En Loire-Atlantique, les infirmières libérales ont organisé avec l'ARS, et selon un protocole rigoureux, un service de visites à domicile spécialement dédié aux personnes atteintes par le Covid-19, ou suspectées de l'être, établissant un lien unique entre malades, familles et services de santé.
Elles sont ainsi près de 100 infirmières libérales qui se sont spécialisées, chacune leur tour dans les soins aux personnes atteintes par le covid-19, ou suspectées de l'être.
Pas question de partager ces patients particuliers avec ceux de leurs tournées habituelles. Alors elles se sont organisées avec l'aval de l'Agence Régionale de Santé (ARS) pour organiser autour de leurs communes habituelles une tournée particulière, qu'elles assurent tour à tour.
Leur nouveau travail a été minutieusement préparé, organisé, pour que les gestes de soins, les approvisionnements en matériel, le suivi des patients, la santé des infirmières et celle de leurs familles, ne souffrent d'aucune faille qui laisserait filer le virus.
Marie Cauwel a spontanément une très jolie expression pour qualifier cette organisation : "il faut maximiser la minimisation du risque !"
Plusieurs communes du Sud Loire de la métropole nantaise ont prêté des locaux permettant de réunir stocks de masques, blouses, kits de soins, feuilles de transmissions et douche pour la fin de la tournée avant de rentrer chez soi.
Marie Cauwel prépare sa "tournée Covid" de fin d'après-midi : "alors vous voyez au sol nous avons marqué deux circuits distincts : propre et sale !"
L'infirmière exerce son métier avec autant de sérieux que de passion, accompagnée d'une bonne humeur communicative, dans l'hôpital public, puis comme "libérale" depuis 30 ans maintenant : "le circuit propre commence par le "bureau" des transmissions qui nous permet de suivre l'état des malades que nous visitons, de remplir les fiches correspondantes, un peu plus loin nous avons le stock de masques, pour nous-mêmes et pour les personnes que nous visitons, et leurs familles s'il le faut. Nous avons reçu des dizaines de dons, gants, masques, sur-blouse, charlottes, chaussons, gel, par des vétérinaires, des entreprises, et même un carrossier automobile ! Dès que les gens ont eu vent de notre action un incroyable élan de solidarité s'est mis à souffler".
"Ensuite, il y a le circuit sale, c'est au retour que je l'emprunterai, pour désinfecter les matériels, remplir les fiches de transmissions, prendre ma douche, me changer avant de rentrer chez moi !"
Cette organisation s'est mise en place à l'initiative de l'Agence Régionale de Santé et de l'Union Régionale des Professionnels de Santé au début de la crise du Covid-19.
Karima Ghezal, infirmière, consultante en santé publique, anime ce réseau spontané sur les cantons de Rezé, Sébastien-sur-Loire, et Vertou en Loire-Atlantique : "nous les infirmières libérales, nous sommes au contact des Français, bien plus encore que les médecins généralistes, nous entrons dans les maisons, dans les familles, nous pouvons aider conseiller, et souvent diriger des malades vers le médecin. Les gens sont désorientés, informés, mais en difficulté par rapports à ces informations qui s'enchainent, et peuvent apparaitre contradictoires au fur et à mesure de l'évolution de la maladie, et des moyens dont on dispose pour la soigner."
La "tournée Covid"
Marie Cauwel est prête à partir, elle charge dans sa petite auto son kit de travail. Circuit propre sur le siège arrière, circuit sale dans le coffre !Quand le Covid-19 est apparu, elle a compris comme tous les professionnels de santé que la "guerre" contre cet ennemi intérieur et invisible serait longue et difficile.
"Je ne me suis pas posé la question, je ne me voyais pas ne pas participer ! En tant que professionnelle de santé, je n'ai jamais été confrontée à un tel risque ! J'ai connu l'épisode Creutzfeld-Jakob, mais là... comme ça... jamais !
J'ai organisé un petit "conseil de famille", ma famille connait ma passion, je leur ai expliqué les précautions prises , ils m'ont dit oui !"
