé. Je ne sais pas s'il est armé, quelles sont ses intentions." Obnubilé par la défense de son collègue comme il l'affirme, Marc-Antoine Castelain décide de porter des coups de matraque dans les jambes de Théodore Luhaka "pour le faire plier". Sept coups qui ne permettent pas d'obtenir l'effet escompté. Puis il lui porte un coup d'estoc, porté avec la pointe de la matraque, comme il l'a appris à l'école de police. C'est le coup qui est à l'origine de la perforation de la zone péri-anale de la victime. "Je visais la masse musculaire pour le faire fléchir et le faire chuter au sol (...) Le coup que je donne, je ne le donne pas de manière démesurée. Pour moi la force est proportionnelle. J’ai aucun sentiment de résistance. C’est un coup vif, rapide."

Interrogé à plusieurs reprises sur l'utilisation de la matraque, l'ancien gardien de la paix le repète inlassablement, ce coup "intentionnel", "proportionnel au danger", n'était pour lui pas "démesuré". Théodore Luhaka, lui, s'effondre sur le bitume avant d'être difficilement menotté. Il est ensuite amené derrière un mur et assis de force. Une scène qui a échappé aux caméras de vidéosurveillance de la ville mais pas à une vidéo amateur. On y voit Marc-Antoine Castelain lui asséner un nouveau coup. Le seul illégitime selon l'ex policier. "J’ai ce geste de la main envers son visage, c’est un revers de la main. Je lui parle et il me répond pas. C’est un geste pas réglementaire, pas déontologique, je le regrette. Ma volonté n'était pas de lui faire mal. Je tenais à le dire et je m’en excuse."

"Mr Luhaka s’est perdu un peu dans son mensonge"

Devant la cour, l'ancien policier affirme aussi ne pas avoir eu conscience de la gravité de la blessure infligée à Théodore Luhaka avant qu'un chef de poste ne s'en affole au commissariat. Malgré les tâches de sang dans la voiture, celles laissées sur le tee-shirt de la victime au visage tuméfié, au nez abimé et à la lèvre éclatée, Marc-Antoine Castelain affirme n'avoir rien vu. Refutant également toute injure, ce dont l'accuse Théodore Luhaka. "Je pense qu'à un moment, Mr Luhaka s’est perdu un peu dans son mensonge. Je lui ai causé une blessure grave, j’en suis conscient. Est- ce que c’est à cause de cela qu'il veut me porter préjudice ?"

Alors que la présidente en a fini avec ses questions, l'accusé reprend la parole spontanément. "Je sais pourquoi je suis renvoyé devant la cour d'assises, j'ai commis une blessure désastreuse, désolante, mais je n'ai jamais eu l'intention de provoquer ça, vraiment pas." Des regrets auxquels n'assistent pas Théodore Luhaka et ses proches qui ont décidé à ce moment-là de quitter la salle. Lors de son audition lundi, le jeune homme avait raconté une toute autre version de l'interpellation, dénonçant vigoureusement l'attitude des policiers qui l'auraient frappé et auraient tenu des propos racistes à son encontre jusque dans la voiture. 

Ce midi, Théodore Luhaka a toutefois tenu à parler pour la première fois devant les médias pour exprimer son sentiment d'avoir été entendu. "Je suis très content que grâce à ce procès, on a réussi à remettre les choses en place, à remettre la vérité dans l’ordre. L’avocat général a fermement insisté sur le fait que ma parole vaut autant que celle d’un policier, ça m’a rassuré. J’attends les suites du procès et j’espère que le résultat sera positif." Les réquisitions sont attendues ce jeudi avant un verdict vendredi.

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