Des premiers cas de cancers pédiatriques signalés dans le Pays de Retz en 2015 à la création de l’Institut Citoyen de Recherche et de Prévention en Santé Environnementale en 2023, le documentaire "Contrepoisons, un combat citoyen" témoigne de la pugnacité des familles. Elles sont décidées à démontrer la cause environnementale des cancers qui ont emporté sept enfants en Loire-Atlantique dans la région de Sainte-Pazanne.
Ils sont quelques dizaines rassemblées devant le ministère de la Santé ce jour de février 2022 à écouter le discours de leur porte-parole Marie Thibaud.
On ne va pas rendre la vie aux enfants, mais on peut faire en sorte qu’il y en ait moins qui tombent malades.
Marie ThibaudPorte-parole du collectif "Stop aux cancers de nos enfants"
Ils sont venus avec quelques banderoles, mais surtout beaucoup de photos. Elles montrent des écoliers garçons et filles, souriants, crânes tout ronds sans leurs cheveux. Depuis 2015, dans leur commune de Sainte-Pazanne et aux environs, 25 enfants ont développé un cancer, 7 sont décédés.
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Pour les parents du collectif "Stop aux cancers de nos enfants", l’inaction n’est pas une option. Trop de sentiment d’impuissance, trop de chagrin, trop de colère.
Le combat des parents
Alertées fin 2015 par un nombre anormalement élevé de cancers pédiatriques parmi les enfants fréquentant la même école, l’Agence Régionale de Santé (ARS) des Pays de la Loire et Santé Publique France procèdent à des analyses et des recherches qui s’avèrent non concluantes quant aux causes.
Les investigations sont closes en juillet 2018. En février 2019, alors que de nouveaux enfants de la commune sont admis au service oncologie pédiatrique du CHU de Nantes, les parents se mobilisent et demandent la réouverture de l’enquête.
Cette fois encore, l’ARS et Santé Publique France ne parviennent à aucune conclusion. L’enquête conclut même à l’absence de cause commune à ces cancers. Les parents n’y croient pas, et les co-auteurs du documentaire non plus.
Davantage qu’une contre-enquête, "Contrepoisons, un combat citoyen" raconte comment ces familles ont décidé de prendre leur destin en main en créant leur propre structure, l’Institut Citoyen de Recherche et de Prévention en Santé Environnementale.
Le recours aux scientifiques
Pour ce faire, le collectif s’est rapproché de deux scientifiques de combat : Laurence Huc, toxicologue, directrice de recherche à l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE), est également l’une des figures du collectif "Scientifiques en Rebellion".
Annie Thébaud-Mony est quant à elle sociologue de la santé, connue pour ces travaux sur les maladies professionnelles et notamment les cancers liés à l’amiante.
Leur objectif : reprendre l’enquête et tenter de mettre en évidence la multiplicité des expositions aux polluants des enfants et de leurs parents.
Pour cela, elles procèdent à de longs entretiens avec les familles pour rembobiner des parcours de vie dans les moindres détails. Où les parents ont-ils grandi, quelles écoles ont-ils fréquentées, dans quelles entreprises ont-ils travaillé ? Mais encore, quelles sont leurs habitudes alimentaires, leurs loisirs, les éventuels antécédents familiaux, etc.
Un travail de fourmi dont le documentaire donne un aperçu, laissant largement la place aux témoignages extrêmement émouvants d’Aurélie et Séverine, mères de Juliette et Elouan tous deux décédés aujourd’hui.
Une affaire de dignité
Réalisé par Valéry Gaillard et Jean-François Corty, vice-président de Médecins du Monde "Contrepoisons, un combat citoyen" salue l’engagement de familles soucieuses d’avenir et du bien commun qui, malgré la douleur et le deuil, se sont engagées dans une voie altruiste.
Par-delà les controverses sur l’attitude des autorités et les désaccords au sein de la communauté scientifique et le monde politique sur les sujets de santé environnementale, l’Institut Citoyen de Recherche et de Prévention en Santé Environnementale s’inscrit dans une démarche la plus rassembleuse possible.
Constituée d’un conseil d’administration, d’un conseil citoyen et d’un conseil scientifique, la structure multiplie les prélèvements et les analyses dans le Pays de Retz, dans l’espoir de mettre en lumière les effets nocifs de l’interaction de divers polluants.
Car à Sainte-Pazanne, le collectif des parents en est convaincu : si on ne trouve pas de cause unique à cette prolifération de cancers pédiatriques, c’est qu’il y en a plusieurs.
Un "effet cocktail" où pêle-mêle pourraient interagir expositions aux pesticides et à des toxiques présents dans les sols incomplètement dépollués d’une ancienne entreprise industrielle de charpente proche de l’école où plusieurs enfants sont tombés malades et où s’élève désormais un lotissement.
Autre facteur de risque combiné, sans qu’il puisse être formellement démontré qu’il pourrait être mis en cause à ce jour, les champs électromagnétiques liés à la présence d’une ligne à haute tension à proximité de cette même école.
Cette multiplicité de facteurs est incontestablement un obstacle à la reconnaissance de la cause environnementale des cancers des enfants de Sainte-Pazanne, d’où les conclusions négatives réitérées des agences de santé.
François Lafforgue, qui conseille les parents dans leurs démarches juridiques, le sait, mais il ne désespère pas. S’il est difficile, voire impossible, d’identifier une ou plusieurs causes et donc d’éventuels responsables, l’absence de mesures préventives n’est-elle pas critiquable ?
L’avocat, déjà connu pour avoir fait condamner Monsanto, a obtenu en 2023 une victoire inédite : le tribunal de Paris a condamné l’État à indemniser deux familles dont les enfants souffraient de bronchiolites et d’otites à répétition durant les pics de pollution de l’air.
Le "plus jamais ça" passe aussi par là.
"Contrepoisons, un combat citoyen", un documentaire de Valéry Gaillard et Jean-François Corty
Une coproduction Squawk – France 3 Pays de la Loire
Diffusion jeudi 25 avril à 22h40 sur France 3 Pays de la Loire, rediffusions à 9h10 lundi 6 et mercredi 15 mai.
Disponible à la demande sur la plateforme france.tv