Parfois, une bonne nouvelle peut en cacher une autre. Avec le groupe nanto-angevin A Singer Must Die, elles auraient même tendance à se bousculer. Un album, une tournée en Angleterre, un concert événement avec l'orchestre symphonique d'Anjou... bref, de quoi croquer la pop à pleines dents !
Ça fait exactement dix ans, oui dix ans, que l'aventure du groupe A SInger Must Die a débuté. Dix ans, des concerts un peu partout et notamment en Angleterre, des sessions live à la BBC et un album en 2007, "Today, it's a Wonderful Day" produit par une maison écossaise.
Mais il faut attendre 2011 pour voir le groupe se stabiliser autour des six musiciens actuels. Manuel Ferrer au chant, Manuel Bichon à la guitare, Olivier Bucquet à la guitare, aux claviers et au saxophone, Gurvan L'helgoualc'h à la basse, Régis Martel à la batterie et Emilie Buttazzoni au vibraphone et claviers.
Ensemble, ils travaillent en 2012 sur le projet de livre-objet "Terres Neuves" initié par le photographe Jérôme Sevrette et dans lequel se répondent photographie, musique et écriture. Puis, ils s'attaquent à un nouvel album, "Venus parade" disponible en numérique et cd un peu partout en France depuis octobre 2014, 12 titres de pop à la fois atmosphérique et orchestral, mélancolique et solaire.
Avant de s'atteler à l'écriture de nouveaux morceaux, le groupe s'offre un concert symphonique sur la scène du Grand théâtre d'Angers avec l'Orchestre de Chambre d'Anjou. Un rêve un peu dingue qui rassemblera une trentaine de musiciens sur scène le mercredi 8 avril. Manuel Ferrer et Manuel Bichon nous en disent un peu plus sur cet événement mais aussi sur le groupe, l'album, les projets... Interview !
Votre nom, A Singer Must Die, est le titre d'une chanson de Léonard Cohen. Que vous inspire l'univers de cette chanson pour l’avoir ainsi choisie ?
Manuel Ferrer. Cette chanson rassemble beaucoup de choses qu'on aime, au fond. Il suffit d'écouter l'entrée du chant, à chaque fois, j'ai l'impression qu'elle est en train de s'écrire sous nos yeux. Cohen nous parle en nous prenant gentiment par le col, avec une belle dose d'ironie, de distance et de résistance. C'est la naissance de quelque chose, un hymne intime et incroyablement vivant que Cohen lance au monde.Nous nous sommes rencontrés en avril 2013, il y a donc tout juste deux ans pour une première interview. Deux ans dans la vie d'un groupe, c'est à la fois beaucoup et très peu. Que retenez-vous de cette période ?
M.F. Des efforts dingues pour que ce disque puisse trouver quelques espaces pour exister, et dans le même temps, je sais que ces efforts ont été porteurs. Chanter en anglais et défendre un album sans maison de disques sont autant d'obstacles qui impliquent de retrousser ses manches à deux reprises. Cette sortie de disques a déclenché de très belles rencontres, c'est surtout ce que je retiens.Nouvel album, nouveaux musiciens, des concerts, pas mal de projets... A Singer Must Die est cette fois sur la bonne voie ?
M.F. Cette période est très stimulante, c'est vrai. Je suis en train de me concentrer sur l'écriture de nouveaux titres qui ont été composés depuis l'album, et qui seront joués sur scène.Peut-on voir l’ingénieur du son Ian Caple comme le septième musicien du groupe ? Comment l’avez vous rencontré ?
M.F. Les maquettes étaient fraîchement enregistrées, je lui ai envoyé un message pour lui demander comment il entendait ça, s'il était partant pour prendre en main le mix, réenregistrer les voix...C'était une bouteille à la mer et à vrai dire, je ne m'attendais même pas à ce qu'il écoute, et encore moins qu'il réponde avec autant d'enthousiasme. L'envie de travailler ensemble s'est jouée en deux heures.Manuel Bichon. Il n'a pas été un 7e musicien qui aurait pu apporter un complément, des idées nouvelles, un avis en plus de tous les autres. Ian a apporté en toute simplicité et avec talent le cadre sonore qu'il fallait à notre album, il a su éclaircir certains titres aux arrangements très riches, révéler certaines subtilités, donner une belle couleur à cet ensemble.
Est-ce que ça pourrait ressembler au bonheur tout ça ?
