Chaque année à pareille époque, les présentoirs des librairies croulent sous les albums, des centaines de nouveautés, de quoi s'égarer, ne plus savoir où donner de la tête et des yeux. Humour, action, biopic, récit intimiste ou aventure au long cours, voici nos dix coups de coeur du moment...
1. "Madeleine, résistante" : une histoire d'engagement et de courage au féminin
À l’instar de la Grande guerre, la seconde guerre mondiale inspire quantité de fictions, documentaires ou biographies. En voici une nouvelle page avec la vie de Madeleine Riffaud, 96 ans, résistante jusqu’au bout de la vie, un fabuleux témoignage sur la liberté…
Sur le compte Facebook du dessinateur Dominique Bertail, on peut lire : « Notre album Madeleine, résistante, avec Madeleine Riffaud et Jean David Morvan, chez Aire Libre aux Éditions Dupuis, vient de sortir !!! Mélange d’émotion et de fierté. L’album est beau, bien imprimé, sur du beau papier et il sent bon ».
Et tout est vrai, aucunement exagéré, il est beau et il sent bon, il sent bon le travail bien fait, le travail de passionnés. Au scénario, Jean David Morvan (Sillage, 7 Secondes, Nomad…), au dessin Dominique Bertail (L’enfer des Pelgram, Ghost Money…), deux auteurs qu’on ne présente plus, accompagnés pour le coup d’une jeune autrice de bande dessinée, Riffaud, Madeleine de son prénom, 96 ans et une vie incroyable au service de la liberté.
Madeleine, résistante est le portrait de cette dernière, née en 1924, résistante à 18 ans, grand reporter par la suite, combattante éternelle pour la décolonisation, l’oppression des peuples d’une manière générale, amie de Picasso et Hô Chi Minh, bref un personnage comme seules les grandes heures de l’histoire peut en fabriquer, une femme pleine de courage mais surtout d’humilité bien décidée à transmettre dans les pages de cet album son histoire et au-delà, un esprit, celui de l’engagement et de la Résistance.
« Ne jamais pleurer sur l’état de son pays ou sur son propre sort. Aucune cause n’est jamais perdue, sauf si on abandonne », écrit-elle en préface.
Prépublié sous la forme de trois cahiers « work in progress » entre juillet 2020 et juin 2021, aujourd’hui disponible en album, ce premier des trois volets annoncés allie la force du témoignage historique et le souffle de l’aventure avec un scénario taillé au cordeau et un trait fin et précis, des planches en bichromie d’une beauté exemplaire, et bien sûr une histoire passionnante !
2. "Meadowlark" : un polar coup de poing
Ce duo-là nous avait déjà subjugué en 2017 avec l’album Indeh qui revenait sur le destin tragique des Apaches. Il nous bluffe à nouveau avec ce polar, une histoire de voyous mais aussi une histoire de famille et d’amour filial…
L’affiche trône comme un trophée juste au-dessus du lit du jeune Cooper. Une fierté. SA fierté ! Et pour cause, elle annonce une rencontre au sommet entre Domingo « Ringo » Rojas et Jack « Meadowlark » Johnson, son père, un champion de boxe, un vrai fauve… à l’époque.
Aujourd’hui, Meadowlark a raccroché les gants et la hargne qui va avec. Il est devenu gardien de prison. Ça ne nourrit pas vraiment son homme. Ça fait d’ailleurs un bail qu’il n’a pas payé la pension alimentaire pour son fiston justement qu’il voit de temps en temps quand tout va bien.
On ne peut pas dire que tout aille bien ce matin-là quand il déboule chez son ex. Non seulement, Cooper a piqué les roues de la Firebird qui sert désormais au beau-père, mais il s’est fait virer de l’école.
« J’ai fait tomber un joint de mon sac pendant le cours de M. Pikett. Et ils en ont trouvé d’autres dans mon casier… Et de l’acide ».
