Coronavirus et solidarité : à Nantes, un collectif se mobilise pour sauver le bistrot La Perle et soutenir "Lolo"

Alors que les bars pourraient rouvrir le 2 juin dans les départements en zone verte, beaucoup d'établissements ont souffert. A Nantes, la café La Perle est une institution. Les clients et les amis de l'emblématique "Lolo" se mobilisent pour sauver le dernier "vrai bistrot" du centre ville.

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C'est un bistrot bien planqué, coincé dans une ruelle sombre du centre ville de Nantes. Mais ceux qui vivent là depuis quelques années connaissent la Perle. Un café qui porte bien son nom, tant le patron, de l'avis de tous est un chouette mec.

Certains vous diront que c'est un repère "de gauchistes". En réalité, un bar qui attire une ribambelle d'humanistes. Ici, pas la peine de montrer patte blanche, pour entrer il faut avoir soif de l'autre et des problèmes du monde et de préférence le coeur accroché en bandoulière.

Comme nombre de bars à Nantes, la crise sanitaire, Laurent Messager, l'a encaissée de plein de fouet. 30 à 40 % des enseignes seraient aujourd'hui menacées voire condamnées. Et pour l'instant, les cafetiers ne voient toujours rien venir, si ce n'est une date de reprise à l'horizon.

Edouard Philippe a annoncé, ce jeudi 14 mai, la possible réouverture des établissements le 2 juin prochain pour les départements verts. Des établissements aujourd'hui desespérement vides, et des terrasses toujours pas installées. De terrasse Lolo n'en a pas. La rue est bien trop petite pour ça, même si au beau jour, il y bien deux ou trois coins de table pour poser sa bière ou son" muscadet révolutionnaire", une des spécialités maison. 


"Le confinement, j'y suis entré subitement, comme dans un rêve"

"Globalement, je suis optimiste parce que je ne suis pas courageux. Le premier jour du confinement, j'étais sidéré. Le confinement, j'y suis entré subitement, comme dans un rêve.  Je me suis dit je suis chez moi, à la retraite, je cultive mon jardin. Je suis en dépôt de bilan, je suis à la retraite, je cultive mon jardin ! Voltaire quoi !. J'ai rangé mes livres, je me suis fait un bureau, j'ai fait beaucoup de rangement".

Il a bien failli tirer un trait. Et puis il y a eu l'élan sur les réseaux, la cagnotte en ligne et les premiers dons : "Mon avocat m'a dit "hors de question d'abandonner, La Perle ça vaut encore quelquechose !" Je me suis réveillé d'un coup. Je vais transmettre et ça ça me plait. L'argent réuni, je vais les réinvestir en parts sociales. L'aventure ce ne sera plus "je" mais "nous"...C'est notre histoire qui se joue désormais. Et elle a un avenir. Si ça marche pas, on s'en fout on aura essayé !".

Ce n'est que de l'amour que je reçois, que les gens soient donateurs ou pas ça fait du bien de recevoir tout ça, y compris les coups de pieds au cul de ceux qui me disent, tu baisses pas les bras, tu vas rouvrir. Il y aura des risques. on ne va pas attendre pour sortir de la torpeur pour pouvoir revivre - Laurent Messager, patron de la Perle

Touché mais pas coulé, le gérant a emprunté 23 500 euros : "Je ne retomberai jamais sur mes pattes mais je m'en fous. Les compagnies d'assurance ne font pas leur boulot. C'est une phase de destruction. Il va falloir résister mais on n'a pas le choix, il faut y aller ensemble. Moi, si je rouvre, c'est avec et pour le public, pas avec un souci économique.  Il n'y pas de visibilité . Le moment est grave mais il y a là une aventure à vivre".

L'ouverture au 2 juin ? Il ne sait pas..."sans aucun lien social, aucune convivialité, aucun espoir de se relâcher, de faire la fête, sans pouvoir se prendre dans les bras, sans s'embrasser, c'est une vision hygiéniste, ce n'est pas mon métier".  

"J'ai bossé pour rien, j'ai perdu 50% de la valeur du fond de commerce, mais La Perle va renaître collectivement. Ce sera un joli pied de nez au système". Lolo ne mache ses mots, pas le genre de bonhomme à vous la faire à l'envers. Une authenticité inébranlable. Une honneteté sans faille. Derrière son franc sourire, il y a la droiture. "On reconstruit. On se bat ensemble"... le collectif, il a ça dans la peau et il y croit dur comme fer.

 

"Un être exceptionnel dans un lieu unique"


Gaspard Norrito, journaliste en retraite, connait l'endroit par coeur. Il aime y traîner ses guêtres et ses humeurs :"Lolo je ne le connais que depuis juillet 2018, ça ne fait même pas deux ans. Juillet 2018, c'est le moment où 700 migrants viennent d'être écacués du square Daviais. A l'époque, le besoin de cours de français était énorme. Le phénomène Daviais c'est le résultat d'années de laisser faire des pouvoirs publics concernant l'habitat des migrants".

