La crise économique, le chômage, l'exclusion, la montée de l'extrême droite... En cinq années d'existence, le combo nantais Djazafaz a aiguisé son regard sur le monde pour nous offrir un hip hop engagé, dopé au jazz et à la soul. Rencontre...
"Djazafaz, c'est notre blase", chantent les six musiciens du groupe. Un blase qu'ils portent plutôt bien. Créé en 2009 à Nantes, Djazafaz s'est forgé une identité musicale solide à grands renforts de jazz, de hip hop, de soul et de chansons à texte.
Adepte du braquage à mots armés, Djazafaz chauffe son public à blanc avec des rimes qui voient rouge. Dans ses textes, de la poésie bien sûr mais aussi de la colère. Colère face à la crise, à ce monde à la dérive, à l'ignorance qui divise, colère face à la banalisation de certaines idées sectaires.
Et justement, quelques semaines après les élections municipales et européennes qui ont été marquées en France par une poussée de l'extrême droite, Djazafaz poste sur le web "La Peste brune", un clip uppercut. Interview...
Djazafaz c'est quoi avant tout ? Une rencontre musicale ? Une rencontre humaine, intellectuelle ?
Mossah. J'aurai bien aimé que ce soit une rencontre intellectuelle, malheureusement on n'avait pas ça en magasin (rires). Non, plus sérieusement, c'est d'abord une rencontre musicale. Vincz et moi-même étions dans un groupe de rap plutôt classique (2 djs et 2 Mc's) appelé "Le Dispostif" (Découverte printemps de bourges 2008) et nous avons éprouvé le besoin de monter un nouveau projet plus acoustique avec une instrumentation plus riche. On a commencé à trois avec Ludo à la basse et puis Arthur Narcy (Sidony Box…) nous a rejoint au saxophone/clavier. On a alors fait nos premiers concerts sous le nom de Djazafaz. Par la suite il y a eu des arrivées et des départs mais la formation actuelle s'est stabilisée avec Caillou au saxophone/clavier, Pierrot au violoncelle/trompette et Tof à la batterie.Du rap, du jazz, de la soul, de la chanson à texte... Où se trouvent réellement vos racines, vos influences ?
Mossah. Chacun des membres du groupe à des influences assez larges. Certains sont autodidactes, d'autres ont une formation plus académique et ont suivi un cursus en jazz et en classique. Pour nos goûts respectifs, ça va du hip hop à l'électro en passant effectivement par le jazz, la soul, le funk, et la chanson française pour le côté texte.
Comment concevez-vous les morceaux ?
Mossah. Pour l'instant, ça part souvent d'un lyrics (paroles de chanson, ndlr). Ensuite un des gars propose un thème musical au restant du groupe. En fonction du sujet abordé dans le texte, on discute de la couleur la plus appropriée et de ses nuances (allant de très sombre à très solaire). Ceci va nous donner une idée de "l'instrumentarium" le plus pertinent pour ce titre. A partir de là, chacun propose des arrangements. On a vraiment beaucoup de possibilités au niveau du line up (choix des instruments, ndlr), alors il faut parfois tâtonner mais à force de bonne volonté, on trouve généralement un consensus. Par contre, on a parfois du mal à graver ça dans le marbre, et on a plutôt la (fâcheuse) tendance à vouloir réarranger nos morceaux au bout d'un certain temps. Pour être tout à fait honnête, on peut considérer notre set comme un éternel chantier. Dans nos questionnements actuels, on est d'ailleurs en train de réfléchir à revenir à une instrumentation plus minimaliste, avec moins de couleurs d'instruments mais un son plus puissant et plus cohérent d'un bout à l'autre du set. Et clairement, pour tourner, on se rend bien compte que c'est plus simple de voyager léger...Pouvez-vous nous raconter comment est né plus spécifiquement le titre "La Peste brune" ?
Mossah. J'ai écrit le texte en 2013 mais ça faisait un moment déjà que ça me travaillait. J'avais vraiment besoin de réagir à cette espèce de banalisation des idées d'extrême droite en général et du Front national en particulier, que ce soit dans les médias ou dans l'opinion publique. C'est vraiment inquiétant de voir qu'en quelques années seulement, le FN a su dédiaboliser son parti en cachant ses véritables atomes crochus avec des groupuscules fascistes comme le bloc identitaire. Quand on voit que personne dans le reste du paysage politique n'a été capable de proposer une véritable alternative et de s'opposer à cette épidémie, voire même que certains (tous bords confondus) surfent sur ces idées pour en récupérer les électeurs, il y a vraiment de quoi être blasé. Alors ce texte était une façon de ne pas rester passif et de tirer une sonnette d'alarme à mon échelle.Axel Vanlerberghe en a signé le clip, votre premier clip. En êtes-vous satisfaits ?
Vincz. Oui, nous sommes vraiment satisfaits du travail d'Axel alias Cinéaxe. Sa manière de procéder est très professionnelle, rapide et efficace. D'ailleurs, nous travaillons la vidéo avec lui sur la quasi-totalité de nos autres projets (Inuit, Les Fantastiks, Sweatlodge, etc...). De nombreux artistes de la région font appel à ses talents, il est plein d'avenir et j'invite chaque lecteur à découvrir son travail sur sa chaîne youtube. Il filme nos lives depuis le début du groupe et ça a été très agréable de pouvoir passer à un format "clip" avec lui. Sur ce sujet délicat de la montée de l'extrême droite, le texte de "La Peste brune" est volontairement explicite et nous souhaitions une approche esthétique assez brute, sombre et minimaliste.D'où le choix d'un seul lieu froid, industriel et claustrophobique. Nous nous sommes ainsi concentrés sur les ambiances de couleurs et de textures et sur l'imagerie grâce à la performeuse-Danseuse Bûto Annie Lam .