Bon, pas de quoi l’emmener en prison me direz-vous, il va pourtant y faire un passage ce jour-là pour accompagner son père au boulot. Au mauvais endroit, au mauvais moment, une émeute éclate dans un des blocs de la prison, des gardiens sont tués, des prisonniers s’évadent…
« Je dois mettre ces sauvages hors d’état de nuire », s’exclame Meadowlark. « Tu te prends pour qui ? Le shérif de Dodge City ? », lui rétorque Cooper.
Et voilà nos deux héros embarqués dans un mauvais roadtrip, une sale histoire qui révélera de sombres secrets et qui ne finira pas, on s'en doute, comme un conte de fées…
Décidément, la collaboration entre le dessinateur Greg Ruth et le réalisateur, acteur, écrivain et scénariste Ethan Hawke est des plus payantes. Après le magnifique Indeh publié en 2017 aux éditions Hachette Comics, ils nous offrent ici un thriller noir en même temps qu’un mélodrame familial. L’atmosphère est lourde, poisseuse, ça suinte à toutes les cases, un récit intense, un découpage efficace, un graphisme réaliste toujours aussi percutant, des dialogues qui vont à l’essentiel et des personnages à fort caractère, Meadowlark relève du genre génial et indispensable.
3. "Les Grands cerfs" : un hymne à la nature
Soleil brûlant en Algérie, Capitaine Tikhomiroff, Le Rapport W, et aujourd’hui Les Grand cerfs, chaque album de Gaétan Nocq est un sacré voyage doublé d’une rencontre. Cette fois, pas de retour dans le passé, il nous emmène dans les Vosges d’aujourd’hui pour retrouver une femme, Claudie Hunzinger, artiste plasticienne et romancière.
Avec son mari, elle s’est installée dans une ancienne métairie isolée au coeur de la forêt pour « fuir le bruit des hommes » et surtout vivre la nature, sentir ses odeurs, partager le territoire des animaux sauvages et notamment des cerfs. De cette expérience, elle a écrit un livre, Les Grands cerfs, publié en août 2019 aux éditions Grasset. L’héroïne se prénomme Pamina, son mari, Nils, des personnages fictifs, une part d’imaginaire pour une histoire vraie.
C’est en écoutant L’Heure bleue, l’émission de Laure Adler sur France Inter, que Gaétan Nocq découvre l’existence de ce livre et son auteure. Le plaidoyer qu’il entend, « un plaidoyer à la fois poétique et alarmant sur l’état de la nature sauvage aujourd’hui », dira-t-il le touche, l’intrigue même. Au point qu’il décide d’adapter le roman en bande dessinée. Et le résultat est là !
Gaëtan Nocq signe ici un magnifique ouvrage, une fidèle adaptation avec un parti pris autour de la couleur surprenant mais assumé, des teintes bleues et rouges qu’il défend par son souhait « d’exprimer un climat, un état psychologique ».
Et ça fonctionne, Les Grand cerfs, la bande dessinée comme le roman, nous parle de l’amour que porte cette jeune femme pour la nature sauvage, prête à passer ses nuits dehors à l’affût, pour apercevoir les cerfs, « On suit Pamina dans son travail de repérage, sa quête de traces, d’indices de renseignements ». Il nous parle aussi du travail de l’ONF, l’Office National des Forêts, qui se doit de réguler avec les chasseurs leur population.
« Beaucoup de choses m’ont interpellé dans son roman, le lieu, ce monde à part, cette vallée des Vosges, la découverte de la nature sauvage, un « roman de grand air » comme elle le dit. Mais ce n’est pas Bambi, c’est un roman qui s’ancre dans le réel et qui interroge notre monde contemporain ».
Parce que la beauté a toujours côtoyé la cruauté, Les grands cerfs n’offre pas une fin heureuse. C’est en tout cas une histoire qui nous ouvre les yeux sur la richesse, la diversité, de la faune sauvage de nos forêts et qui nous apprend beaucoup sur nous-mêmes.