"On est donc en plein été, en pleine canicule, on est à la veille de l'occupation du gymanse Jeanne Bernard. Il y a de la détresse et de forts besoins de solidarité. Se pose très vite la question du comment et où prendre en charge tous ces besoins ?,
raconte Gaspard Norrito, auparavant nous intervenions dans les locaux de l'ancienne maison de retraite de Bréat, un gros squat. J'interroge nos cousins de  l'association L'Autre cantine, et Christophe Jouin. Je lui demande s'il peut nous aider à trouver un lieu. Et là il me répond : va voir Lolo"

Le début d'une belle amitié et d'une aventure humaine, comme c'est toujours le cas avec le patron au grand coeur et aux bras grands ouverts
 
"Je suis donc reçu par Lolo derrière son comptoir. Je me présente,  et il me dit : mon petit gars, pas de problème, je peux te donner la salle du haut ! je lui demande quand ? Il me retorque: ah ben quand tu veux mon vieux. C'est comme ça qu'on a commencé aprés avoir constitué une équipe bénévole d'enseignants, se souvient Gaspard Norrito, au début il y avait 3 cours de deux heures par semaine, c'est monté jusqu'à 9 ! Pendant ce temps là, nous avions demandé des salles à la mairie qui n'avait rien à nous donner et qui s'est décidée à nous attribuer des créneaux horaires à la salle Mangin Beaulieu en octobre 2019. Plus d'un an plus tard ! Nous sommes restés a la Perle pendant plus d'un an".

  
"Lolo est trés accueillant avec les migrants, beaucoup venaient à nos cours depuis le gymnase Jeanne Bernard de Saint-Herblain. Au coeur de l'hiver, ils arrivaient, gelés, transis de froid, parfois trempés. Lolo les a mis au chaud, leur a permis de recharger leurs portables, de progresser en français. Il les a abrité quand ils étaient en détresse, leur a offert des cafés, des verres d'eau. Tout ça avec toujours la plus extrême des gentillesses. En fait, il a tenu la permanence de notre association. Les gens venaient parce que c'était un lieu de ressourcement et de rencontres".

Lolo, c'est un être exceptionnel de bonté de générosité et d'altruisme dans un lieu unique - Gaspard Norrito, bénévole auprès des migrants

Le patron n'a jamais roulé sur l'or. Si l'argent c'était son truc ça se saurait. "Il a éclairé le premier étage, il a dépensé des sous pour le chauffage et l'électricté, il a dépensé de l'argent et ne nous a jamais demandé un seul centime. Il payait des coups", poursuit Gaspard Norrito, la voix empreinte d'une éternelle reconnaissance.

"Ce lieu doit continuer à exister. Il y a de la solidarité, de l'entraide, un soutien pour des artistes et des radios locales qui viennent enregisrer leurs émissions. Il y a des réunions syndicales. C'est un réseau nantais de l'aide humanitaire. Des adresses conviviales, chaleureuses et solidaires il n'y en a pas beaucoup. Dans cette ruelle nantaise limite coupe-gorge c'est un endroit extraordinaire dans lequel il est bon de s'engouffrer", ajoute Gaspard.
 

"Généreux... mais aussi pudique et secret"

Michel Sourget est rédacteur en chef de la radio Alternantes, chaque semaine, tous les jeudi à 18h10 à 19 h, il enregistre son émission "Perle à Rebours", dans le café de la rue du Port-au-vin. Un magazine généraliste en direct autour des questions d'aujourd'hui plus particulièrement ciblées sur les enjeux de l'économie sociale et solidaire.

"J'ai choisi la perle grace à l'entremetteur Stéphane Pajot qui m'a entrainé dans ce lieu que je connaissais pas. J'y suis revenu pour faire des interviews, rencontrer des gens. C'est une grande famille. On se fait vite adopter. On a parlé radio. Rien n'était prémédité. C'est le bonhomme qui fait que ça se réalise".
 

"C'est compliqué de parler d'un endroit aussi admirable et spécifique que la Perle. C'est un bistrot, un vrai, là ou il y une vie sociale, de l'humanité", dit Michel Sourget, "il  reste quelques bars cultures dans le centre ville mais c'est le seul vrai bistrot. Laurent, il est comme son bistrot. Je ne l'appelle pas Lolo, quand on s'est connu il y a 20 ans, tout le monde l'appelait comme ça. En fait il n'aime pas ça ! J'ai oeuvré pour que ça s'arrête. Je n'ai jamaids réussi. Il est sensible, inquiet, secret, généreux, philosophe, attachant, hypocondriaque. dévoué, il est impressionnant en fait.


La Perle sans Laurent ? "sans être là, parce qu'il était malade ou en vacances, il a toujours été là. Qu'il prenne de la distance, qu'il soit heureux du projet collectif qui se met en place j'en suis persuadé. Qu'il se détache de La Perle ? Jamais !", avoue Michel Sourdet. 

