Quatre sympathisants d'extrême droite comparaissent devant la cour d'assises de Loire-Atlantique à partir de ce lundi 21 mars pour une violente agression perpétrée à Nantes le soir du second tour de l'élection présidentielle, le 7 mai 2017. Ils sont accusés d'avoir, ce soir-là, molesté Erwan David et Steven Dardenne, 18 ans et 16 ans au moment des faits, à coups de pied, de barre de fer et de bouteille en verre.
Le procès des quatre hommes qui avaient sauvagement agressé deux adolescents le 7 mai 2017 au soir de l'élection à la présidence de la République d'Emmanuel Macron a débuté ce lundi 21 mars aux Assises de Loire-Atlantique. Ils étaient cinq le soir du drame, l'un d'entre eux est mort depuis dans un accident de la route. L'une des deux victimes garde des séquelles permanentes.
Cette première journée de procès est consacrée à la présentation de chacun des accusés. Le procès a repris vers 14h30 avec l'examen de la personnalité de Joyce Burkhart, qui va répondre aux questions de la présidente.
"Je ne suis ni chef, ni détenteur d'autorité malgré mes anciennes responsabilités au sein du GUD local" avait-il déclaré dans une lettre d'accompagnement de sa demande de remise en liberté.
Selon lui, ses camarades ont pris l'initiative de l'agression. Lui-même dit n'avoir porté aucun coup. Joyce Burkhart comparaît libre, sous contrôle judiciaire. Depuis sa sortie de détention, il a effectué quelques missions en intérim.
Aujourd'hui, le prévenu dit avoir cessé toutes ses activités militantes et prendre ses distances avec la mouvance dont il était proche. Ses enfants et la psychothérapie engagée dans le cadre du contrôle judiciaire l'ont conduit à reconsidérer son rapport au monde.
A la barre, Joyce Burkhart se dit "apaisé"
A la maison d'arrêt, ses codétenus le surnommaient "le viking". En prison, il demande à travailler pour aider sa compagne à subvenir aux besoins de la famille, fait de la musculation, et entame le suivi psychologique qu'il poursuivra en libéral à sa sortie.
Joyce Burkhart s'est depuis marié avec la mère de ses enfants, et travaille en intérim dans le bâtiment, avec promesse d'embauche en CDI. A la barre, il se dit "apaisé". S'il s'est éloigné d'un militantisme actif, il reste proche de "certaines idées d'extrême-droite".
Sa mère a aujourd'hui repris contact avec son père parti avant sa naissance, car "il n'était pas prêt". Joyce Burkhart n'a pas souhaité rencontrer ce père qu'il n'a jamais connu.
Dans une enfance marquée par de nombreux déménagements, il aura deux beaux-pères successifs, avec lesquels "ça ne se passe pas bien."
"- Est-ce que vous avez subi des violences, des mauvais traitements ?" questionne la Présidente.
- Je suis obligé de m'étendre là-dessus ?" réplique l'accusé.
Puis, évasif, il évoque des violences physiques, régulières, dont sa mère aussi pouvait être victime.
Quant à sa vie professionnelle : "J'ai toujours travaillé. Depuis que j'ai 16 ans, je travaille." Après un CAP dans le domaine de la viticulture, Joyce Burkhart arrive en Bretagne pour suivre sa compagne de l'époque et suit, à Rennes, une formation en maçonnerie.
"Sous l'effet de l'alcool, ou si on m'agresse, je réponds"
En novembre 2015, il veut renvoyer un projectile lors d'une manifestation organisée par un groupe breton "d'extrême gauche" et il est amputé d'une partie d'un doigt de la main droite.
Le prévenu reconnaît pouvoir être violent : "Sous l'effet de l'alcool, ou si on m'agresse, je réponds". Mais selon lui, la violence peut être considérée comme acceptable, selon les circonstances.
