DOCUMENTAIRE. "D'abord ne pas nuire", quand la grossesse fait ressurgir le traumatisme d'un viol

Lorsqu'une femme enceinte a subi dans son enfance ou sa jeunesse un viol, le traumatisme peut remonter à la surface. "D'abord ne pas nuire" est un documentaire sans filtre sur l'accompagnement de femmes traumatisées.

C'est parfois la grossesse qui bouleverse tout. Quand une femme enceinte voit ressurgir les traumatismes de son passé. Quand l'enfant à naître ravive les plaies de l'enfant qu'elle était. A Strasbourg et à Obernai en Alsace, une équipe pluridisciplinaire vient en aide à ces femmes dévastées par un viol, ou des attouchements qui ont eu lieu pendant leur enfance; et dont le souvenir réapparait au gré de leur grossesse. 

La grossesse peut être un révélateur

C'est un chiffre qui fait frémir. Selon le conseil de l'Europe, près d'un enfant sur cinq subit des violences sexuelles. Parmi ces enfants agressés, il y a ceux - trop peu nombreux- qui demandent justice et qui se font aider, et les autres qui survivent en enfouissant leurs traumatismes. 

"La période périnatale est un moment clé de transparence psychique où plein d'éléments peuvent refaire surface dans les corps et dans l'esprit. On voit plein de comportements, de dépressions inexpliquées, pendant les grossesses et après l'accouchement", explicite Nicole Andrieu, de l'association Autour de la Bulle à Obernai. 

Au gré des consultations pour un symptôme ou un autre, médecins et soignants ont remarqué des réactions inhabituelles chez certaines patientes, devant des gestes médicaux, des soins, qui leur paraissent pourtant tout naturels dans l'exercice de leurs pratiques. "Rien qu'en palpant le ventre, on voit très bien si la femme est tendue, crispée", explique le professeur Romain Favre, gynécologue-obstétricien Centre médico-Chirurgical Obstétrique (CMCO), hôpitaux universitaires de Strasbourg.

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Une femme qui a subi des violences sexuelles et n'a pas suivi de parcours de soins va avoir des complications obstétricales dans 80% des cas.

Violaine Guérin, endocrinologue et gynécologue

Alexa Vrzesinski, ostéopathe nous éclaire : "Une violence sexuelle, c'est d'abord une effraction du toucher; ce sont des patients qui ont une relation très particulière au toucher. Il y a une problématique de distance. On essaye de leur réapprendre le rapport au toucher bienveillant et sécurisant."

Car, poursuit la docteure Violaine Guérin, "la violence sexuelle c'est avant toute chose une violence corporelle, avant d'être un psycho-traumatisme. [C'est comme] Un impact de balle au niveau de la bouche, au niveau rectal ou vaginal."

Elle ajoute : "J'ai demandé à mes patients de maladies auto-immunes [quand le corps fait du mal au corps, ndlr]  de mettre des mots sur cette maladie et beaucoup sont revenus avec des antécédents de violences sexuelles. Ça a été un choc pour moi (...).  On n'avait jamais fait le lien entre les violences sexuelles et les symptômes qu'ils ressentaient; aujourd'hui, les publications sont concordantes pour dire qu'une femme qui a subi des violences sexuelles et n'a pas suivi de parcours de soins va avoir des complications obstétricales dans 80% des cas."

Pour ne pas nuire davantage et parfois guérir

Parce qu'un médecin, un soignant, en pratiquant certains gestes, peut raviver une douleur. Et s'il était d'usage autrefois que le médecin prodigue ses soins sans les expliquer, la loi désormais l'oblige à prévenir le patient et à obtenir son consentement. Mais cela ne suffit pas aux yeux de cette équipe de soignants. Même expliqué, un geste peut provoquer souffrance et rejet.

Le professeur Israël Nisand (ancien président du collège national des gynécologues obstétriciens Français) détaille cette notion : "Il faut inverser le paradigme; on nous a appris sur les bancs de la faculté de médecine à ne pas se mettre à la place du patient; c'est une faute. Si chaque médecin, avant de faire un geste, se disait et si on me faisait ça à moi ou à ma fille ou à ma compagne, est-ce que je l'accepterais ?"

C'est pourquoi ces soignants ont imaginé une approche de l'accompagnement des grossesses novatrice, afin de ne pas surajouter un traumatisme. "Quand une femme a connu des violences sexuelles, on sait que c'est comme une cocotte-minute qui va exploser. Il faut changer de grille de lecture et changer son regard", explique Nadine Knezovic-Daniel, sage-femme coordinatrice du pôle de gynécologie obstétrique de Strasbourg.

La docteure Violaine Guérin (endocrinologue, gynécologue, fondatrice de Stop aux violences sexuelles) s'étonne : " J'ai fait mes études à l'hôpital Necker enfants malades et je n'ai jamais entendu parler de violences sexuelles sur les enfants et à peine de violences physiques. La seule minute où on l'a évoqué, c'est en médecine légale, pour apprendre à faire un prélèvement sur une femme violée; c'est encore presque un non-sujet aujourd'hui; à peine trois ou quatre heures sur un cursus qui dure des années."

Alors il s'agit de se poser les bonnes questions. Que s'est-il passé dans la vie de cette patiente pour que son corps exprime de tels symptômes ou de telles réactions ? La docteure ajoute : "Le corps, moins on l'écoute, plus il parle fort. Quand le patient fait le lien entre ses symptômes et les violences sexuelles, on peut avoir des pathologies qui régressent totalement.(...) J'encourage les sages-femmes et les médecins à poser systématiquement la question des violences sexuelles." Ce que confirment le professeur Favre et  Nadine Knezovic-Daniel, sage-femme : "Il n'y a pas de bonne manière de poser la question, l'essentiel c'est de poser la question."

Ainsi quand Nicole Andrieu demande à ses patientes " Est-ce que vous sentez une énergie meurtrière à l'intérieur de vous ?" et qu'elle voit le regard qui vacille, elle sait qu'elle a enclenché quelque chose. 

Des témoignages forts

Elles sont là, face caméra et elles racontent leurs agressions, leurs douleurs. Puis les conséquences, le rejet, la honte, les addictions, les scarifications. Leurs rapports aux hommes, aux enfants, à tous les autres définitivement modifiés.

Andréa Bescond, qui a tiré un ouvrage puis un film de son expérience. Nour, qui trouve dans les arts martiaux une manière d'extérioriser sa rage et retrouve ainsi la sérénité. Elsa dont les épreuves sont tatouées sur son corps. Brenda et sa peur de ne pas être une bonne mère, Nina enfin, qui met en photo son histoire. Leurs témoignages sont sans concession, directs, intimes, en un mot bouleversants.

Ce documentaire de Éric Lemasson est déconseillé aux moins de 10 ans. Il est diffusé ce jeudi 27 octobre à 23h00.   

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