Cette année, le couvre-feu a frustré les afficionados de Hip Opsession, les Nantais et tous ceux qui viennent des quatre coins de l‘hexagone. Le streaming, le replay ont pu satisfaire la soif des fans sur Internet.
Nantes, Le lieu Unique. D'ordinaire, ll y a foule pour suivre les Battle Hip Opsession mais l’évènement a tenu ses promesses.
Aux pieds des platines surélevées, le jury assis, silencieux, attend les compétiteurs. Au sol, une quinzaine de danseurs.ses se retrouvent, échangent et se défient. Au centre de la scèn, Nasty (Quality Street), le MC qui a la tâche d'animer et la tchatche pour faire vibrer le public derrière leurs écrans.
Dans l'arène, 4 équipes constituées de 5 danseurs, représentatifs des différents styles de danse hip hop. Ces bboys et bgirls s'expriment en solo ou en combinaisons collectives dans des battles de 10 minutes.
A 20 heures, le spectacle 1VS1 ALL STYLES commence. Des tenues simples, des regards concentrés, un décor qui n’attend que la surchauffe d’une scène bruyante.
La musique est confiée au collectif FromScratch et son leader, le Nantais Nicolas Guilloteau, alias DJ One Up, un militant du croisement des disciplines et des univers artistiques, des échanges autour de la création musicale dans la danse hip hop. Une rencontre pour échanger, partager des archives et expériences, créer un dialogue et raconter une histoire qui s’écrit depuis près de 30 ans en France.
Sur toute chair accordée Sur le front de mes amis Sur chaque main qui se tend J’écris ton nom
Extrait du poème "Liberté" de Paul Eluard
Le mix, c’est le rythme cardiaque nécessaire de l’expression du corps. Cette énergie aide et guide le style, donne à entendre et à voir la transfiguration du réel le Hip Opssession me subjugue. Il me parle d’amour, de haine, de violence mais aussi de fraternité, d’égalité, d’altruisme. Il invente un monde possible, "Ô Liberté je Danse ton nom".
Ces artistes-là créent un Nouveau Monde
Les danseurs.ses inventent un monde où joie, mélancolie, vérité, reflets du monde et philosophie ne font plus qu’un. Quels messages, quels discours offriront la danse, et pas seulement la danse contemporaine, sans ces artistes inventifs et courageux ?
Le hip-hop et toutes ses déclinaisons sont inconnus du grand public. Elles sont pourtant porteuses d’un avenir prometteur de la Danse, celle de nos espoirs, nos doutes, nos pourquoi, nos envies, nos désespoirs, notre rage de vivre, notre refus de la fin et surtout celle des autres.
En regardant ces battles improvisés, aux règles esthétiques non imposées, j’ai l’impression d’avoir un autre regard sur un art qui ne juge pas, n’impose pas, ne condamne pas mais qui, au contraire, nous fait croire à "la vie bonne", certes compliquée, semée d’embûches mais tellement fraternelle.
Le hip-hop cherche le nom, le mot d’un synonyme d’espoir qu’il n’arrive pas à trouver. Cette simplicité, cette disponibilité des artistes, malgré la concentration, sont impressionnantes. On dirait des adeptes de la boxe française qui ne veulent donner que des coups chorégraphiés, pas pour faire mal mais pour en découdre avec l’autre, son espace, le temps et la vie.
Et si ce langage permettait de mieux nous comprendre de rapprocher les générations. C’est ainsi que je voyais la danse contemporaine et classique. Aujourd’hui, je vois la danse en devenir. J’ai toujours su comme Platon le disait que "la musique donne des ailes à la pensée", avec le hip-hop, je découvre que la danse et la musique hip hop peuvent offrir un envol.
Les battles s’enchaînent vite, usent les jambes, les corps. Derrière la scène, certains sont couchés, épuisés, d’autres s’échauffent, bougent leurs bras, leurs jambes, leur corps. Pas besoin de mots entre danseurs. Les regards s’échangent et disent qu’ils s’aiment, se sourient mais chacun se jauge.
Rien à voir avec un combat, et pourtant, c’est bien ce qui les attend dans l’arène où toutes les idées, les gestes, les suggestions vont s’exprimer pour atteindre l’autre dans ses propres limites.
Pour ceux qui ne comprennent rien aux battles il y a les règles : au centre d'une scène des danseurs s'affrontent en solo ou par équipe, au sein de différentes catégories : popping, locking, house, hip hop (pour les danses debout), 3vs3, Bonnie & Clyde et top rock (pour le breaking)…
Autour, le jury, les DJ’s et l’inimitable maître de cérémonie invitent le public à encourager leur danseur (bboy) ou danseuse (bgirl) favori·te.
Mais on peut se passer de toutes ces catégories et de tout ce vocabulaire. Le lexique n’est qu’un code mathématique qui permet de comprendre le théorème en maitrisant les équations de construction : c’est le E=mc2 de ce monde pour ceux qui le veulent mais il y a tous les autres qui n’en ont pas besoin pour décrypter.
Il suffit juste de se laisser embarquer.
La compétition ne pouvait que tenir ses promesses
Faute de candidats, la liste des inscrits suffisait à s’attendre à un grand moment. Ce fut le cas ! Lorsqu’on vous annonce la présence de Andrege, Funky J, Diablo, Kasket, Clémentine, Stalamuerte, Aurele ou encore Stala, vous savez qu’il y a du lourd ! Le show l’a démontré !
Lors des demi-finales, la russe Kasket, championne du monde de break danse, est opposée au Niçois Diablo, champion du monde de free style, qui a participé au show de Madonna lors du Superbowl en 2012. Avec cette affiche, vous savez qu’un combat de titan vous attend. Là encore, on n’a pas été déçu.
Dans ce genre d’évènement, on n’est jamais à l’abri d’une surprise, elle viendra de Kaê, ce jeune Rennais avec style et précision qui, lors de la deuxième demi-finale, l’emporte haut la main devant Kwamé.
Kaê Carvalho est né dans une famille de danseurs. Il a suivi ses parents fondateurs de la compagnie Ladaïnha. Formé à la capoeira et à la danse contemporaine, il évolue dans l’univers du bboying. Il fonde à Rennes le crew Les Ratz et collabore au collectif FAIR(E). Il travaille pour la Cie Ladaïnha et From DownTown.
C’est assez rare pour être souligné, il avait remporté le titre l’an dernier à Nantes dans la catégorie "Bonnie and Clyde" avec San Andréa.
La danse classique et sa fille contemporaine de cœur empêchent souvent aux apprentis danseurs de vivre comme les autres.
Ils sont dans la nécessité de la solitude du travail, de la barre. Ils sont de fait obligés de s’isoler des autres pour se concentrer sur eux-mêmes. Le hip-hop demande lui aussi exercices, répétitions, travail, entraînements, force et résignation mais n’interdit pas les artistes de s’inscrire et de bouger avec et dans le monde d’aujourd’hui, de se confronter aux aléas des autres et de la vie.
Voici deux facettes d’un même monde esthétique et nécessaire mais qui ne parle pas le même langage. La danse écrit l’histoire au passé au présent et au futur. Le défi inconscient pour le hip hop est d’inventer une nouvelle phonétique, une autre grammaire.
Vivement la dictée 2022 !