Lolo, c'est celui qui étreint, ce qui est impressionnant ce sont toutes ces personnes qui viennent juste pour un petit câlin ou une bise. C'est assez intéressant ce brassage de populations, ceux du matin du midi et du soir. Il y plusieurs ambiances. Il y a une magie. Les débats, les rencontres, les chorales. c'est un peu unique ça - Michel Sourget,  rédacteur en chef de la radio Alternantes

"Ce que l'on perçoit le moins chez lui, c'est son côté pudique, secret, un homme qui garde pour lui. Ce qu'il fédère autour de lui est rare", dit Michel Sourget.

 

"C 'est un ami, un assistant social, une bible nantaise"

Stéphane Pajot est journaliste à Presse Océan et auteur de polars et d'histoires bien de chez nous. Il sait tout ou presque du passé de la ville de Nantes. C'est surtout un grand pote de Lolo. La Perle il y est comme chez lui...

"Lolo ça fait longtemps que je le connais, 20 ans. C'est la générosité incarnée. c'est un ami, un assistant social, c'est une bible nantaise, c'est un amoureux des livres, même s'il n'a pas beaucoup le temps de lire à part pendant le confinement.  Le lieu accueille toutes les générations. Des amateurs de foot, des étudiants, des zadistes, des banquiers", raconte Stéphane Pajot.

"En fait c'est une institution aussi parce que ça fait 25 ans qu'il est là. Il y a la longevité et puis dans cette rue qui ne ressemble à aucunes autres il y a la friterie, la librairie. On peut venir chez Lolo avec des provisions, et ça ça n'existe plus".

C'est surtout un des derniers bistrots de quartier en plein hyper centre. C'est aussi un pionnier du collectif culture Bar Bars. Je me souviens de Kris de France inter qui avait fait un portrait sensible. C'est dire si Lolo c'est quelqu'un qui rayonne au delà de sa rue et de la ville - Stéphane Pajot, journaliste écrivain

"Chez lui, il y a beaucoup d'affectif avec les clients habitués ou pas. Ceux qui débarquent se sentent vite en confiance. Je me souviens, quand un des fidèles est mort, Luc Douillard, un miltant connu et respecté, Lolo a fait une céromonie pour rebaptiser la rue du Port-au-vin, rue "Luc Douillard". C'est fort et ça en dit long sur le personnage !", ajoute Stéphane Pajot.
Lorsque Pascale décroche son téléphone, elle chez Lolo en train de ranger. "J'ai connu La Perle en l'an 2000. J'ai rencontré Lolo à cette époque, je faisais des piges pour le journal le Point. Je devais faire un papier sur les lieux où sortir à Nantes. On m'a dit : va chez Lolo". Depuis ce jour, la Nantaise n'a plus quitté l'endroit.

La Perle, on y vient après les manifs pour se rafraîchir ou se réchauffer, selon les saisons, pour se remonter le moral, ou juste par envie de croiser des amis. Il y a parfois un concert. Avant le covid-19 on pouvait s'entasser à 50 dans 10 m² dans une ambiance terrible - Pascale, une habituée

"Quand j'ai su que Lolo voulait raccrocher  je me suis naturellemnt investie.  L'idée est de reprendre le bar à plusieurs, sous une forme associative. Pour l'instant, il faut réunir des sous pour racheter le fond. Lolo c'est mon voisin. Il est unique et c'est toute la difficulté : comment trouver quelqu'un comme lui alors que tout le monde sait qu'il est irremplacable", explique Pascale.
 

Une nouvelle aventure collective

Pour Laurent Messager, l'heure de la retraite a donc déjà sonné. Alors fini La Perle ? Certainement pas...Le Centre Culturel Collectif Perlusien(CCCP),  s'est créé avant le confinement, alors que l'affaire n'allait pas fort, histoire que ce lieu haut en couleurs à tous les points de vue, ne s'éteigne pas.

L'avenir se prépare à plusieurs mains. Le patron veut transmettre son bar d'une autre manière que celle pratiquée par le marché des commerces et établissements de débits de boisson. Il a convié quelques connaissance motivées, avec ou sans compétences, à réfléchir à un montage d'une reprise alternative.

Parce La Perle ce n'est pas qu'un bar, c'est aussi un lieu de jeux, de concerts, de chorales, de réunions, d'expositions. On y enregistre des émissions de radio, y feuillete des livres. C'est aussi une consigne à bagages... 

On va essayer de faire perdurer l'esprit du lieu. Un joyeux bon gros bordel mais finalement très organisé - Pascale, voisine de La Perle

"Lolo, je suis sa voisine, je le découvre tous les jours. Il est incroyable, il réfléchit en permanence. Il sait se poser les bonnes questions et s'entourer en plus d'être le meilleur d'entre nous. L'histoire va continuer. On va refaire toute la salle du haut. Là, on est en train de la déblayer pour faire une grande pièce à disposition, des artistes, des militants ou des migrants. On ne changera rien, on veut juste qu'il y est plus de place. Lolo est à la retraite depuis le mois d'avril mais il va rester encore un peu pour former la relève", conclut Pascale. 

Depuis un mois que l'appel aux dons a été lancé, 5 500 euros ont été récoltés auprès d'une centaine de personnes.  Il en faudrait le double pour que Lolo sorte de la tempête avant de pouvoir prendre un peu le large...sans totalement quitter le navire.



 
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