Au 1er janvier 2025, les barquettes plastiques doivent disparaître des cantines scolaires. La loi Egalim de 2018 a institutionnalisé une alimentation saine et durable en y interdisant toute vaisselle jetable. Une cuisine centrale fait aujourd'hui office de modèle dans le Val-de-Marne. Fontenay-sous-Bois fonctionne ainsi depuis presque 30 ans.
Dans une vitrine à l'entrée de La Fontenaysienne sont exposées baies de rose, anis étoilé, poudre de colombo, piment de Jamaïque, dans des petits bocaux de verre. La couleur bleue des étiquettes est peut-être ternie par le temps, mais elle démontre l'importance que la cuisine centrale de Fontenay-sous-Bois accorde au goût depuis sa création. Fondée en 1996, cette cuisine de restauration collective a également conservé une batterie de contenants tout inox, une irréductible en France. Un modèle longtemps jugé rétrograde, aujourd'hui qualifié de précurseur, alors qu'il reste moins d'un an à l'ensemble de la restauration scolaire pour bannir tout plastique de ses circuits de production.
5000 repas par jour, un million par an
C'est la fin de matinée, on s'affaire en cuisine pour préparer les barquettes des portages à domicile destinés aux personnes âgées ou dépendantes. Repas de fête au menu, saumon et crevettes pour prolonger Noël dans leurs assiettes. Les bacs gastronormes, qui vont partir en direction des cantines scolaires de l'agglomération, sont prêts. Ils contiennent aujourd'hui une salade de blé en entrée, et un plat de résistance à base de bœuf. Pour les 4400 petites bouches à nourrir, réparties dans les 18 cantines que compte la ville de Fontenay-sous-Bois, les quatre camions de livraison de l'entreprise attendent leur cargaison.
Claude Lavarone, responsable de secteur à la production des repas à La Fontenaysienne, est fier de sa cuisine. Une machine en inox aide à mixer facilement les aliments composant des salades, des sauteuses dernière génération font mijoter les aliments à basse pression. "Elles permettent une cuisson de 17h, soit toute la nuit, pour que la viande conserve toute sa saveur et son moelleux" détaille-t-il. Son objectif, une qualité gustative optimale pour faire saliver les papilles des petits comme des grands. Egalement dans la zone de cuisson, quatre grandes marmites dans lesquelles bouillent 900 litres de potage maison en hiver, "le régal des écoliers fontenaysiens" savoure Claude Lavarone. Ils sont demi-pensionnaires à 80%.
"Arriérés, irresponsables et maltraitants"
La principale particularité de la cuisine centrale de Fontenay-sous-Bois réside dans son fonctionnement dénué de récipient jetable. C'est une cuisine de taille importante, dans laquelle on trouve un tunnel de lavage et une zone de plonge. Pas de ligne de thermoscellage pour emballage plastique comme dans la plupart des cuisines centrales françaises. Maxime Cordier, directeur de La Fontenaysienne et diététicien de formation, explique la boucle de réemploi : "Laver, récupérer, déplacer des plaques en inox, sont des tâches qui n'existent pas avec le plastique". Il l'avoue, les contenants réutilisables coûtent cher en hommes et femmes, en euros, et impactent la santé.
Au milieu des années 1990, une hygiénisation s'abat sur la restauration collective, avec la création des cuisines centrales. Elles répondent à un besoin d'uniformiser et rendre un service public de qualité. Elles pallient aussi une désertification des compétences, font baisser les coûts de production et réduisent la masse salariale. Le conditionnement plastique et jetable apparaît alors comme la meilleure solution, plus propre, plus hygiénique, plus léger. Les cuisines collectives deviennent de véritables laboratoires. Maxime Cordier compare ce bouleversement à "une météorite dans l'univers de la restauration collective".
En 1994, le maire de Fontenay-sous-Bois, Louis Bayeurte, souhaite réaliser une restauration scolaire publique et de qualité. Communiste et très attaché aux services publics, il refuse toute intervention du secteur privé. Il fait appel à Michel Frin, concepteur de la cuisine centrale de Trappes (Yvelines), pour créer cette cuisine collective en régie. Mais ce dernier se braque contre les vendeurs de plastiques qui détiennent alors le monopole dans le secteur. Il n'accepte pas que ceux-ci dessinent cette cuisine à sa place. Par souci de contestation, Michel Frin conserve le matériel inox. Maxime Cordier relate les insultes essuyées par les deux hommes à l'époque : "ils étaient traités d'arriérés, d'irresponsables et de maltraitants."