4. "Tananarive" : l'aventure fantasmée
Le dessinateur Sylvain Vallée rêvait de prendre une année sabbatique, de s’éloigner un peu de la bande dessinée, jusqu’au jour où il reçoit le scénario de Mark Eacersall et en tombe raide dingue pour la simple et bonne raison qu’il mettait en scène deux vieillards. Bingo ! Tananarive est l’un des plus beaux albums de la rentrée. Une histoire à la fois intime et universelle, douce et dingue, dramatique et poétique…
Bon, on ne va pas vous faire languir sur le coup, vous obliger à lire cette chronique jusqu’à la dernière ligne, on vous le dit d’entrée, l’album de Sylvain Vallée et Mark Eacersall est un pur bonheur, un gros chef-d’oeuvre, le genre de bouquin qui vous fait aimer encore plus la bande dessinée. De la première à la dernière page, tout est un régal, les dialogues, les dessins, le découpage, le rythme, les couleurs et bien sûr l’histoire.
L’histoire justement, celle d’un notaire, Amédée, le chauve avec son imper et son faux air de Jérôme K Jérôme Bloche, vous savez le détective de Dodier, ici en version retraité. Cette ressemblance tombe bien parce que le notaire, enfin l’ex-notaire, se transforme dans le récit en détective. C’est pour ça qu’il a ressorti l’imper. Pour faire vrai. Et la petite Triumph cabriolet sport qui va bien. L’aventure avec un grand A ne se vit pas avec un monospace tout de même.
Tout commence un soir chez Jo, son ami le plus proche. Sa maison est en face de la sienne. Tous les deux refont le monde à la façon du film Un Singe en hiver avec Gabin et Belmondo. Un verre à la main, Jo raconte sa vie d’aventurier, Diên Biên Phu, la Mer rouge, les pirates, les Guaranis… devant un Amédée conquis. Qui en redemande. Mais il est 11 heures, et il ne faut pas rater le sommeil de 11 heures lui dit Jo. La suite demain. Mais le lendemain, Jo meurt d’une crise cardiaque, laissant Amédée dans le plus grand désarroi. Prêt lui aussi à se laisser mourir.
Et puis non ! Amédée se ressaisit et décide de partir à la recherche des héritiers. Pas de testament, pas d’enfants connus. Amédée va devoir retrouver les traces de l’état civil de son ami, aller à Madagascar où il disait être né avant de voyager partout à travers le monde. Madagascar ? Non, finalement, ce sera Charleville. C’est marqué sur l’acte de décès, en toutes lettres : « Monsieur Joseph Gaston Seigneur, né à Charleville ». Celui qu’il croyait connaître par coeur avait ses petits et grands secrets. Et Amédée n’a pas fini d’en apprendre sur son ami…
Magistral ! je vous le disais. Sylvain Vallée et Mark Eacersall mettent en scène une aventure humaine à la fois pleine de poésie, de sagesse et de drôlerie entre deux septuagénaires, le premier qui n’a pas franchement profité de la vie, pépère avant l’heure, et le second, qui l’a passée à travestir la réalité, fantasmer un destin d’aventurier au long cours Tananarive parle de l’amitié bien sûr, de la mort un peu, de la vie beaucoup, de ce qu’on en fait, de ce qu’on laisse en héritage. Un tourbillon d’émotions !
5. "Océan noir" : Un Corto Maltese nouvelle génération
Ce n’est pas la première fois qu’un héros de papier survit à son créateur, ce n’est pas non plus la première fois que Corto Maltese repart à l’aventure depuis la disparition d’Hugo Pratt. Alors pourquoi tant d’amour et de haine autour de cet « album événement » sorti chez Casterman et signé Martin Quenehen et Bastien Vivès ? Réponse ici…
Le secret a été bien gardé jusqu’au jour de sa sortie, le 1er septembre. Ou presque ! Les plus avertis des amateurs de bandes dessinées ont pu bénéficier de quelques fuites ici ou là. Mais rien qui ne pouvait atteindre le grand public, celui à qui s’adresse ce nouvel album.
Car Corto Maltese n’est pas n’importe quel héros de papier. C’est l’un des plus intemporels, des plus populaires, des plus appréciés et bien au-delà du seul petit monde du Neuvième art. Comme Lucky Luke, Spirou, Astérix, Blake et Mortimer, Blueberry ou encore Tif et Tondu, qui ont tous fait l’objet de reprises, Corto appartient aujourd’hui à notre imaginaire collectif et de fait à nous tous avec l’image qu’on s’est faite de lui, qu’on garde de lui.
