La Cour de Cassation a-t-elle mis en porte- à-faux l’avocat général qui dans son réquisitoire affirmait que la justice française était incompétente pour juger cette affaire ? Le point de vue du spécialiste nantais.
En condamnant pénalement et civilement la société Total, la Cour de Cassation a permis de faire appliquer le principe du pollueur-payeur. Elle a également reconnu le préjudice écologique. Son arrêt constitue donc une grande avancée du droit maritime. Cette décision est à l'opposée des conclusions du Ministère public qui lui considérait que la justice française était incompétente pour juger cette affaire car le naufrage avait eu lieu en dehors des eaux territoriales c'est-à-dire au-delà de la zone des 12 milles. Le point de vue du professeur Jean Pierre Beurrier, un spécialiste du droit maritime, ancien professeur de l’université de Nantes.
« Ce qu’a dit l’avocat général n’est pas faux mais il n’a examiné qu’un seul élément parmi d’autres » explique M. Beurier. « Il a focalisé sur le naufrage et il était à côté de la plaque». Pour ce professeur de droit maritime, la Cour de Cassation a remis les pendules à l’heure en posant la bonne question et en condamnant l’affréteur, c'est-à-dire Total. « La Cour a considéré que c’était la cargaison qui avait souillé les 400 km de côtes françaises et comme Total était propriétaire de cette cargaison, il avait affrété un navire de façon téméraire. La Cour d’appel de Paris avait elle parlé d’imprudence. La cour de Cassation va donc plus loin et confirme ce que la Cour d’appel avait bien démontré, le fait que la société mère Total SA était bien le vrai donneur d’ordre et qu’elle était responsable de l’affrètement confié à l’une de ses sociétés filiales indépendantes. »
Pour le professeur Beurrier, la Cour de Cassation s’est appuyée sur 2 principes généraux du droit maritime. Tout d’abord l’article 56-2 de la convention de Montego Bay qui donne juridiction aux Etats dans leur zone économique exclusive (moins de 200 milles des côtes), ce qui est le cas puisque le naufrage a eu lieu à 75 km des côtes. La convention indique que les Etats peuvent protéger leurs ressources économiques en protégeant leur environnement.
La Cour de Cassation s’est également appuyée sur la convention CLC signée à Bruxelles le 29 novembre 1969. La convention indique que le propriétaire de la cargaison est le premier responsable de la pollution par hydrocarbure et qu’il doit dans ce cas là réparer le préjudice au civil. L’indemnisation se fait avec le Fipol, un fonds d’assurance qui agit depuis 1992 jusque dans la zone des 200 milles.
Dernière observation faite par le professeur Beurier : « la Cour de Cassation met un point final à cette affaire car elle a jugé en dernier ressort et un éventuel recours à la Cour des droits de l’homme de Strasbourg n’y changera rien. Cet arrêt du juge suprême est une grande avancée : il fait rentrer dans les mœurs le principe du pollueur payeur jusqu’ici peu appliqué et il reconnaît le préjudice écologique, ce qui est une notion nouvelle. »