Camaïeu, Kookaï, Pimkie, Go Sport, Galeries Lafayette, les annonces de fermeture ou de difficultés financières se succèdent depuis quelques mois. Qui pour prendre la place des grandes enseignes nationales dans les centres-villes où l'on subit la crise économique et sociale actuelle ? Réactions recueillies à Angers, Nantes, La Roche-sur-Yon et au Mans.
"Il faut s’armer de courage pour rester dans le commerce indépendant !" estime Catherine Sasso. La présidente de l'association Manséa qui fédère une soixantaine de commerçants du centre-ville du Mans doit bien avouer que le climat social, en ce début 2023, n'est pas favorable au commerce de centre-ville.
"Dans les centres villes, déclare-t-elle, on est tellement touchés par les mouvements sociaux, deux manifestations par semaine en ce moment, qu’il faut vite toucher le client sur les réseaux sociaux pour qu’il revienne. Le petit commerçant doit être en mode combat !"
"Les gens veulent aller de plus en plus vite"
Quand elle s'est reconvertie dans le commerce, Catherine Sasso a ouvert une petite boutique de prêt-à-porter et accessoires masculins, Klubb, dans le centre-ville. Puis est arrivée la crise sanitaire, le confinement, la réouverture ave ses jauges maximum. La petite superficie n'était plus rentable. Alors Catherine a emménagé dans un local plus grand, mais plus loin du circuit de sa clientèle potentielle. Aujourd'hui, elle réfléchit à redéménager pour mieux se placer.
"On a un centre ville très étalé au Mans, constate la commerçante, et la clientèle peine à varier son parcours. Les gens veulent aller vite, de plus en plus vite. Si on n’est pas sur son circuit, c’est difficile."
Les difficultés des grandes enseignes nationales du textile ne semblent pas la surprendre.
"Les enseignes qui disparaissent sont celles des années 90 qui n’ont pas suivi les évolutions, dit-elle. On ne les voit pas sur les réseaux sociaux. Il y a un désintérêt des consommateurs."
Pour autant, trouver un repreneur après une fermeture n'est pas simple. S'il s'agit d'une grande enseigne qui part, elle laisse derrière elle une grande superficie.
"Les loyers sont trop chers !"
"Ces locaux sont inaccessibles, constate Catherine Sasso, les loyers sont trop chers pour les indépendants. Au Mans, les loyers sont équivalents à ceux d’une ville comme Bordeaux. Ils correspondent à une période faste du commerce du centre-ville et ce n’est plus le cas."
"Au Mans, il n’y a pas trop de friches commerciales, il y a un remplacement rapide des enseignes."
Catherine SassoPrésidente Manséa.
L'idéal est d'avoir une vraie diversité de l'offre dans un centre-ville. Eviter le formatage des zones commerciales, pour faire la différence et attirer le chaland.
Pour la présidente de Manséa, il y a trois axes à redynamiser au Mans : Gambetta, à l'ouest, le quartier de la gare et la rue Nationale, au sud, dont la partie basse végète.
La concurrence d'internet
A Angers, Laurice Collin-Treisser qui préside l'association des commerçants "Vitrines d’Angers", fait le même bilan de la crise qui secoue les grands groupes.
"Tout ce qui est enseigne de prêt à porter des années 80/90 ne s’est pas renouvelé, dit-elle, avec des qualités médiocres et des prix qui ont augmenté. Il y a eu aussi la concurrence d’internet et ils se sont concurrencés eux-mêmes en créant leurs propres sites web. Ils ont doublé les canaux de distribution mais leur chiffre d’affaire, lui, n’a pas doublé !"
Trop de bars
A Angers, il semblerait, si l'on en croit Laurice Collin-Treisser, qu'il n'y ait pas de vacance commerciale. Quand une enseigne disparaît, une autre s'implante. Le problème serait plutôt, selon elle, dans la spécialisation des locaux. Le commerce de vente d'articles est bousculé par l'ouverture de bars et de restaurants.
"Suite au covid, les gens ont cherché la convivialité dans les restaurants et les bars avec la volonté de se retrouver, constate Laurice. A Angers, les bars sont pleins tous les soirs. Avant, c’était seulement le jeudi, avec les étudiants."
Concurrence des zones commerciales périphériques
Pour Olivier Hédoux, son homologue de La Roche-sur-Yon, les centres-villes sont victimes des politiques qui ont favorisé les grandes surfaces commerciales en périphérie des villes, comme "Les Flâneries", au nord de la capitale vendéenne.
"Les grandes enseignes vont préférer aller dans les centres commerciaux périphériques plutôt que de prendre un risque en centre-ville." estime le président des Vitrines du centre-ville, en pointant du doigt les travaux qui perturbent la ville de La Roche-sur-Yon, mais aussi, dit-il, "l'augmentation de la délinquance et des incivilités dans le centre".
Quant à l'enseigne Galeries Lafayette dont le magasin yonnais fait partie de la vingtaine appartenant à Michel Ohayon et qui sont en difficulté en France, elle occupe une place centrale dans la ville. Pas facile de trouver un nouveau locataire pour une telle superficie. Quoique...
