Le conservatoire régional d'Aubervilliers-La Courneuve est menacé par une baisse de subventions de la part des collectivités territoriales. Les professeurs et les parents d'élèves appellent à se mobiliser ce mardi 10 décembre à 17 heures. Une manifestation en musique pour alerter sur l'avenir de l'établissement.
Vieux d'un demi-siècle, le Conservatoire à Rayonnement Régional d'Aubervilliers-La Courveneuve Jack Ralite (CRR 93) forme 1500 élèves chaque année, tandis que près de 6 500 enfants des deux communes bénéficient d'ateliers artistiques dans leurs écoles. Le CRR est un moteur dans l'éducation à l'art et la culture dans la région. Or, le 4 décembre dernier, les représentants du personnel, professeurs et parents d'élèves ont pris connaissance, par un rapport, des "diminutions" à venir du budget pour 2025. Inquiets quant à l'avenir de l'établissement, ils appellent à une mobilisation ce mardi 10 décembre.
Un conservatoire populaire
Emmanuelle Holder est présidente de l'association des parents d'élèves du CRR 93. Sa fille, Ninon, est inscrite dans ce conservatoire régional depuis ses 9 ans pour suivre sa pratique du violon. "À l’époque, nous avions déménagé de Normandie exprès pour que notre fille puisse suivre un enseignement de qualité avec des horaires aménagés tout en suivant sa scolarité au collège", explique Emmanuelle Holder. Aujourd'hui âgée de 18 ans, la jeune fille s'apprête à terminer son 3e cycle.
Le CRR est le seul conservatoire hors Paris à proposer un double cursus qui prépare au baccalauréat avec des horaires aménagés. Surtout, l'établissement est essentiel au lien social dans le 93 selon Emmanuelle Holder avec, notamment, des tarifs dégressifs pour les familles nombreuses. "La plupart des familles sont dans les quotients familiaux les plus bas, ce conservatoire est populaire au sens noble du terme : son ADN est d'être fait pour tous", assure la présidente des parents d'élèves.
Un avis partagé par les représentants du personnel. "Le conservatoire est un moteur dans les écoles ! J'ai des élèves éloignés du monde de la culture qui étudie Carmen de Georges Bizet, ils le font par envie, par goût et certainement par contrainte.", explique David Millerioux, un des membres du comité social territorial (CST). Les enseignants et personnels de l'établissement insistent : le conservatoire permet de "décloisonner les cultures" avec une démarche pédagogique bénéfique pour le parcours scolaire et personnel des élèves.
Le budget, un numéro d'équilibriste
L'établissement est essentiellement soutenu par les subventions publiques. En 2024, le budget annuel du CRR 93 s'élève à un peu plus de 5 millions d'euros, dont 96 % sont alloués à la masse salariale. Les communes d'Aubervilliers et de La Courneuve contribuent à plus de 4,2 millions d’euros, soit 80 % du budget annuel. Mais l'effort est jugé "insuffisant" par les parents d'élèves et par les représentants du personnel.
Selon Didier Broch, élu au développement de la culture de La Courneuve, il ne s'agit pas de diminutions des finances allouées au conservatoire. "On doit systématiquement rééquilibrer les comptes et nos deux communes ont décidé de procéder différemment et d'augmenter le budget de 320 000 euros", assure l'élu.
Avec la baisse globale des dotations de l'État aux collectivités territoriales, les mairies d'Aubervilliers et de La Commune verront leurs budgets diminuer pour 2025. Afin de "sécuriser" un montant pour le CRR, avant même le vote du budget en janvier, Aubervilliers et La Courneuve se sont donc accordées sur 320 000 euros supplémentaires pour l'établissement. Pourtant, restera un delta, un "manque à combler" de 180 000 euros selon Didier Broch. Les deux communes se tourneront donc vers d'autres collectivités et des partenaires afin de chercher ce montant.
"C'est une façon de présenter les choses", souligne Stanislas Kasprzack, membre du CST. "La participation des communes est supérieure en cette fin d'année, car Aubervilliers et La Courneuve ont fait un apport de 500 000 euros, mais l'année prochaine, cette participation sera en réalité réduite, d'où le manque à gagner et cela était prévisible", explique-t-il.
"Le conservatoire est historiquement sous-financé et voilà des années que l'on sait que le déficit allait se creuser, la situation est critique, mais était prévisible", reprochent Jean-Yves Bernhard et Stanislas Kasprzack, tous deux représentants au CST. Leurs reproches ne sont pas uniquement dirigés vers les mairies.
Car parmi les autres financeurs du CRR 93, on retrouve l’État, via la Drac, la Direction des affaires culturelles, qui a versé environ 479 000 euros cette année. Le CST lui reproche de se "désengager" à plusieurs niveaux depuis des années, reconnaissant une conjecture particulièrement difficile pour les collectivités. Le département de Seine-Saint-Denis, lui a financé à hauteur de 197 000 euros cette année. "Un financement constant", juge l'élu de La Courneuve et les représentants du personnel.