Lui donner une nouvelle vie, comme l’ont fait précédemment Juan Diaz Canales et Rubén Pellejero et aujourd’hui Martin Quenehen et Bastien Vivès est assez casse-gueule. Forcément, quelque chose ne collera pas à cette image que nous avons du personnage, forcément, il n’y aura pas la même musique, la même poésie, le même coup de crayon.
Et c’est là le coup de génie de Vivès et Quenehen, garder l’essence des aventures de Corto, l’ADN du personnage, mais s’éloigner totalement du graphisme de Pratt et de la période, le début du XXe siècle, dans laquelle se déroulent toutes ses aventures depuis La Ballade de la mer salée sorti en 1975 jusqu’à Mû en 1992, et même sous les trois albums du tandem Canales / Pellejero. Océan noir se déroule en 2001 avec un Corto rajeuni, plutôt beau gosse, une allure actuelle avec tout de même ses légendaires rouflaquettes et sa boucle d’oreille.
Vivès et Quenehen, ne sortent quand même pas de nulle part, le premier est l’auteur d’une vingtaine de one-shots et de plusieurs séries dont Lastman, le second, ancien producteur d’émissions à France Culture, romancier, est devenu scénariste de bande dessinée avec un autre album dessiné par Bastien Vivès, Quatorze juillet.
Alors bien sûr, ce parti pris graphique – Vivès a tout de même un trait singulier – et scénaristique ne peut effectivement pas plaire à tout le monde et bien évidemment les gardiens du temple sont montés au créneau et s’offusquent. Petit florilège :
« Arrêtez ce massacre », « Corto est mort avec Hugo Pratt », « Vous faites quoi la prochaine fois ! Corto contre Batman !? », « Le personnage de Corto est lié à son époque et ses références culturelles… Le mettre à notre époque c’est trahir tout ce qu’il est »…
Bref, les griefs sont nombreux, les louanges le sont tout autant. Alors, le meilleur moyen d’aborder cet album est de bien garder à l’esprit que Vivès et Quenehen n’ont en rien l’ambition de remplacer Hugo Pratt. Ce n’est pas possible ! Ce qu’ils souhaitent, c’est offrir une autre perspective de l’oeuvre, une réinterprétation, et quelque part rendre hommage au génie de Pratt.
Et de ce côté-là, c’est réussi. Océan noir nous embarque dans une très belle aventure, où l’on retrouve tout le magnétisme et le romantisme du personnage avec un casting de premier choix, Rasputine bien sûr, des femmes aussi, pas mal de femmes, qui mènent la danse comme souvent dans les aventures de Corto et trimbalent notre héros de Tokyo à Lima au Pérou à la recherche d’un trésor.
Un album indispensable. Inutile de vous précipiter, il y en aura pour tout le monde, l’objet serait tiré à plus de 100 000 exemplaires.
6. "Jour J" : Et si les attentats du 11 septembre avaient été évités…
Comme on pouvait légitimement s’y attendre, avec le vingtième anniversaire des attentats du 11 septembre refleurissent au rayon BD les albums autour de cette thématique. Comme celui-ci, une très belle réédition en intégrale de trois albums initialement parus dans la collection Jour J en 2017…
« Happy 2005 » inscrit en lettres lumineuses sur les tours jumelles : l’image aurait pu faire le tour du monde, la Une des médias, elle ne fera que la couverture de ce récit signé Duval, Pécau, Blanchard et Kordey, une uchronie comme le sont tous les épisodes de cette série publiée par Delcourt et portant le nom générique de Jour J. Publié initialement en trois volumes en 2017, le récit repose sur une interrogation : et si les attentats du 11 septembre avaient pu être évités ?