Il pratique la musculation, le crossfit et les arts martiaux mixte, et se dit paganisme : "C'est un attachement à la terre et à la nature. Comprendre qu'on fait partie intégrante de tout ça" "Je suis conscient d'appartenir à un peuple, une culture, une civilisation et j'en suis fier. Je suis contre le capital et contre une forme de mondialisme qu'on nous impose."
Ses convictions, dit-il, ont évolué, vers quelque chose de plus personnel et de plus distancié.
Son casier judiciaire porte trace de trois condamnations :
- 21 août 2012, deux mois d'emprisonnement avec sursis suite à un contrôle aux abords du stade d'Ajaccio alors qu'il se trouvait interdit de stade suite à des débordements.
- 29 août 2012, il est condamné à trois mois avec sursis pour violences avec menaces et usage d'une arme n'ayant pas entraîné d'ITT supérieure à 8 jours. L'arme en question ? Un poing américain.
- 11 avril 2013, à Barcelone, il est également condamné pour voie de fait à 8 mois avec sursis. "En marge d'un match de foot Barcelone-Paris, en descendant les ramblas, il y a eu une escarmouche avec la police espagnole."
"- Quel regard vous portez aujourd'hui sur les mentions qui figurent sur votre casier judiciaire ?" demande la Présidente.
- Stupide... ça ne mène à rien", réplique-t-il.
Le "bon facho viking"
Joyce Burkhart est surnommé en prison le "bon facho viking". Il explique son surnom : "C'est parce que je ne suis pas un raciste, pas un raciste primaire. Avec les renois et les maghrébins, ça se passait très bien."
"Je ne suis pas de droite, je ne peux pas être extrême, ni de droite" explique le prévenu interrogé par l'un des avocats des parties civiles. En 2012, il a été candidat comme suppléant aux élections européennes sur les listes de Génération Identitaire.
Quant à son passé skinhead : "A la base, le mouvement skinhead, c'est un mouvement musical. Je suis fan de ska, de punk, de métal."
Pour le GUD, dont il animait le groupe en Bretagne, il reconnaît avoir organisé des rencontres, des débats.
Sur son interdiction de stade : "Elle faisait suite à une altercation à Brest avec un supporter, comme ça peut arriver assez souvent." Sur l'origine de la bagarre qui lui a valu une condamnation à Rennes : "C'était un échange houleux avec une personne d'extrême gauche". L'avocat d'Erwan D pointe le fait que cette altercation a eu lieu le soir du 1er tour de l'élection présidentielle de 2012.
L'avocat de Steven D. lui demande pourquoi il se déplaçait avec un poing américain. "J'avais peur d'être agressé. A cette époque, c'était récurrent de tomber sur des personnes qui..."
Aujourd'hui, Joyce Burkhart dit ne plus se promener avec des armes. Le soir des faits, en mai 2017, il reconnaît cependant avoir eu une barre de fer dans sa voiture "pour tenir le coffre arrière... Mais il n'y avait pas d'autre arme."
En ce milieu d'après-midi, la Présidente entame l'examen de personnalité de François Mamès Cosseron de Villenoisy. Jeune homme plutôt fluet, chemise, pull over gris, cheveux très courts, presque rasé. "Je n'ai plus rien à voir à l'extrême droite" a-t-il déclaré au cours de l'instruction.
Quatre accusés à la personnalité chaotique
Le plus âgé, Joyce Burkhart, né de père inconnu, a grandi dans une famille recomposée, marquée par des valeurs d'extrême-droite.
Ce lundi matin, Joyce Burkhart déclare n'avoir porté aucun coup, et conteste avoir été le chef du groupe d'agresseurs. Les autres prévenus reconnaissent les actes de violence commis cette nuit-là. La préméditation est contestée.
Il revendique une philosophie païenne, proche de la terre, de la nature et de l'environnement. Sa compagne, mère de ses deux enfants, le décrit comme un bon père, très investi.
François Mandès Cosseron de Villenoy, l'un des 4 autres suspects, a lui aussi été élevé par sa mère après la séparation de ses parents, lorsqu'il avait 3 ans.