"J'ai déjà des contacts avec certaines enseignes", révèle Frédérique Pépin, l'adjointe au commerce et à l'artisanat de La Roche-sur-Yon, qui espère cependant qu'elle n'aura pas à trouver un remplaçant pour le numéro 18 de la rue Clemenceau.
Le principe de linéarité commerciale
Quand une enseigne fait faux bond, la ville a tout de même établi une règle, celle de la "linéarité commerciale". Quand une rue est identifiée comme étant linéaire commercial, une activité de service ne peut pas s'implanter à la place d'un commerce. Ce qui évite le mitage bancaire comme on a pu le connaître ici et là.
"J'ai tout un service dédié au commerçants"
Frédérique PépinAdjointe au maire de La Roche-sur-Yon en charge du commerce et de l'artisanat.
En tant que ville moyenne, La Roche-sur-Yon bénéficie aussi pour son dynamisme commercial d'aides de l'Etat, ce qui permet de rénover certaines rues à des fins d'attractivité. La ville a aussi embauché un "manager de centre-ville" chargé de faire le lien avec les commerçants et elle a édité un livret pour faciliter les démarches des porteurs de projet.
"Nous avons aussi régulièrement des animations comme l'opération "Faites le plein de couleurs" qui va débuter le 15 avril et durer un mois, avec une revégétalisation des rues et beaucoup de couleurs."
Peu de grandes chaînes de magasins
Pour Frédérique Pépin, la crise que subissent plusieurs grandes enseignes ne devrait pas fragiliser le centre-ville de La Roche-sur-Yon.
"Nous avons peu d'enseignes nationales ou alors gérées par des indépendants locaux, précise-t-elle. On a beaucoup de magasins qui ne sont pas des chaînes. On n'est pas trop impacté."
Nantes, un des plus faibles taux de vacance
"Le centre-ville est très attractif, nous explique Sara Gangloff, déléguée générale de Plein Centre, l'association qui fédère 400 des 2000 commerçants du centre-ville de Nantes. Nantes a l'un des plus faibles taux de vacance en France avec seulement 3%, contre 10 % au niveau national. Et 70 % des commerçants sont des indépendants."
Il semble que l'on se bouscule au portillon pour trouver une cellule commerciale à réinvestir. Même les difficultés rencontrées par la grande surface Go Sport ne semble pas inquiéter. D'autres noms sont sur la liste d'attente pour de telles superficies.
Mars catastrophique
Un état des lieux qui se heurte pourtant à une réalité économique moins éclatante. Le turn-over des enseignes reste important et, depuis ce début 2023, les affaires ne vont pas si bien que ça.
"Janvier et février étaient encore convenables, constate Sara Gangloff, mais mars a été catastrophique dans tous les secteurs du fait des débordements dans les manifestations après le passage du 49.3."
Si Hugues Frioux, le vice président de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Nantes Saint-Nazaire, tient à préciser que Nantes est une ville attractive et que l'agglomération attire 9 000 habitants supplémentaires chaque année, signe de vitalité, il s'inquiète tout de même pour les mois à venir.
"Ceux qui peinent à recruter sont fragilisés, mais pour l'instant, ça tient."
Hugues FriouxVice Président Chambre de Commerce et d'Industrie Nantes Saint-Nazaire
Certes, les cellules commerciales restent peu de temps vides lors de changements de propriétaire, mais le contexte actuel est morose.
"Pour que le consommateur achète, il faut qu'il soit apaisé" dit-il. Et ce n'est pas franchement le cas.
De plus, le contexte social a amené à reporter des événements facteurs d'attractivité dans le centre-ville comme la braderie.
"La braderie sert à déstocker, explique-t-il. Vous faites alors un peu de trésorerie pour acheter les stocks pour l'été. Il ne faudrait pas que ça soit annulé mais seulement reporté."
"Les trésoreries sont au plus bas, il faut rembourser l'intégralité des PGE (Prêts Garantis par l'Etat)"
Hugues FriouxVice Président Chambre de Commerce et d'Industrie de Nantes Saint-Nazaire.
Mais ce qui inquiète le plus c'est qu'il faut maintenant rembourser les prêts accordés par l'Etat au moment des confinements et payer les charges URSSAF qui avaient été reportées. Combien de commerçants qui tenaient jusqu'à maintenant vont lâcher prise ? Hugues Frioux dit n'en avoir aucune idée.
"On est très attentifs jusqu'à cet été pour voir ce qui va se passer, avoue-t-il, mais ça a déjà commencé. Les premiers qui vendront trouveront preneur mais pour les suivants, ce sera plus difficile."
Pour le consommateur nantais, ce qui risque de se passer sera sans doute invisible. Un commerce en remplacera un autre et ce consommateur y gagnera en renouvellement, en diversité peut-être.
Mais il ne verra pas la casse qu'il y a derrière un changement d'enseigne.