Bien plus qu'un groupe engagé, Cabadzi est un groupe enragé. Pas question pour lui de délivrer une pensée prête à consommer sur place, pas question non plus de rester indifférent au sort du monde. Rencontre avec un groupe qui n'a jamais mâché ses mots !
Nous les avions rencontrés il y a deux ans à l'occasion de la sortie de l'album, "Digère et recrache". À l'époque déjà, les textes du groupe faisaient l'effet d'un uppercut, direct dans le flanc de nos bons sentiments, de nos croyances rassurantes.
On aurait pu les imaginer assagis avec l'âge. Que nenni ! Ils sont comme ça les Cabadzi, entiers, fidèles à eux-mêmes, le regard toujours droit devant, l'oeil incisif, la plume acérée.
Preuve en est ce troisième album "Des angles et des épines" qui les a jeté une nouvelle fois sur les routes de France et de Navarre. Trois soirs durant, du 29 au 31, ils seront en concert dans la région, le jeudi 29 à l'Excelsior à Allonnes, le vendredi 30 au 6par4 à Laval et le samedi 31 à Fuzz'Yon à La Roche-sur-Yon. Rencontre...
Le groupe est né sur une piste de cirque. Est-ce que l'univers circassien vous manque parfois ?
On y repense de temps en temps, et ce n’est pas impossible qu’à l’avenir on rachète des structures mobiles pour y jouer nos concerts… Mais dire qu’il nous manque, c’est compliqué d’y répondre. C’est un univers qui nous a façonné, duquel on retire toutes nos méthodes de travail, à base d’auto production et de multi-casquettes. Donc à part le décorum, c’est encore là, en nous.Comment bascule-t-on des arts de la piste aux arts de la scène ?
Sur un accident de parcours, tout simplement. Un de nos artistes a été débauché en 2009 par une énorme compagnie canadienne. On a vite vu ce qui nous restait : la musique. Ça a été aussi simple et direct que ça."Des angles et des épines" est votre troisième album. Pourquoi ce titre ? Que raconte-t-il ?
Il raconte ce qu’on est : des gens entre deux. Entre l’urbain et la nature. Entre le désir d’une musique hip hop très carrée, presque mathématique et un élan sauvage, brut. C’est cet entre-deux que l’on narre dans l’album, au travers d’un personnage, que l’on suit du premier au dernier titre, et qui lui aussi erre entre ces deux univers.`Qu'est-ce qui vous fait lever le matin et avancer la journée ?
Créer. Et même si les journées ne peuvent malheureusement pas être consacrées entièrement à cela, une part de notre cerveau veille, sans discontinuer. Et ce sont souvent ces idées « flash » , ces germes de pensée qui se retrouvent dans nos morceaux, nos clips… C’est ça qui rend heureux quoi, construire, tout le temps, petit à petit.De quels groupes vous sentez-vous proches ? A quelle famille musicale appartenez-vous ?
On a vraiment du mal à répondre à cette question. On écoute beaucoup de musiques anglo-saxonnes et beaucoup de « world », même si ce ne mot ne veut pas dire grand-chose. On a surtout le sentiment d’appartenir à une génération qui, grâce à internet, n’a pas vraiment de chapelle musicale. De nouveaux projets débarquent chaque jour, le métissage s’accroit lui aussi chaque jour, c’est le point extrêmement positif de cette mondialisation de la musique. Donc pour résumer, on a surtout le sentiment d’appartenir à une espèce de « sono mondiale ».Quel commentaire vous suggère cette vidéo ? Noir Désir...
Et celle-ci ? Fauve...
Vous refusez je crois le terme de groupe engagé. Pourtant vos textes sont plutôt acides et engagés non ?
Ce n’est pas vraiment qu’on le refuse, mais on préfère parler de textes conscients. On ne donne pas de réponse, on ne propose pas une pensée toute prête, on tient juste à susciter l’interrogation, le questionnement. Être engagé en musique se résume trop souvent à un prêt à penser réducteur qui ne nous touche pas, et à une posture qu’on trouve en plus totalement démago. On a simplement envie d’aborder certains thèmes, d’engager des réflexions au travers de nos morceaux.Vous signez la musique et les paroles bien sûr, vous réalisez vos clips, vous autoproduisez vos albums, vous les empaquetez vous-même, vous êtes à fond sur les réseaux sociaux... Trouvez-vous encore le temps de dormir et de vivre ?
Évidemment ! Ce n’est pas forcément plus long de tout faire par soi même, au contraire. C’est aussi le moyen d’éviter de perdre du temps. Et puis c’est plus fantasmé que réel, beaucoup de gens nous aident, à chaque étape, pour chaque projet. On aime s’entourer, c’est juste qu’on aime aussi, pour la cohérence du projet, être maître des choses du début à la fin, ça nous paraît logique.On a laissé le terrain des idéaux à certains éditorialistes, chroniqueurs, essayistes qui n’ont d’autre but que la plus grande confusion idéologique pour asseoir leurs amalgames destructeurs
Au moment de l'attentat dans les locaux de Charlie, alors que tout le monde allait de son hommage sur Facebook via un dessin ou une chanson... vous avez posté un texte très noir, corrosif, amer. Vous parlez du vide créé par les "créateurs, organisateurs, médias" aujourd'hui comblé par les "opinions décomplexées et les fanatismes religieux, économiques". Pensez-vous vraiment que le monde de la culture et des médias ont leur part de responsabilité dans ces actes odieux ? Croyez-vous aujourd'hui à un sursaut citoyen ?
Les médias n’ont évidemment pas de relation directe avec ces actes. Ce qu’on a voulu dire dans ce texte, c’est qu’il nous paraît indispensable de « remplir » de discours humaniste toute création, qu’elle soit journalistique, musicale, plastique… C’est le seul moyen de contrer les opinions haineuses qui vont évidemment déferler après de tels actes… On a laissé le terrain des idéaux à certains éditorialistes, chroniqueurs, essayistes qui n’ont d’autre but que la plus grande confusion idéologique pour asseoir leurs amalgames destructeurs. C’est ça qui est dommage. On a en quelque sorte « oublié » de défendre les valeurs des Lumières. Ça n’aurait rien changé à ces actes en eux-mêmes, mais aux conséquences qui s’annoncent, ça c’est certain.Merci Cabadzi
Propos recueillis le jeudi 22 janvier par Eric Guillaud. Toutes les infos sur le groupe ici et là