Il existe un concours d’éloquence unique en son genre : il est réservé aux personnes qui bégaient. Pour les candidats qui y participent, cette prise de parole en pleine lumière est abordée comme un défi et une revanche à la fois. À mesure que les candidats cheminent, la honte et la peur se dissolvent. Reste la beauté d’enfin oser être soi. Différent et unique.
Qui n’a jamais senti monter le trac lors d’une prise de parole en public ? Le cœur qui s’accélère, les mains moites, la boule au ventre… Imaginez maintenant que vous y êtes, vous avez surmonté votre stress, vous savez exactement ce que vous voulez dire, l’auditoire a les yeux rivés sur vous, et soudain, au moment de parler, vous ouvrez la bouche et le son ne sort pas. Ça, c’est le quotidien vécu par plus de 650 000 personnes bègues en France.
Lorsqu’on connait ce handicap, l’idée de créer un concours d’éloquence réservé aux personnes qui en souffrent ressemble à une idée perverse, voire à de la torture. Il n’en est bien évidemment rien. Les deux créateurs sont Mounah Bizri et Juliette Blondeau, tous les deux membres de l'Association Parole Bégaiement (APB) dont le but est de sensibiliser le grand public, soutenir la recherche ainsi que d'accompagner les personnes atteintes. En 2019, Mounah et Juliette lancent “L'éloquence du bégaiement” pour prouver que bégayer n'est pas forcément une limite, ni dans l'expression des idées, ni dans l'affirmation de soi.
Des candidats transformés
Leur concours suit les mêmes principes que les autres compétitions d'éloquence classiques : les candidats doivent écrire et délivrer un discours en public, en réponse à des problématiques imposées, souvent formulées sous forme de question ("le temps, est-ce de l'argent ?, L'herbe est-elle toujours plus verte ailleurs ?…), puis ils sont jugés sur la pertinence de leur argumentation ainsi que sur leurs qualités oratoires.
"Une personne bègue peut passer des années, voire une vie entière, à tenter de cacher son bégaiement. Le fait de contenir sa parole et ses émotions est un mécanisme destructeur pour la confiance en soi et la socialisation" affirme la réalisatrice Melissa Bronsart, elle-même bègue et qui connait intimement les affres du bégaiement. "Oser assumer son bégaiement en public, c’est comme si une immense tension accumulée disparaissait. Et il ne s’agit pas seulement d’une métaphore car le soulagement est bel et bien physique. Le corps se relâche, le visage se détend".
Au fil des 7 semaines que dure le concours, les candidats se transforment peu à peu. Les masterclass, les ateliers d’entraînement, les petits échecs et les grands succès s’enchainent devant une caméra discrète qui s’efforce de témoigner de l’extraordinaire aventure émotionnelle vécue par Samira, Dorian, Ibrahim ou Sonia. Des femmes et des hommes qui découvrent que leur parole, si douloureuse en temps normal, peut devenir une source de plaisir.
3 questions à Mélissa Bronsart, réalisatrice
- Comment peut-on définir le bégaiement ?
Le bégaiement est un trouble de la communication dans lequel neurologie et psychologie interagissent constamment. Il n'existe pas une cause unique à son apparition, il résulte d'une combinaison de facteurs. Bien qu'il n'y ait pas de gène du bégaiement à proprement parler, les recherches ont démontré qu'il existe un terrain génétique favorable à son développement. Il apparaît la plupart du temps avant l'âge de 6 ans.
Dans de plus rares cas, il peut survenir plus tard, à l'adolescence ou à l'âge adulte suite à un traumatisme violent ou un problème grave de santé (AVC etc). Il touche environ trois hommes pour une femme sans que la recherche ne sache, pour l’instant, expliquer pourquoi. Contrairement à certaines idées reçues, le fait de bégayer n'a aucun lien avec une éventuel retard ou déficit mental. La personne ne "cherche pas ses mots" non plus. Il s'agit tout simplement d'un trouble dans le flux de la parole, qui l'empêche de s’exprimer de façon fluide, et peut également provoquer des mouvements involontaires du visage et du corps que l'on appelle des syncinésies.
- Pourquoi ce titre "le bégaiement fond au soleil" ?
Un jour, j'ai entendu cette phrase prononcée par mon ancienne orthophoniste, alors qu'elle s'adressait à une patiente angoissée à l'idée de parler de son trouble à ses collègues de travail : "Le bégaiement, il fond au soleil". Il se trouve que le bégaiement a la forme d’un iceberg. C’est un schéma que toutes les personnes bègues ayant fréquenté le cabinet d’un.e orthophoniste spécialisé.e ont déjà vu. Au-dessus de la surface de l’eau se trouve ce qui est visible : les bégayages, les sons qui restent bloqués ou les syllabes que l’on répète, le regard qui fuit, les grimaces. La partie immergée de l’iceberg est dissimulée.
Pourtant, elle se trouve être beaucoup plus volumineuse bien qu'elle soit invisible : sentiment de honte, de colère, d’humiliation, perte de confiance en soi, un dialogue intérieur incessant, la peur du regard de l’autre, des jugements, la dévalorisation, le repli sur soi. Ce documentaire montrera qu’en libérant sa parole (ici, en osant la prendre en public) et donc en exposant son bégaiement au soleil, c’est tout l’iceberg qui fond. Les bégayages s’estompent, ou s’ils persistent, on ne leur donne plus autant d’importance. Mais surtout, les sentiments négatifs associés au bégaiement s’évaporent eux aussi. On se redresse, on porte la voix, on prend confiance en soi, on met la peur et la honte à la porte pour enfin exprimer ce que l’on a à dire.
- D’où vous est venue l’idée de ce documentaire ?
Le bégaiement fait partie de ma vie depuis l'enfance. Voire, avant même ma naissance, car il se trouve que mon père est bègue. Chez moi, il est apparu vers l'âge de 3 ou 4 ans. Il m'a sans cesse accompagnée, à travers le collège, le lycée, l'université, les entretiens d'embauche, les démarches administratives, les nouvelles rencontres, les discussions avec mes amis, ma famille, et même les disputes. Environ 10 ans d'orthophonie et des dizaines de séances de groupes de parole m'ont permis d'apprendre à le maîtriser de manière concrète, mais aussi de l'apprivoiser pour en faire un compagnon plutôt qu'un ennemi.
En 2018, j'ai décidé de reprendre contact avec mon ancienne orthophoniste, pour lui donner de mes nouvelles et lui proposer mes services comme réalisatrice car le documentaire étant entre temps devenu mon métier. C'est à l'occasion d'un tournage à son cabinet que j'ai rencontré Mounah Bizri, le co-créateur du concours, qui m'a présenté le concept de L'éloquence du bégaiement, dont la première édition allait avoir lieu quelques semaines plus tard…
► "Le bégaiement fond au soleil", un documentaire de Mélissa Bronsart, à voir ce jeudi 15 décembre à 23h40 sur France 3 Pays de la Loire
► À voir en replay sur france.tv dans notre collection La France en Vrai
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