Coronavirus : au sud de Nantes , quartier du Clos Toreau, la solidarité s' organise à tous les étages

Au sud de l'agglomération nantaise, le quartier populaire du Clos Toreau est d'ordinaire stigmatisé, décrié pour ses trafics. Loin des clichés, depuis le début du confinement c'est une véritable chaîne de solidarité qui est née entre les habitants. De l'entraide au quotidien et à tous les étages.

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Les tours ont d'ordinaire sale réputation. Le genre de quartier populaire souvent regardé de travers.

Depuis le 16 mars, pourtant, un formidable élan de solidarité fait vivre le Clos Toreau. Les habitants prennent soin les uns des autres. Dans la vingtaine d'immeubles, plusieurs personnes "relais" organisent la solidarité. Une chaîne d'entraide qui permet à tous de mieux vivre le confinement. 

Anne Gruand a 47 ans et connait le quartier comme sa poche. Elle y est née. Depuis toujours, cette militante se bat pour le vivre ensemble. Un combat qui prend tout son sens en cette période de crise sanitaire qui cloue chez eux les précaires et enferme un peu plus, les plus fragiles.
 

"Tout le monde peut être acteur"

"J'ai la conviction que chacun a sa place et que l'on peut s'organiser de manière horizontale. Moi je suis un pur produit de l'éducation populaire. Je porte en moi l'idée que l'on apprend tout le temps les uns des autres. On est tous autour d'une table et on se nourrit mutuellement. Quand un truc dur arrive on n'a pas besoin d'attendre que ça nous tombe sur le bec on peut s'organiser. Il y a des possibles", Anne Gruand plante le décor tout de suite. Elle fait partie de celles qui agissent.

Lorsque l'annonce du confinement est tombée le 16 mars, l'animatrice a compris tout de suite quelles seraient les premières difficultés. Comprendre, par exemple, les gestes barrières et lire une attestation. Dans le quartier, certaines familles maîtrisent mal le français. 

Il y a une fracture linguistique. Beaucoup ne peuvent pas fonctionner avec l'écrit - Anne Gruand

"Au fil des années, je me suis rendue compte que des gens étaient illettrés dans mon quartier et qu'ils ne savaient pas lire des documents, donc forcément, quand il y a eu le confinement, toutes les informations qui arrivaient par internet n'étaient pas accessibles, dit Anne Gruand, les attestations j'ai très vite compris que ça n'allait pas être simple pour tout le monde. Pour les imprimer ou les remplir."

L'entraide s'est donc rapidement organisée pour que l'information circule et que tout le monde y ait accès.

"La première chose ça a été de scotcher des feuilles dans les immeubles pour savoir qui pouvait faire quoi et qui pouvez aider qui", raconte Anne. Le système a fonctionné de lui-même.

"Certains habitants ont tout de suite proposé leurs services, pour imprimer des attestations, des documents scolaires, se prêter des bouquins ou des DVD. D'autres se sont spontanément proposés pour faire le ménage dans le hall des immeubles, désinfecter les poignées de portes et les boutons des ascenseurs", poursuit Anne Gruand.
 

Les gestes barrières affichés en neuf langues

Albanais, Anglais, Arabe, Portugais, Russe, Tikrit, dans le hall des immeubles, grâce au coup de main d'associations comme l'Autre Cantine, qui oeuvre aux côtés des migrants, ou au CEMEA Pays de la Loire, les affichettes des gestes barrières ont été traduites et imprimées en 9 langues. Un détail qui n'a l'air de rien mais qui fait tout.

"Chacun peut prendre soin de l'autre. Il n'y a pas des bénéficiaires et des donateurs, des usagers et des non usagers. Des personnes âgées confinées téléphonent à d'autres, alertent quand il y a un problème, portent des repas", poursuit Anne Gruand.

Ceux que l'on considère trop souvent comme des assistés se plient en quatre pour leurs voisins

Pour qu'il n'y ait pas de trous dans la raquette et que personne ne reste au bord du chemin, une personne s'est portée référente dans chacun des immeubles. Un relais "pour s'assurer que tout le monde va bien et que personne ne manque de rien". Pour Valérie Feger, installée à son compte dans le service à la personne, cela s'est fait comme une évidence. 

"Cela m'est venu naturellement. De mon côté, j'avais déjà commencé à faire le tour des gens de l'immeuble pour distribuer des attestations à ceux et celles qui ne pouvaient pas les imprimer. Dans mon bâtiment, je fais aussi du nettoyage", explique Valérie.

Cette mère de trois grands enfants constate que les gens ne sortent pas du tout. "Il y en a qui n'ouvrent pas leur porte, d'autres ont compris l'importance de maintenir ou de créer du lien dans un tel contexte. Il y a des personnes vraiment cloîtrées chez elles. D'autres ont besoin de discuter, parce que cela fait du bien. Ceux que je croise n'ont pas l'air d'être en mauvaise santé physique ou morale. On se dit tous que c'est un mauvais moment à passer et qu'après cela ira mieux".