Et de fait, ils auraient pu être possiblement évités si on avait en l’occurrence écouté un homme, John Patrick O’Neil, agent puis directeur assistant du FBI, avant de devenir le chef de la sécurité du WTC en 2001, quelques jours avant les attentats qui lui coûteront la vie comme à des milliers d'hommes et de femmes.
Une uchronie ? Non, jusqu’à ce point du récit, ce n’est que vérité et ironie. Lui, la sommité de l’antiterrorisme qui avait comme le rappelle le dossier placé en ouverture de l’album, découvert dans les années 90 à la fois l’existence d’Al-Qaïda, de son dirigeant Ben Laden et de l’opération Bojinka, laquelle prévoyait le détournement d’avions pour les précipiter sur des cibles civiles dont le WTC, meurt dans l’attentat le plus sidérant de notre époque, un attentat qui allait changer le cours de l’histoire.
Et si l’attentat n’avait pas eu lieu, et si O’Neil n’était pas mort le 11 septembre, et s’il avait gagné son combat contre le terrorisme. Là est l’uchronie. 11 septembre raconte ce qui aurait pu se passer et ce qui nous aurait été épargné. Un récit qui a du peps, embarqué par le dessin à fort caractère du Croate Igor Kordey.
7. "Bons baisers de Limón" : Tranches de vies
S’il y a bien quelque chose d’universel, ce sont les histoires et les secrets de familles. Bons baisers de Limón se déroule au Costa Rica, il aurait pu se dérouler n’importe où ailleurs. L’album n’en reste pas moins une belle découverte et un voyage singulier…
Pour ceux qui ne le sauraient pas, comme moi quelques minutes avant d’écrire ces lignes, et de fait vous épargner une recherche sur Google, Limón, à la fois province et ville, se situe sur la côte caraïbe du Costa Rica.
L’auteur, Edo Brenes, en est originaire. Il vit aujourd’hui à Cambridge au Royaume-Uni. Dans ce roman graphique, il met en scène un jeune homme prénommé Ramiro vivant en Angleterre et revenant sur ses terres avec l’idée d’écrire un livre sur les membres de sa famille qui ont vécu à Limón dans les années 40 à 50. Vous l’aurez compris, sans être présentée comme une autobiographie, l'histoiure de Bons baisers de Limón est largement inspirée de sa vie.
Arrivé chez sa mère, il déniche quantité de photos dans une vieille malle du grand-père. Elles seront le point de départ de ses recherches et de ses rencontres…
Pour un premier roman graphique, Edo Brenes nous surprend vraiment par sa maîtrise de la narration et du graphisme. Personne ne sera étonné à la lecture de son livre qu’il adore Chris Ware. Il se dit aussi inspiré pour cet album par Giuseppe Tornatore (Cinema Paradiso) et Wong Kar-Wai (In the Mood for Love). Bref, que de bonnes influences pour un récit qui se savoure tranquillement, allongé sous un palmier ou non. Page après page, on se prend à aimer cette famille et à se prendre pour l’un des siens. Pas d’aventure avec un grand A ici, juste des tranches de vie ordinaires déroulées sur un mode tendrement nostalgique. On adore !
8. "J'Accuse...!" : un ovni éditorial
Films, téléfilms, bandes dessinées, livres d’histoire ou romans… l’affaire Dreyfus n’a jamais quitté notre espace médiatico-culturel depuis plus d’un siècle. Rien d’étonnant tant elle a eu un retentissement national et international sans commune mesure. Jean Dytar nous en apporte aujourd’hui une autre vision avec un livre surprenant dans la forme et dans le fond, plus qu’un regard sur l’affaire en elle-même, #J’Accuse…! pose en fait un regard sur le traitement de l’affaire à la lumière de nos moyens de communication et d’information actuels et nous interroge par là-même sur l’état du débat public contemporain…
Un sacré bouquin et un sacré boulot ! Pour réaliser #J’Accuse…!, Jean Dytar a dû lire quantité de livres d’histoire sur le sujet mais aussi éplucher la presse de l’époque et les témoignages, nombreux. Avec l’envie au bout du compte de « jouer avec un dispositif hybride, entre les médias contemporains (numériques ou télévisuels) et la presse du XIXe siècle ».