L'écriture du scénario et de la scénographie (lieu, accessoires, attitude des personnage...) s'est faite en amont par Ludo et moi-même, et Annie a, de son côté, travaillé l'imagerie par la danse. Elle nous a fait des propositions que nous avons réadaptées ensemble. Ensuite Axel est rapidement intervenu pour fixer le déroulement, le timing, les plans et les aspects techniques. Nous avons tout auto-produit avec de petits moyens et un budget serré, nous sommes donc très fiers du résultat. D'autres clips sont en cours de réflexion et si nous devions retravailler avec Axel et son équipe, ça serait avec plaisir.
Connaissiez-vous avant la réalisation de ce clip le travail d'Annie Lam ?
Mossah. On a rencontré Annie par l'intermédiaire d'Arthur qui était donc notre premier saxophoniste. J'avais vu une de leurs performances place St Nicolas dans le centre ville de Nantes, à 18 h devant un public archi familial. La claque ! je connaissais le travail de musique improvisée d'Arthur mais j'avais jamais vu de danse Bûto, et là, au milieu des poussettes et des mamies bouche bée, c'était énorme !Selon vous, une chanson peut-elle changer le monde ?
Mossah. j'avoue que je n'ai pas la réponse mais dans le doute ça vaut le coup d'essayer (rires)Comment avez-vous vécu les dernières élections municipales et européennes ? Avez-vous d'ailleurs voté ?
Mossah. Personnellement j'ai voté. Après, dans le groupe beaucoup n'y sont pas allés. Quand on voit le fiasco du spectacle proposé par la classe politique, je ne jetterai pas la pierre à ceux qui gonflent les rangs de l'abstention et je regrette juste qu'on ne comptabilise pas le vote blanc comme un vote exprimé, ce qui aurait le mérite de faire baisser la part des gens de l'extrême droite qui eux n'oublient jamais d'aller aux urnes.Contrairement à des groupes comme Soul Square, vous chantez principalement en français. Pourquoi ce choix ?
Mossah. Je mets un point d'honneur à défendre la culture française et l'identité nationale contre les agressions des envahisseurs étrangers ! Nan, j'déconne, à vrai dire, j'ai pas trop le choix, c'est la seule langue que je maîtrise et encore... (rires).D'une façon générale, que racontent vos chansons ?
Mossah. Je suis né en 1976 et j'ai été fortement marqué par le rap français des nineties avec des groupes de "rap conscient" issus de ce qu'on appelle la "old school" comme IAM, NTM, Assassin, la Scred connexion… Même s'ils avaient certains morceaux plus funs et festifs, l'essentiel résidait quand même dans le côté militant des paroles.Du coup, c'est un peu un réflexe pour moi de me servir de l'écriture comme d'un outil pour dépeindre le monde dans lequel je vis, c'est une forme personnelle d'engagement politique qui me plait. Dans les autres titres du set, j'aborde des sujets de société comme le spectre de la crise, la société du spectacle, le conflit israélo-palestinien ou les rapports ambigus qu’entretient la sphère politique avec certains médias.
Pour vous la musique est-elle indissociable d'un certain engagement ?
Mossah. Dans mon cas personnel, c'est clair que j'aurai du mal à écrire et chanter des morceaux de "variété" dont l'unique vocation serait de divertir sans faire un minimum réfléchir. Après, il n'y a heureusement pas qu'une seule manière d'appréhender l'art en général et la musique en particulier, et j'aime aussi écouter des artistes qui mettent plus l'accent sur l'émotion que sur l'énergie ou avec une approche plus subtile et poétique qu'un engagement premier degré.Quel regard portez vous sur la scène nantaise ?
Mossah. J'ai l'impression qu'il y a une vraie richesse et un vrai dynamisme artistique sur Nantes. Pour preuve le nombre d'événements, concerts et autres festivals qui noircissent les pages des agendas culturels. Il faut d'ailleurs souligner le rôle vital des petits lieux de diffusion et autres cafés-culture qui sont vraiment indispensables pour l'émergence artistique et en particulier celle des groupes locaux. Après, une fois qu'on a dit ça, on peut s'interroger sur le peu de groupes nantais qui arrivent à vraiment décoller en national et là dessus je ne pense pas que ce soit la mission des petits lieux, surtout quand on voit les contraintes restrictives qu'ils subissent en terme de diffusion notamment dans nos centres villes vieillissant.Pensez-vous que le succès de C2C ait créé une dynamique hip hop à Nantes ?
Mossah. Effectivement, ce qui est remarquable c'est que les C2C ont mis sous les projecteurs une des plus anciennes disciplines du hip hop, à savoir le turntablism, et l'ont amené auprès du grand public. Certains stéréotypes ont la peau dure, et les 4 Nantais ont su les faire voler en éclat en démontrant que les dj sont de véritables musiciens que ce soit en hiphop ou en électro plus largement.Quel commentaire vous suggère cette vidéo ? Soul Square...
Et celle-ci ? Cabadzi...
Quel est le dernier concert que vous ayez vu ?
Mossah. Avec Boombap Pushers, un autre projet de hip hop africain dans lequel je fais les machines, on a joué récemment avec un groupe de soul nantais qui s'appelle Motion, et j'ai vraiment apprécié l'énergie et la voix de Kissia, la chanteuse et le groove du trio basse-batterie-clavier, vraiment bonne vibe.##fr3r_https_disabled##