On n'a pas tous les mêmes facilités. Moi je suis moins dans le besoin que certaines personnes qui sont en grande précarité. Je donne un coup de main parce que ça me paraît évident. J'ai du temps puisque je ne peux plus travailler alors j'en profite pour aider - Valérie Feger

"Par dignité, certains n'osent pas dire qu'ils sont dans le besoin. Je les entends derrière leur porte, je sens leur oeil juste derrière. Il y a ceux qui vraiment ne veulent pas ouvrir mais il y a aussi ceux pour qui c'est compliqué", ajoute Valérie.

Certaines personnes se sont ouvertes et investies, d'autres restent enfermées et ne bougent pas. Et puis il y a ceux qui observent - Valérie Feger.

"Je ne sais pas si cette période de confinement changera les choses. Certains deviendront sans doute plus attentifs au monde extérieur. D'autres resteront bloqués dans leur sphère. On ne peut pas changer tout le monde . De toutes façons, ce n'est pas le but" dit Valérie Feger.
 

"Je frappe aux portes de tout le monde"

Nicky Malundama est Congolaise. Son accent tout sourire au téléphone, en dit long sur sa volonté d'aider. Elle fait régulièrement les courses pour ses voisins.

"Je frappe aux portes de tout le monde. Dans l'immeuble, il y a beaucoup de familles avec des enfants. Je propose mes services. Je dépanne ceux qui ne peuvent pas se déplacer, je vais acheter des baguettes de pain, et ce dont les voisins qui ne peuvent ou ne veulent pas mettre le nez dehors, ont besoin. Je demande des nouvelles. Et pour l'instant, visiblement tout le monde va bien", constate Nicky.

Distribution de paniers de légumes

La solidarité a dépassé les frontières du quartier. Pour venir en aide aux producteurs locaux, privés de marchés ces dernières semaines et permettre aux habitants de bénéficier des circuits courts, un maraîcher des Sorinières, qui d'ordinaire livre à la maison de quartier, est venu avec sa camionnette à deux reprises au Clos Toreau.

Une quinzaine de paniers de légumes ont ainsi été distribués "avec toutes les précautions sanitaires et l'application stricte des gestes barrières !", précise Anne Gruand.

Des livres et des coloriages pour chaque enfant du quartier

Le confinement, c'est aussi des bibliothèques fermées et un accès à la lecture restreint. Alors une idée a fusé : récupérer des stocks de revues d'occasion en sommeil au local de l'association "Une p'tite goutte d'eau". Des livres d'habitude vendus au vide grenier du mois de septembre.

"La Directrice du groupe scolaire Jacques Tati a réagi au quart de tour. Elle nous a transmis des listes avec le nom des fratries, la tranche d'âge et la classe. Neuf habitants se sont retrouvés autour d'une grande table au pied des immeubles et ont mis sous enveloppe des revues pour les enfants du quartier, des coloriages et des jeux fournis par les CMEA." 
Masqués, les habitants ont organisé ce mardi 21 avril un atelier "livres". En 1 heure chrono, 139 colis étaient ficelés, livrés dans la foulée à 231 enfants.
La dernière action en date, c'est la fabrication des masques. Au Clos Toreau, des personnes se sont lancées sans hésiter. Depuis le 8 avril, Bricolowetech, une association du grand quartier Nantes-sud, propose, comme un partout dans la ville de fabriquer des protections pour ses voisins. Pascale, une des membre du collectif, ancienne coutière vivant au Clos Toreau  a mis au point un tuto.

"L'initiative relayée sur facebook était peu connue dans la cité. De mon côté, je connaissais bien deux couturiers, dont une résidente de mon immeuble, réfugiée syrienne et un exilé soudanais, tailleur de métier. Ils ne maîtrisent pas la langue française. Alors via une amie confinée au Caire en Egypte, j'ai fait traduire le tuto pour la fabrication. Des affiches ont été placardées pour inviter les personnes à se manifester. Depuis les machines à coudre ne s'arrêtent plus. Et les gens donnent du tissu", explique Anne.

Les habitants ne sont pas enfermés dans une posture de receveurs. Ils donnent tout ce qu'ils peuvent, sans rien attendre en retour - Anne Gruand

Ici comme ailleurs, la vie continue, se réinvente, se partage ou pas. Anne, Valérie, Nicky et les autres se mobilisent au quotidien pour tenter d'améliorer le quotidien de chacun. Si elles s'engagent c'est avant tout parce que ça leur ressemble, pas pour faire parler d'elle ou en tirer une quelconque gloire.

Dans ce quartier où la solidarité semble s'écrire au féminin elle sont convaincues que "l'entraide est une force". Elles le prouvent chaque jour depuis le 16 mars.
 
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