Plus de quatre ans après l'assassinat du professeur, survenu le 16 octobre 2020, le parquet national antiterroriste a requis ce lundi des peines allant jusqu'à 16 ans de réclusion criminelle à l'encontre des huit accusés impliqués dans l'affaire.
"Le 16 octobre 2020 à 16 heures 54, le terrorisme islamiste a atteint l'école, cœur battant de la République." C'est par ces mots que l'avocat général Nicolas Braconnay a entamé son réquisitoire contre les huit accusés impliqués, à des degrés divers, dans l'engrenage mortifère qui a conduit à l'assassinat du professeur Samuel Paty à la sortie de son collège de Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines.
"Samuel Paty n'était pas un martyr. Il n'est pas mort en militant. Il n'est pas mort en hussard noir de la République mais en victime innocente d'un crime radicalement abject et absurde", a indiqué Nicolas Braconnay devant la cour d'assises spéciale de Paris, dans une salle d'audience pleine à craquer. "Samuel Paty n'est pas un symbole mais, à travers lui, c'est beaucoup de ce que nous sommes qui a été atteint", a souligné l'avocat général.
Ce lundi, le parquet national antiterroriste a requis des peines allant jusqu'à 16 ans de réclusion criminelle. La peine la plus élevée a été requise à l'encontre du Russe d'origine tchétchène Azim Epsirkhanov, 23 ans, jugé pour complicité d'assassinat terroriste, mais pour lequel l'accusation a demandé à la cour de requalifier en association de malfaiteurs terroriste.
Cette peine de 16 ans de réclusion devra être assortie d'une période de sûreté des deux tiers, a souhaité le parquet national antiterroriste, qui a en revanche demandé à la cour d'écarter l'obligation de quitter le territoire français (OQTF) en raison de la situation en Russie, une peine obligatoire pour les étrangers condamnés dans des affaires de terrorisme.
L'avocate générale Marine Valentin a requis une peine de 14 ans de réclusion, assortie d'une période de sûreté des deux tiers, contre Naïm Boudaoud, 22 ans, également jugé pour complicité d'assassinat, une infraction que le parquet veut voir requalifiée pour lui aussi en association de malfaiteurs terroriste.
MM. Epsirkhanov et Boudaoud "étaient pleinement conscients des convictions jihadistes (d'Anzorov) et lui ont fourni les conditions matérielles de les mettre en oeuvre", avait auparavant souligné la magistrate.
Accusés d'avoir aidé Anzorov à se procurer des armes et, concernant Boudaoud, de l'avoir conduit le 16 octobre 2020 aux abords du collège où Samuel Paty enseignait l'histoire-géographie, les deux jeunes gens n'ont eu de cesse de proclamer leur innocence.
10 et 14 ans pour Chnina et Sefrioui
Le parquet a requis 12 ans de réclusion criminelle, assortis d'une période de sûreté des deux tiers, contre le prédicateur islamiste Abdelhakim Sefrioui, 65 ans, et 10 ans de réclusion criminelle, dont deux tiers de sûreté, contre le Marocain Brahim Chnina, 52 ans.
Les magistrats ont demandé en outre une peine complémentaire d'interdiction du territoire français (ITF) contre M. Chnina, d'origine marocaine.
Les deux hommes, poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste, sont à l'origine de la campagne de haine sur les réseaux sociaux contre Samuel Paty, décapité à la sortie de son collège par Abdoullakh Anzorov, un jeune islamiste radical tchétchène de 18 ans abattu peu après par la police.
"Personne ne dit que (MM. Sefrioui et Chnina) souhaitaient la mort de Samuel Paty mais, en allumant des milliers de mèches numériques, ils savaient que l'une d'elles mènerait à la violence jihadiste contre le professeur blasphémateur", a fait valoir Nicolas Braconnay, l'autre avocat général.
Brahim Chnina est le père de la collégienne qui a menti en accusant faussement Samuel Paty d'avoir discriminé les élèves musulmans de sa classe à l'occasion d'un cours sur la liberté d'expression où il a présenté une caricature de Mahomet. En réalité, la collégienne n'avait pas assisté à ce cours et le professeur n'avait discriminé aucun de ses élèves.
"Ce cours était équilibré et pertinent, dénué de toute volonté de choquer", a rappelé M. Braconnay, dénonçant "les calomnies" qui ont accablé le professeur.
Des peines allant d'un an à cinq ans dont 18 mois avec sursis ont été requises à l'encontre des quatre accusés présentés par l'accusation comme des membres de la "jihadosphère" gravitant autour d'Abdoullakh Anzorov sur les réseaux sociaux, et poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste.
L'accusation a demandé une requalification des infractions en apologie du terrorisme pour l'un, Yusuf Cinar, et en provocation au terrorisme pour Priscilla Mangel, la seule femme mise en cause dans ce dossier.
Une peine de cinq ans dont 18 mois avec sursis a été demandée contre le jeune Russe d'origine tchétchène Ismaël Gamaev, le seul des accusés à avoir reconnu sa culpabilité.
Les avocats des parties civile mécontents après les réquisitions
"Alors que la pression islamiste ne cesse d'augmenter sur les réseaux sociaux, notamment à l'école et à l'université, les peines proposées par un parquet pourtant spécialisé sont difficilement compréhensibles", a confié à l'AFP Thibault de Montbrial, avocat d'une soeur de Samuel Paty, avant d'ajouter: "Heureusement, la cour n'est pas tenue de les suivre".
Francis Spizner, avocat du fils et de la compagne du professeur assassiné, a estimé de son côté que "ces réquisitions ce n'est pas rendre la justice". Les membres de la famille de Samuel Paty ont quitté la salle d'audience à l'issue des réquisitions avant que les premiers avocats de la défense commencent leurs plaidoiries.
Le verdict est attendu jeudi ou vendredi.