Premier regard sur l’album, première surprise, #J’Accuse…! est présenté dans un coffret qui, une fois ouvert, figure un mix de machine à écrire et d’ordinateur portable. On ouvre le livre et, deuxième surprise, l’album a été imprimé sur du papier proche du papier journal. De son côté, le dessin réaliste en noir et blanc rappelle par ses hachures les gravures de presse qui ont fait les beaux jours des suppléments illustrés. Les dialogues sont extraits de textes authentiques et enfin chaque planche est ornée d’une interface à la Google avec une barre de recherche et un petit + pour accéder, en scannant la page, à de nombreux documents numériques complémentaires.
On connaît tous l’affaire dans les grandes lignes, il est vrai qu’on la redécouvre ici sous un autre angle grâce notamment aux nombreux témoignages repris ici, ceux de Mathieu Dreyfus qui s’est battu jusqu’au bout pour innocenter son frère Alfred mais aussi ceux d’Émile Zola ou de Bernard Lazarre, l’un des premiers dreyfusards.
« A titre personnel, j’ai été stupéfait par la modernité de bien des aspects de cette histoire, tant dans la toile de fond idéologique (…) que sur le plan des processus médiatiques »
L’affaire Dreyfus a-t-elle fait le buzz à l’époque ? Les fakes news, les théories du complot ont-elles exacerbé le débat, radicalisé les positions ? « J’ai eu envie de creuser la question, avec en tête un désir de mettre en scène l’arène agitée du débat public »
Car oui, au-delà de l’affaire et de son traitement, Jean Dytar met l’accent sur une société française morcelée qui ne parvient plus aujourd’hui à débattre sans que cela ne tourne au pugilat.
Une approche singulière et passionnante de l’une des plus grandes affaires judiciaires devenue une affaire d’état.
9. "Le jour où j'ai rencontré Ben Laden" : Le périple afghan de deux jeunes français même pas radicalisés
Comment peut-on partir pour l’Afghanistan, se retrouver dans un camp d’entrainement et y croiser Ben Laden en 2001, année des attentats sur le sol américain ? Réponse ici avec ce livre de Jérémie Dres réalisé d’après les souvenirs de deux Français, Mourad Benchellali et Nizar Sassi…
Comment peut-on se laisser embarquer dans une telle histoire, se retrouver dans un pays en guerre comme l’Afghanistan, dans un camp d’entrainement où on ne ménage pas les hommes, avec pour horizon de se battre et pourquoi pas de se porter candidat à un attentat suicide ?
Faut-il avoir des prédispositions ? Faut-il être en guerre contre soi-même ou contre le monde entier ? Non, et c’est le premier enseignement de ce livre paru chez Delcourt et signé Jérémie Dres. Mourad Benchellali et Nizar Sassi sont deux jeunes garçons ordinaires, non radicalisés.
Le père de Mourad était agent d’entretien à Renault avant de devenir imam prêchant au départ un islam traditionnel avant de basculer dans un islam plus conservateur. Mais pour autant, Mourad n’était pas très religieux dans l’âme. Nizar, lui, a été nourri aux séries américaines, Starsky et Hutch, Deux Flics à Miami... Il en a gardé une passion pour les armes à feu et pour le métier de policier qu’il n’exercera finalement pas. Le seul point commun entre les deux : le quartier des Minguettes.
« Il fallait grandir au milieu de tout ça, se construire une carapace » (Nizar)
Alors oui, le père du premier s’est peut-être radicalisé, jusqu’à se retrouver à secourir les musulmans bosniaques en pleine guerre de Bosnie. Oui, le second a travaillé dans la sécurité à défaut de devenir policier. Mais l’Afghanistan pour eux, ce n’était qu’une occasion de voyager, de jouer aux aventuriers.