M.F. On s'en rapproche, oui ! Faire une nouvelle chanson dont on a le sentiment qu'elle est bonne, c'est déjà en soi un vrai bonheur.Je considère que nous avons beaucoup de chance de faire des choix que nous ne devons qu'à nous-mêmes, et beaucoup de chance, tout court.
Quand j'étais adolescent, j'écoutais surtout des trucs insipides qui passaient à la radio et une amie me fait enfin découvrir la musique avec les Doors
On connaît vos influences, depuis The Smiths jusqu'à Pulp, en passant par David Bowie ou The Divine Comedy, mais quel groupe, musicien, titre, a été pour vous le déclic, celui qui vous a donné purement et simplement envie de faire de la musique ?
M.F. Quand j'étais adolescent, j'écoutais surtout des trucs insipides qui passaient à la radio et une amie me fait enfin découvrir la musique avec les Doors : je voulais être Jim Morrison...mais je sentais bien que ça n'allait pas être simple (rires). Je crois qu'un concert marquant de Marc Seberg dans les années 80 a eu un effet déclencheur, c'était près de nous, faire de la musique devenait possible, j'étais un très grand fan de leur musique totalement magnétique. Quant à l'histoire de A Singer Must Die, c'est Elliott Smith qui m'a donné envie de m'y remettre en 2005, j'avais d'ailleurs écrit à l'époque une chanson en hommage qui s'appelait "Le Grand Huit", qu'on n'a jamais enregistrée.M.B. Le premier souvenir très précis est un 33 tours d'un live de James Last Orchestra que ma sœur et moi mettions en boucle à la maison. Ce groupe réarrangeait des standards de variétés des années 70, c'était l'époque des grands orchestres et j'étais subjugué par la dynamique et la multitude des sonorités qu'il pouvait y avoir. j'avais une sensation de bien-être total à chaque écoute.
Jouer sur scène avec un orchestre symphonique était pour vous un rêve un peu fou. Il est en passe de devenir réalité. Pouvez-vous nous raconter comment cette idée a germé dans votre esprit et comment elle a pu finalement se concrétiser ?
M.F. On a joué en octobre 2014 à Angers dans notre formule habituelle à six, ça nous chagrinait un peu d'imaginer que nous allions jouer six mois plus tard à Angers pour faire le même concert. On s'est demandé ce qu'on allait bien pouvoir apporter de plus. L'idée de jouer avec des instruments classiques était en germe depuis longtemps, et même si c'est compliqué à réaliser, on n'a pas hésité une seconde à contacter différents orchestres, le Grand Théâtre est un lieu magique et historique, c'est le lieu idéal pour se prêter à cette aventure-là. Lorsqu'on a rencontré les personnes de l'Orchestre de Chambre d'Anjou, on a eu affaire à des personnes extrêmement ouvertes, qui avaient envie d'innover de leur côté, de bifurquer un peu par rapport au répertoire classique qu'ils ont l'habitude de jouer : on ne pouvait pas tomber mieux.Une bonne nouvelle ne venant jamais seule, je crois que ce concert sera capté par France Inter...
M.F. Ça fait partie des bonnes nouvelles inattendues. Tout est parti d'un échange avec Alain Maneval qui a beaucoup aimé nos chansons, il nous a programmé dans son émission L'album de minuit en annonçant à l'antenne qu'il sera présent. J'ai dû lui envoyer dans la foulée un message du genre "Vraiment ? Vous êtes sûr...?". Et de fil en aiguille, il est allé plus loin en décidant de capter le concert et de nous interviewer. C'est un grand honneur pour nous.Même si l'esprit orchestral et symphonique est très présent dans l'album avec notamment pas mal de sons d'instruments classiques, je suppose qu'il vous a fallu faire un travail conséquent d'adaptation, de réécriture...
M.B. Oui, il a fallu adapter les arrangements en fonction de l'orchestre, du nombre de musiciens, compléter certains titres, ré-arranger de manière différente sur d'autres. Contourner des contraintes aussi, afin d'éviter d'avoir des instruments qui ne joueraient que 12 mesures sur un concert d'1h30...c'est un équilibre à trouver.J'ai commencé réellement la réécriture des arrangements en novembre dernier, afin que Pierre-Antoine Marçais, le chef d'orchestre, puisse regarder les partitions début février. Depuis nous communiquons régulièrement afin qu'il me conseille et me guide pour faire sonner certaines parties d'arrangements d'une meilleure façon, son aide m'est vraiment très précieuse, c'est un vrai plaisir de partage.
voilà, on y est, ces orchestrations qui s'étaient planquées dans un coin de notre imaginaire, des chansons qu'on a confiées à d'autres musiciens deviennent bien réelles tout d'un coup
Une première lecture par l'Orchestre de Chambre d'Anjou a eu lieu début mars. Comment s'est-elle déroulée ? A-t-elle levé toutes les inquiétudes que vous pouviez avoir ?