La tournée commence par une visite dans une famille dans un immeuble d'habitat social de Rezé. La chef de famille a probablement été atteinte par le covid-19, d'abord hospitalisée, son état lui a permis de rentrer chez elle sous la surveillance de l'hôpital, son fils a, lui aussi présenté les symptômes, c'est à lui que Marie Cauwel vient rendre visite. Le rituel de préparation est spectaculaire !
"D'abord je sonne à l'interphone pour prévenir de mon arrivée, je monte à l'étage, je sonne à la porte, la personne visitée ouvre, je prends pour elle un masque chirurgical neuf. Maintenant, je "m'habille" sur le palier, gants, charlotte sur les cheveux, blouse sur le corps, chaussons sur les chaussures, masque sur le visage, visière transparente devant le visage." Prête pour la planète Mars, mise à feu ! Marie sonne à nouveau, la porte s'ouvre, la visite et les soins peuvent commencer.
15 ou 20 minutes plus tard elle ressort, le sourire toujours masqué, mais débarrassée de son équipement de précaution, "je laisse blouse, masques, chaussons, etc, dans un sac prévu à l'avance, que les patients mettront dans les déchets ménagers." Ce sac ira à l'incinérateur.
Dans le circuit sale, le coffre de sa voiture, elle désinfecte soigneusement les outils de travail, thermomètre, tensionsiomètre, visière... et dans un grand sourire : "je pense que ces deux-là sont sortis d'affaire, si même ils ont été touchés par le Covid. 98% de saturation de l'hémoglobine en oxygéne dans le sang. C'est parfait !" L'hémoglobine étant le pigment sanguin qui transporte l'oxygène vers les organes. "92% est considéré comme un critère de gravité, on en est loin."
Marie repart vers le patient suivant. Une future maman. Elle présente les symptômes du Covid-19, elle est confinée avec son mari et sa jeune enfant. "Ils ont fabriqué des masques "maison" même la petite fille en porte. Il faut faire des injections d'anticoagulants pour prévenir la phlébite, pas simple !" Même cérémonial, sonnettes, habillage, soins, déshabillage, désinfection.
La tournée se poursuit. Marie Cauwel comme toutes les autres infirmières, et infirmiers, ils sont 30 % d'hommes dans la profession, a pris cette "tournée Covid" sur son temps de repos, en dehors de ses patients habituels. Elle sera rémunérée pour ces visites à domicile. "Une vingtaine d'euros selon les actes de soins nécessaires." Frais inclus !
Les visites se suivent, le protocole d'habillage est suivi scrupuleusement, sur un palier, un voisin ouvre sa porte, anxieux : "qu'est-ce qui se passe ici ? La dame a le virus c'est ça ? Parce que si c'est ça, je vais confiner ailleurs !" Marie Cauwel jusqu' à présent n'a pas été témoin de réactions de rejet, elle n'en a pas subi non plus. Elle réfléchit vite, "non-non, pas de coronavirus, c'est juste par précaution car votre voisine est enceinte monsieur..." Le voisin rentre chez lui...
"Ma petite voisine m'a vue partir en tournée l'autre jour, elle a ouvert sa fenêtre et m'a applaudie. C'est gratifiant. Elle ajoute : "les gens sont gentils, ils me demandent si je n'ai pas trop chaud derrière le masque, au début je leur faisais un peu peur, je leur expliquais les mesures barrières, ils me disaient, "oh mais ça n'arrivera pas !" Et c'est arrivé !"
La "tournée Covid" se termine. Retour au "bureau / magasin" pour temps d'urgence sanitaire. Marie remplit ses fiches, la prochaine collègue sera informée du travail accompli et de l'état de santé des patients. Marie consigne ses consommations de matériel pour la gestion des stocks, puis effectue un travail minutieux de désinfection des outils qui resserviront demain.
Ensuite, elle va prendre sa douche, se changer, et rentrer chez elle.
Elle n'a pas fini sa journée pour autant, tous les actes notés en version papier au cours de la tournée, doivent être saisis sur un logiciel global faute de pouvoir le faire avec le smartphone qui lui sert de lien avec ses collègues ou ses patients durant les visites.
Et toujours munie de cette égale bonne humeur, sa raison d'être pour les autres.