« Je voulais faire quelque chose de grand, devenir un bonhomme, avoir mon moment de gloire » (Nizar)
Et les voilà partis tous les deux, sans conviction religieuse – ils n’y allaient pas pour le djihad – mais avec beaucoup de naïveté et d’ignorance. Direction l’Angleterre, Finsbury Park, « la capitale de l’islam radical », précise Nizar. Et puis c’est le grand départ, une première étape à Islamabad au Pakistan, avant de rejoindre Peshawar à la frontière, puis enfin l’Afghanistan, Jalalabad, Kandahar et pour finir le camp militaire Al Farouq où ils découvrent vraiment ce pour quoi ils sont là.
« On m’avait vendu un stand de tir où tu défourailles tranquille. Je me retrouve dans un camp militaire qui forme des tueurs » (Nizar)
Un embrigadement de première pour faire d’eux de parfaits petits soldats ! Ils y apprennent le maniement des armes sur fond de lecture du coran et y rencontrent effectivement Ben Laden lors d’une visite en juillet 2001. On est alors à quelques semaines des attentats sur le sol américain. Au moment de repartir pour la France, c’est le 11 septembre, les frontières se ferment, les Américains interviennent, Mourad et Nizar se retrouvent bloqués. Plusieurs semaines de planque et de marche dans les montagnes leur seront nécessaires pour quitter le pays. Mais ce n’est pas la fin de leurs ennuis…
Alternant flash-backs et rencontres avec Mourad et Nizar où il se met lui-même en scène, Jérémie Dres raconte le parcours incroyable de ces deux hommes, un parcours qui passe par l’Afghanistan, c’est la destination de ce premier volet, mais aussi par les geôles de Guantanamo, comme nous le verrons dans la suite et fin de ce témoignage dans le second tome. Une bande dessinée à faire circuler le plus largement possible !
10. "Bob Morane" : Le vrai héros de tous les temps
Alors que son créateur Henri Vernes vient de tirer sa révérence (à 102 ans !), « le vrai héros de tous les temps », Bob Morane, lui, revient en BD après une absence de cinq ans. Et ici, après une modernisation ratée, retour aux fondamentaux !
Il aura juste eu le temps d’écrire la préface. Quelques mois seulement avant son décès, l’ex-journaliste et prolifique auteur a donc pris sa plume pour passer le témoin en quelque sorte aux scénaristes Christophe Bec et Corbeyran et au dessinateur Paolo Grella et saluer en eux de « vrais lecteurs de Bob Morane ». Un petit texte imprimé en préambule de ce ‘reboot’ en quelque sorte de la série – un beau ‘1’ s’affiche sur la tranche – qui donne le ton, avec justesse.
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que cette nouvelle aventure a lieu en 1952, le tout premier roman de Bob (à l’époque on disait plutôt ‘Robert’) Morane, La Vallée Infernale, ayant été publié par Marabout Junior en 1953. Tout comme le fait que le style de Grella est ouvertement très proche de celui de William Vance, aux manettes entre 1968 et 1979, période à laquelle la série était au sommet de sa popularité.
L’objectif ici est clair : retrouver ce même mélange d’aventures exotiques, de pulps et de science-fiction, un peu rétro mais avec une noirceur supplémentaire assumée. Et histoire de bien enfoncer le clou, on a même convoqué pour l’occasion l’ennemi numéro un du héros, l’Ombre Jaune, dont les traits sont plus proches que jamais de feu l’acteur Yul Brunner. Aux couleurs, Sébastien Gérard donne aux montagnes et aux forêts d’Indochine où l’action se déroule une teinte verdâtre et mystérieuse. Bref, c’est plutôt réussi.
Certes, après une longue introduction, il y a quelques raccourcis et la conclusion est, disons, un peu précipitée (manque de pagination ?), tout comme ce virage à 90° dans l’horreur cosmique en fin de parcours pas très bien négocié. Mais Les 100 Démons de L’ombre jaune assume son côté série B à l’ancienne. Et au diable le réalisme ! Le plaisir que l’on a toujours tiré de ce type de héros comme Bob Morane ou Doc Savage sortant vainqueurs des pires vilenies est avant tout un plaisir de gamin et là, on est servi. Accessoirement, on sent aussi l’aventurier enfin de retour sur de bons rails après quelques errements et ça promet pour la suite...
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