M.B. La première lecture est un moment très particulier ou l'appréhension prédomine jusqu'aux premières notes. L'inquiétude du compositeur incompris disparaît aussitôt le premier titre joué "Canal Saint-Martin". Des frissons, un regard avec Manuel, un sourire jusqu'aux oreilles, c'est beau, je le savais, j'en étais sûr !Je fut très impressionné par le talent individuel des musiciens, Victor le corniste de l'orchestre, jeune comme tout qui sans broncher, nous joue une partie trop haute pour son instrument avec une facilité déconcertante.
Cet orchestre c'est la décontraction et le talent, c'est un vrai plaisir de les entendre. Je fut également très impressionné par la maîtrise et le professionnalisme de Pierre-Antoine que je voyais diriger pour la 1ère fois. Tout au long de la répétition, j'ai eu le sentiment qu'il savait ce que j'attendais, comme si toutes ces notes sur les partitions étaient venues de lui-même.
M.F. D'autant que Pierre-Antoine est particulièrement expressif...Moi je ne quittais pas des yeux les mouvements de ses mains en me disant "voilà, on y est, ces orchestrations qui s'étaient planquées dans un coin de notre imaginaire, des chansons qu'on a confiées à d'autres musiciens deviennent bien réelles tout d'un coup". Ils étaient en train de nous rendre nos propres chansons en cadeau, et avec force. C'est magique et étrange. Elles resurgissent par un autre langage et c'est d'une émotion sidérante.
L'Américain Kramies jouera en première partie. Pouvez-vous nous le présenter en quelques mots ?
M.F. Kramies fait une pop merveilleuse, sa musique me fait penser à la manière de filmer d'Antonioni : la caméra tourne un peu avant que le sujet n'entre dans le champ, et continue encore quelques secondes à filmer après que les personnages aient disparu. Kramies, c'est ça, il a une capacité incroyable à étirer l'espace avec ses chansons, ça leur donne une hauteur impressionnante. Il est brillant.Quel commentaire vous suggère cette vidéo ?
M.F. C'est la perfection absolue, ça emporte tout sur son passage. Je ne crois pas avoir entendu autant de richesse harmonique que dans la voix de Morrissey, c'est époustouflant, il chante épée à la main, comme s'il avait voulu en découdre avec le monde. Les Smiths ont inventé un genre en soi, ils ont eu cette capacité inouïe à des faire chansons conquérantes à partir de thèmes très intimes. Le dernier album de Morrissey est admirable.
Et celle-ci ?
Quel est le dernier concert que vous ayez vu et apprécié ?
M.F. Il y a quelques mois, j'ai vu l'immense concert de Slowdive à la Route du Rock et là, c'était bouleversant.Plus près de nous, j'ai eu l'occasion de voir Jean-Louis Bergère, il a une belle présence toute naturelle sur scène, une aura d'une force rare pour imposer son propre tempo et une écriture qui me touche beaucoup, sa musique vous happe immédiatement. Je l'ai vu dans une formule très envoûtante à quatre musiciens.
M.B. J'ai énormément apprécié le concert de Miossec, j'y ai trouvé une subtilité musicale que j'affectionne et puis certains textes sont vraiment fabuleux.
Hormis ce concert événement, quels sont les projets du groupe pour les mois à venir ?
M.B. Quelques dates en Angleterre en mai, à l'invitation du groupe Band Of Holy Joy, ce sera de magnifiques retrouvailles.Ce sera ensuite l'heure de retourner à l'enregistrement de nouvelles chansons. Et puis nous avons la chance d'avoir l'appui de l'Université d'Angers qui soutient largement notre démarche artistique, sans trop en dire nous serons sur la scène de leur festival "Campus Day" en septembre 2015.
Merci A Singer Must Die, merci Manuel et Manuel
Propos recueillis le 15 mars par Eric GuillaudPlus d'infos sur le groupe A Singer Must Die ici et là, plus d'infos sur l'Orchestre de Chambre d'Anjou ici