Avocat à Rennes, Vincent Berthault représentait la principale du collège du Bois-d'Aulne de Conflans-Sainte-Honorine où travaillait Samuel Paty. Il revient sur les sept semaines éprouvantes du procès de l'assassinat du professeur et sur son verdict qu'ils jugent, lui et sa cliente, "à la hauteur" de ce que représente l'enseignement.
Les huit accusés du procès de l'assassinat de Samuel Paty ont été condamnés ce 20 décembre 2024 par la cour d'assises spéciale à des peines allant d'un an de prison à 16 ans de réclusion criminelle. Avocat au sein d'un cabinet rennais, Me Vincent Berthault représentait Mme F., la principale du collège où le professeur assassiné enseignait l'histoire géographie.
Présent quotidiennement à l'audience à Paris du 4 novembre au 20 décembre, le Rennais revient sur le verdict prononcé à l'encontre des huit accusés et sur ce procès hors du commun, sa première expérience en matière terroriste.
Ce verdict n'est pas définitif et les accusés ont jusqu'au 28 décembre pour faire appel. Les trois accusés contre lesquels les peines les plus importantes ont été prononcées (Naïm Boudaoud, Azim Esirkhanov et Abdelhakim Sefrioui) ont annoncé interjeter appel.
Êtes-vous satisfait du verdict prononcé à l'encontre des huit accusés ?
Vincent Berthault : C'est une décision très précisément motivée, prononcée par des magistrats ultra-spécialisés qui reconnaissent la culpabilité de tous les accusés. Le verdict est à la hauteur de ce que représentent l'enseignement et sa transmission des savoirs, ainsi que des enjeux de laïcité. Il permet de responsabiliser aussi l'utilisation des réseaux sociaux.
Car la cour, il me semble, a adapté son verdict aux outils numériques d'aujourd'hui : l'entente entre les accusés et l'assassin est virtuelle, mais [le terroriste] Anzorov ne l'était pas. (...) Les magistrats ont prouvé que rien n'était dû au hasard en reconnaissant la culpabilité de tous les acteurs de cette débandade, cet enchaînement causal.
Quels moments vous ont marqué lors de ce procès ?
Au cours du procès, j'ai ressenti que tous les accusés semblaient s'en laver les mains. À part Ismail Gamaev, tous se demandaient pourquoi ils étaient là [seul accusé à plaider coupable, Ismail Gamaev a raconté à la cour sa radicalisation religieuse express en 2020 puis son long parcours de déradicalisation, NDLR].
Gamaev, c'est un gosse, mais il a eu du courage. À l'annonce du verdict, je lui ai dit qu'il n'en était pas dépourvu. Condamner quelqu'un, c'est aussi le maintenir dans la société, et la cour lui a indiqué que sa direction était la bonne. Il m'a bluffé, il m'a touché.
Les autres accusés ne reconnaissaient pas leur responsabilité, voire s'adonnaient à la victimisation. (...) Les témoignages des proches d'Abdelhakim Sefrioui m'ont marqué, car selon moi, ils faisaient part d'un aveuglement persistant. Ils se sont évertués à le rendre politiquement correct.
De ses idéaux jusqu'à l'annonce du verdict où il a dénoncé un "procès politique", Abdelhakim Sefrioui a maintenu sa victimisation. Ma cliente le décrit pourtant lors de leur entretien [A. Sefrioui avait été reçu par la principale peu avant l'assassinat pour se faire expliquer la controverse autour du cours de Samuel Paty] comme quelqu'un qui était dans la revendication et la surenchère.
Que pense votre cliente de ce verdict ?
Ma cliente se dit soulagée, pour elle comme pour la famille de Samuel Paty. Elle souhaite être disponible pour eux. Elle a été présente sur toute la deuxième semaine du procès [elle n'est plus à la tête du collège du Bois-d'Aulne mais exerce aujourd'hui à l'étranger, NDLR].
Elle voulait que la culpabilité de chacun soit reconnue, qu'on réinfuse du respect dans l'enseignement. Ça lui paraissait essentiel qu'on affirme qu'on ne touche pas aux enseignants.
La semaine avant l'assassinat, elle a été dans l'accompagnement, qu'il soit judiciaire ou psychologique. Lors de ce procès, les profs du collège m'ont dit que leur chance dans ce drame, c'est d'avoir eu une principale comme elle. C'est une personne assez extraordinaire, qui est pétrie par l'enseignement, qui est au service des enfants.
Comment êtes-vous entré dans ce dossier terroriste, le premier de votre carrière ?
Je représente Mme F. depuis septembre 2023, soit à peine un mois avant l'audience devant le tribunal pour enfants [les accusés mineurs de ce dossier ont fait l'objet d'un procès disjoint, en décembre 2023, NDLR]. J'ai succédé en urgence à un confrère, et ai dû prendre très rapidement connaissance du dossier. Pour m'y consacrer pleinement, j'ai adopté un train de vie presque monacal, prétextant à certains proches que j'avais pris des vacances !
Alors qu'arrivait le procès devant le tribunal pour enfants, la principale s'était constituée contre des enfants dont elle avait la charge et qui ont dénoncé leur professeur à l'assassin. Elle était paralysée.
Vous étiez l'un des rares avocats non-parisiens de ce procès. Comment l'avez-vous appréhendé ?
C'est un procès hors norme, par sa thématique du terrorisme et par son format de sept semaines. Pendant un mois et demi, on est concentré sur ce dossier. C'est une longue parenthèse loin de nos bases, qui donne un peu le tournis. Je revenais un week-end sur deux à Rennes, ma famille est régulièrement venue me voir. Tout le monde se doit d'être à la hauteur des enjeux. Heureusement que c'est pas notre quotidien [rires].
Au cabinet, tout le monde a répondu présent. Il fallait être en soutien de ce qui se passait à la cour d'assises spéciale à Paris, mais aussi maintenir l'activité quotidienne à Rennes. Je faisais un petit point quotidien avec ma cliente, mais aussi à mon cabinet. Tout le monde a redoublé d'efforts. Sans eux, je ne fais rien.