La boucle vertueuse du réemploi à un coût
Toute la cuisine centrale de Fontenay-sous-Bois est construite autour du réemploi. En termes d'effectif, y travaillent 17 cuisiniers, quatre agents pour le magasin et l'approvisionnement, dix pour l'allotissement et les livraisons. Ce réemploi nécessite aussi une tâche supplémentaire dans les écoles, 170 cantiniers qui doivent laver les plaques inox. Maxime Cordier l'accorde : "La boucle de réemploi se staffe". La Fontenaysienne emploie 46 personnes, un effectif divisé par deux dans une restauration collective qui utilise du plastique.
En termes de matériel, pour une ville moyenne l'investissement s'élève à 200 000 euros. Le réemploi coûte aussi plus cher en temps de lavage et en capacité de stockage.
Dans une cantine sans plastique, il faut compter 25 à 30 centimes supplémentaires par repas. Maxime Cordier fait le calcul : "sur un million de repas par an, c'est 300 000 euros". En 25 ans, la cuisine centrale de Fontenay-sous-Bois a fait une grosse économie de plastique, mais la réduction du coût du jetable ne finance pas totalement le personnel supplémentaire (20 à 30%), ni la consommation en eau et en électricité.
Influenceur en cuisine
En 2018, les pouvoirs publics commencent à prendre conscience des problèmes causés par l'usage du plastique. C'est un matériau non recyclable à court terme, provoquant des montagnes de déchets. Des études mettent aussi en évidence le fait que, à forte température, des nanoparticules de plastique se détachent et intègrent les aliments absorbés par le corps humain. Les scientifiques alertent sur l'impact des perturbateurs endocriniens sur la santé. Jérôme Santolini, chercheur en biochimie et président fondateur de l'association Cantine sans plastique, est le premier lanceur d'alerte sur ce problème de l'emploi du plastique en restauration scolaire. "Ces molécules engendrent des problèmes immédiats de puberté précoce mais aussi, à plus long terme, de troubles de l'appareil reproducteur", annonçait-il au micro de France Inter en 2019.
Face à ces questions environnementale et de santé publique, l'article 28 de la loi Egalim votée 2018, impose une sortie des plastiques à usage unique dans les cantines scolaires et universitaire à l'horizon 2025. Dès 2018, la cuisine centrale de Fontenay-sous-Bois croule sous les visites. Des responsables de restauration collective de Lyon, Grenoble ou encore Villeurbanne viennent voir ce qu'est "l'illustration de ce qui fonctionne sans plastique" raconte Maxime Cordier. Mais ce changement radical "ne se fait pas en un claquement de doigt" affirme-t-il, et insiste : "ce n'est pas quand on veut on peut, mais plutôt quand on peut on veut. On ne peut pas modifier les pratiques de centaines de milliers de cantiniers, d'agents de restauration, de cuisiniers, de chauffeurs-livreurs du jour au lendemain".
Il faut également prendre en considération la tâche au travail. Laver toute cette batterie en inox est éreintant pour le corps. La solution est de réduire les tailles de ces contenants, des modèles adaptés pour répondre à un souci de pénibilité.
2025 sans plastique
Il reste encore un petit effort à faire à Fontenay-sous-Bois pour éradiquer totalement le plastique. Une transition est en cours concernant les portages à domicile qui sont livrés à 50 % dans des barquettes plastique. Le réemploi dans un cadre professionnel est simple, mais dans le cadre domestique sa mise en pratique est beaucoup plus compliquée.
Depuis juin 2023, Maxime Cordier fait partie du groupe de travail ministériel qui accompagne la loi Egalim pour trouver des solutions, des livrables et des financements pour les professionnels. Avant de réclamer d'éventuelles subventions de l'Etat, pour Maxime Cordier "il faut d'abord apporter des réponses techniques, et réaliser un état des lieux pour calibrer les financements nécessaires".
Egalement membre de l'association Agores qui rassemble tous les responsables de restauration collective, il connaît bien toutes ces problématiques. L'association a déjà répertorié toutes les alternatives au conditionnement plastique dans deux livres blancs publiés en 2019 et 2021.
Au printemps 2024, sortira également un recueil de toutes les solutions techniques, accompagné d'un annuaire de douze entreprises en mesure de fournir des solutions pour le réemploi : matériel de lavage, fournisseurs d'inox, fournisseurs d'outils de traçabilité.
Problème, toutes les collectivités ne pourront pas investir des sommes aussi conséquentes. Les maires pourront alors se replier sur des dispositifs d'externalisation. Le Syndicat intercommunal Syrec, qui regroupe 22 collectivités locales en Île-de-France, a créé la Semelog. Cette société d’économie mixte locale soutiendra ce changement logistique grâce à une mutualisation des operations de lavage et à la location de contenants en verre et en inox.