Le jeune homme supportait mal le mode de vie de son père, transgenre, dont la consommation d'alcool était décrite comme problématique. Le fils a coupé les ponts avec son géniteur et s'est construit en réaction.
Il voulait se construire une image d'homme fort. A l'époque de la Manif pour tous, il rejoint des mouvements royalistes comme l'Action Française, puis le Renouveau Français.
A la dissolution de ce dernier, il rejoint le GUD et participe à des manifestations, parfois violentes, ce qui lui apporte un sentiment de puissance et des montées d'adrénaline, explique l'enquêtrice de personnalité.
Le 3e suspect, Antoine Desbas, aurait été marqué par le divorce de ses parents, et un père qu'il décrit comme peu aimant et capable de violences auprès de l'enquêtrice de personnalité.
Ses parents observent un changement de comportement et de fréquentations à partir de son entrée au lycée militaire du Prytanée dans la Sarthe. Plus tard, il quitte la fac, car il ne supporte plus "le côté gauchiste".
C'est à cette période qu'il rejoint le GUD. Antoine Desbas se décrit comme patriotique à tendance nationaliste. Il est décrit comme colérique, têtu, avec une faible estime de lui-même. Pour l'avenir, il envisageait, entre autres, de rejoindre la légion étrangère, ou de devenir maçon.
Le 4e suspect, Matthieu Gaultier De La Richerie est issu d'une famille unie. Sa mère, femme au foyer, son père, directeur grands comptes pour Airbus à Paris.
Se décrivant comme catholique pratiquant et traditionnaliste, Matthieu Gaultier de la Richerie a obtenu la médaille d'or lors du concours national de meilleur apprenti de France, catégorie électrotechnique. Il A participé à quelques événements du GUD, où il disait chercher des relations amicales, et où il appréciait les discussions avec des personnes qu'il trouvait cultivées.
Passionné de sport, Matthieu Gaultier de la Richerie avait dû arrêter toute pratique physique à cause de la maladie de Lyme qui lui causait des troubles cardiaques, articulaires...
La peine encourue peut monter à 15 ans de prison, en raison des circonstances aggravantes de faits commis en réunion, avec usage d'une arme et préméditation ou guet-apens. Dans le cas de Joyce Burkhart, il y a aussi l'état de récidive, qui peut faire doubler le maximum des peines.
Un déluge de coups
Nantes, la nuit du 07 au 08 mai 2017. Emmanuel Macron vient d'être élu. Pris à tort pour des "antifas", deux jeunes garçons sont passés à tabac par un groupe de 5 hommes à un arrêt de tram, l'une des victimes gardera des séquelles permanentes.
Les deux victimes rentrent du centre-ville de Nantes, où ils ont participé à une manifestation contre l'extrême-droite. Au niveau de l'arrêt Du Chaffault, ils voient surgir de derrière des buissons un groupe encapuchonné.
Erwan D., 18 ans, est aspergé de gaz lacrymogène, puis le déluge de coups commence, et ne sera interrompu que par l'arrivée d'un automobiliste, qui fera demi-tour pour porter secours aux deux victimes.
Aux urgences, Steven D., 16 ans, souffre de contusions, il présente une plaie sur le cuir chevelu, se plaint de douleurs diffuses... Erwan D., lui, se trouve dans le coma. Fracture du nez, fracture de l'arrière du crâne, contusions multiples, lésions cérébrales.
C'est la mère de ce dernier qui prélèvera des morceaux de verre sur les lieux de l'agression, alors que son fils est en soins intensifs. L'ADN d'un des suspects sera retrouvé sur ces débris.
L'un des suspects déclarera aux enquêteurs avoir été agressé dans la soirée par une cinquantaine d'antifas, parmi lesquels il dit avoir reconnu les deux victimes. Erwan et Steven, eux, ne se revendiquaient d'aucune mouvance.
Lors des perquisitions, les policiers trouvent une matraque télescopique, un poing américain, et des tracts du GUD chez plusieurs des suspects.