Depuis deux ans, le conservatoire s'est transformé en Établissement public de coopération culturelle. Concrètement, cette transformation permet à d'autres collectivités d'investir dans le conservatoire régional. Sans succès. Cible de toutes les critiques : la communauté d'agglomérations Plaine Commune et la Région Île-de-France* qui n'investissent pas dans le CRR 93. La Région ne prend part que ponctuellement sur des appels à projet : la collectivité a ainsi versé 30 000 euros au conservatoire cette année. Une situation incompréhensible pour tous.
"Notre conservatoire régional est adossé à un pôle d'enseignement supérieur (NDLR: le Pôle Sup'93) et participe à l'éducation à la culture ! Il joue un rôle essentiel dans la formation professionnelle et l'enseignement supérieur, des compétences de La Région", rappelle Didier Broch. L'élu assure être "totalement convaincu" de l'intérêt du conservatoire à rayonnement régional : "on partage la revendication des enseignants et des parents, c'est un établissement d’excellence qui fait un travail extraordinaire en éducation artistique notamment".
Sans répondre à la question de l'enseignement supérieur et professionnel, la Région nous a fait parvenir une réponse écrite. D'abord, la collectivité rappelle que "le financement en fonctionnement des conservatoires communaux, départementaux ou régionaux n’est pas une compétence des régions mais néanmoins ils ne sont pas exclus des aides régionales culturelles telles que les aides à l’éducation artistique et culturelle en faveur des lycéens." La collectivité mentionne bien l'aide de 30 000 euros qui aurait été apportée en 2023, une Convention régionale pour l'éducation artistique et culturelle, dont le montant figure, lui, sur le budget 2024. "Il s’avère que le CRR n’a jamais appelé cette subvention et l’a laissé perdre. Le CRR ne s’est jamais manifesté et n’a déposé aucune demande auprès de la Région en 2024."., assure la collectivité par écrit.
Avec un équilibre financier délicat, l'établissement a décidé d'ouvrir ses financements aux mécènes en octobre dernier. "Cela reste une goutte d'eau, le mécénat, c'est bien, mais c'est de l'appoint, cela ne sauvera pas notre conservatoire", juge Emmanuelle Holder. Un avis partagé par Didier Broch. Pour l'instant, seules cinq entreprises se seraient rapprochées des communes pour une éventuelle participation. "On espère toujours que les lignes bougent du côté des collectivités", ajoute l'élu
Une menace sur le statut du conservatoire
Or cette baisse des subventions pourrait avoir des conséquences désastreuses sur l'avenir du conservatoire. Concrètement, moins d'argent signifie moins d'heures et donc une diminution du nombre d'élèves et d'entrants. Chaque année, 400 élèves font leur entrée au conservatoire.
Autre problème selon les parents d'élèves et les enseignants : une baisse d'activité et de la diversité des enseignements proposés. "On compte déjà des heures en moins pour l'éducation culturelle et artistique", assure Stanislas Kasprzack. Selon le CST, les enseignants qui partent à la retraite (catégorie A) sont remplacés par des collègues de catégorie B, donc avec des salaires moins élevés. "C'est comme cela qu'il gère la masse salariale dans le budget", ironise le CST.
"Or pour qu'un conservatoire maintienne et renouvelle son statut de rayonnement régional, il faut pouvoir justifier d'une diversité des disciplines, de l'originalité des instruments, mais aussi du niveau des enseignants recrutés", explique de son côté Emmanuelle Holder.
On fait payer aux parents d'élèves le manque d'ambition des élus pour notre conservatoire.
Emmanuelle Holder, présidente de l'association des parents d'élèves du CRR 93
Enfin, pour compenser le sous-financement des collectivités, le conservatoire pourrait augmenter ses tarifs d'inscription. "On fait payer aux parents le manque d'ambition des élus pour notre conservatoire", assène Emmanuelle Holder. Selon elle, l'argent est bien disponible, mais les élus "ne se battent pas assez" pour leur territoire. "On a une marge de manœuvre de six mois pour trouver l'argent manquant, sinon les premiers impacts seront visibles à la rentrée de septembre 2025", assure Didier Broch.
Professeurs et parents refusent de voir le conservatoire de Seine-Saint-Denis se transformer "en un lieu élitiste". Malgré l'absence d'avantages et un fonctionnement jugé a minima, "nous aimons notre mission, les élèves nous le rendent bien et les équipes sont très motivées !", insistent les représentants du personnel. Avant le débat d'orientation budgétaire ce 10 décembre, ils manifesteront en musique et en danse. Des savoir-faire qu'ils espèrent voir rayonner encore à Aubervilliers-La Courneuve.
*La Région Île-de-France n'a pas encore répondu à nos sollicitations.