Le tribunal des prud’hommes de Saint Nazaire examinait pour la seconde fois, ce lundi, le cas de 3 salariés grecs qui ont travaillé pendant près de 5 mois sur le site d’Acker Yards.
Les faits
Le 14 mars 2008, 3 ouvriers peintres grecs ont entamé une grève de la faim pour dénoncer leurs conditions de travail. Ils travaillaient en moyenne entre 57 et 63 heures par semaine, parfois de nuit ou le week-end selon les besoins mais sans contrat de travail et sans bulletin de salaire. Ils logeaient dans des conditions sordides à 15 par chambre, devaient faire 5km à pied pour se rendre sur leur lieu de travail et ne bénéficiaient pas de paniers repas comme les autres ouvriers des chantiers navals.Les 3 ouvriers réclamaient notamment le paiement des heures supplémentaires. Après 19 jours de grève, ils ont obtenu en partie gain de cause. Aker Yards s’est substituée à leur employeur officiel, la société Elbe basée en Allemagne, pour régler ce litige avec une indemnité forfaitaire de 7 300 euros par « humanisme » et pour solde de tout compte. L’un des 3 grecs est décédé 2 jours après son retour en Grèce.
L’objet du débat judiciaire
Qui était le véritable employeur de ces grecs ? Pour leur avocat, Me Kouvela-Piquet, c’est STX, ex-Aker Yards car c’est le constructeur nazairien qui a bénéficié de leur travail et qui en tant que donneur d’ordre leur fournissait l’activité sur son site, les plannings, les badges et tout le matériel nécessaire à la réalisation de leur travail. Selon cette avocate franco-grecque, STX avait des obligations envers eux car c’est le chantier qui avait passé des contrats avec les sous-traitants.Au contraire, pour l’avocat de STX, Me Amigues, c’est la société Elbe qui est en cause car STX n’a fait que co-contracter un marché avec International Peinture, qui elle-même a sous-traité à Frizz en Allemagne, qui à son tour a sous-traité à Elbe. Cette cascade de sous-traitant déresponsabilise donc STX. Il n’y a pas de lien de subordination entre STX et Elbe. Me Amigues demande donc au tribunal des prud’hommes de se déclarer exceptionnellement incompétent.
L’ennui, c’est que la société Elbe a été dissoute juste après la mise à jour de cette affaire et que donc seul STX est en mesure de payer le préjudice demandé par les plaignants de 200 à 300 000 euros par personne.
Les fautes reprochées
Pour Me Kouvela-Piquet, c’est tout le code du travail qui a été violé. Elle dénonce le licenciement abusif, le non paiement des salaires, le prêt illicite de main d’œuvre, le marchandage et le travail dissimulé. Elle considère qu’il s’agit d’une « forme d’ esclavage moderne ».Pour Me Amigues, STX est un « bouc émissaire ». Il n’y a aucune preuve à charge. Il s’agit d’un « banal litige du travail pour non paiement des heures supplémentaires ». Selon lui, les grecs étaient encadrés par Elbe, une société qui avait pignon sur rue à St Nazaire avec des bureaux et un responsable local qui établissait les plannings et qui gérait les déplacements.
Oui mais voilà, au moment des faits, Elbe n’a fourni aucun document à l’inspection du travail venue vérifier la véracité des faits. Pas de contrats de travail, pas de bulletins de salaire, pas de plannings, pas de registre du personnel. C’est STX qui, 3 ans plus tard, a fourni des contrats mais selon l’avocate des grecs, ils sont incomplets, non signés et non-conformes au droit français.
En fait, tout se passait oralement. Les grecs affirment ne jamais rien avoir signé. Ils étaient payés en espèces et on les menaçait de mort dès qu’ils commençaient à se plaindre. Ils vivaient dans la peur, ce qui explique le peu de plaintes déposées.
Cas unique ou pratique courante ?
Pour Me Kouvela-Piquet, il est très rare que de telles affaires viennent devant les tribunaux. Il faut du courage pour dénoncer de tels faits mais aussi de l’argent. Souvent les ouvriers sont démunis pour livrer une bataille judiciaire face à de grosses entreprises mieux armées et aux reins solides. Sans l’aide de la CGT, sans doute n’y aurait-il pas d’affaire STX.André Fadda, le responsable CGT qui a dénoncé le scandale, estime que le travail dissimulé et le détachement de personnes concerne 250 000 à 300 000 salariés en France. Il touche différent secteurs économiques : la construction navale mais aussi l’agro-alimentaire, le BTP, la métallurgie. Selon M. Fadda, il s’agit d’un système bien rôdé, organisé par le Medef pour pratiquer du dumping social et tirer vers le bas le code du travail et les conventions collectives. Il existe des filières en Allemagne gérées par des turcs ou des pays baltes. Objectif : aller chercher de la main d’œuvre à bas couts dans des pays comme la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie ou la Grèce.
Prochaine affaire en vue pour la CGT mais cette fois au pénal : 230 intérimaires employés sur le chantier de l’EPR à Flamanville. Leur employeur, la société Atlanco, était basé en Irlande mais faisait travailler des polonais avec un contrat d’intérim chypriote sur lequel elle ponctionnait des impôts fictifs de 300 à 400 euros mensuels. L’exploitation n’a pas de limite.
Le tribunal des Prud'hommes rendra sa décision le 04 février prochain.