Dans un quartier populaire de Nantes, l'école Jean Moulin se distingue par son approche pédagogique novatrice. À travers le documentaire "L'école en équilibre", les enseignantes Carole, Pascale, Lucie et Elsa nous ouvrent les portes de leur quotidien, où l'éducation devient une aventure à part entière, au-delà des murs de la classe.
Entourée d’immeubles dont les fenêtres donnent sur sa cour de récréation. Jean Moulin est l’une des trois écoles du quartier Malakoff, bordé par la Loire et relié depuis 2011 par un pont à la pointe est de l'île de Nantes et à ses espaces naturels.
Un pont entre deux mondes
Un pont qu’empruntent chaque mercredi les classes emmenées par Carole, Pascale, Lucie et Elsa, les quatre enseignantes que les réalisatrices ont choisi de suivre pour leur documentaire.
Accéder à l’autre rive du fleuve pour la petite cohorte encapuchonnée, c’est découvrir un autre point de vue sur son environnement. Faire classe dehors au contact de la nature, c’est faire l’expérience qu’apprendre est possible ailleurs qu’entre quatre murs. Enjamber la Loire, c’est sortir du quartier, en soi, déjà une aventure pour certains des enfants.
Des enseignantes engagées et volontaires
Nul doute pour ces enseignantes que le combat contre les inégalités scolaires se nourrit d’initiatives pédagogiques comme celles-ci, ouvrant le champ des possibles.
Alors, quand à la rentrée, les maîtresses annoncent aux parents leur projet de partir une semaine en classe découverte avec leurs enfants, on réalise ce que l’occasion représente d’unique pour les familles.
Intervenante principale du documentaire, Carole Bellot a choisi d’enseigner en maternelle par intérêt pour les jeunes enfants et pour la liberté pédagogique qu’elle y trouve. Exercer dans un quartier difficile et y rester, c’est aussi son choix, malgré les difficultés.
Des enfants en terre pas toujours connue
Pour les enfants, ces premiers pas dans l’école sont déterminants. Carole le sait plus que quiconque, elle qui a en charge une grande section, dernière étape avant le CP.
Certains enfants ont appris le français à l’école maternelle, langue que leurs parents ne maîtrisent pas toujours eux-mêmes. "Qu’est-ce qu’ils vont devenir ? En naviguant entre plusieurs langues, plusieurs cultures, ils devraient être super armés pour réussir".
Ce mixage des cultures qui est un atout pour des familles favorisées se retourne contre celles qui vivent dans les quartiers. À la pauvreté et aux discriminations s’ajoute parfois une défiance envers les institutions.
"Il faut gagner la confiance de personnes qui n’ont pas forcément confiance en l’État" constate Carole Bellot. "On a beaucoup de parents qui sont sortis fâchés du système scolaire. S'ils ont un regard négatif sur l’école, c’est compliqué".
Maintenir l’espoir que l’école publique, par ses vertus émancipatrices, est l’outil de l’intégration par excellence, demande des efforts de tous les instants.
Le collectif, au centre du terrain de l'enseignement
Compliqué donc, mais pas impossible, surtout quand l’équipe enseignante, comme c’est le cas à Jean Moulin, place le collectif au centre de son fonctionnement.
C’est pour cela qu’une jeune enseignante comme Elsa Le Sauze, nommée seulement quelques jours avant une rentrée et pas spécialement préparée à intégrer une école REP + a décidé d’y rester.
Cette solidarité est un soutien pour chacune, indispensable pour remplir la mission qu’elles ont endossée, comme en témoigne Lucie, une autre maîtresse.
"J’étais intéressée de travailler avec des enfants de milieux populaires, j’y retrouve mes propres racines. Il y avait cette envie de redonner ce que j’avais reçu. Je crois encore au pouvoir de l’école, mais je n’ai pas envie de continuer à l’économie. Pour ces enfants, il faut être au top. Si je ne m’en sens plus capable, il faudra que j’aille ailleurs".
Une inclusion parfois difficile
Au quotidien chargé d’une école REP+ s’ajoute la prise en charge d’enfants porteurs de troubles plus ou moins importants et qui sont accueillis en classe par périodes, comme le prévoit la loi de 2005 sur l’école inclusive.
Le documentaire ne cache rien des difficultés rencontrées par les enseignantes, même épaulées par la présence d’Accompagnants des Élèves en Situation de Handicap (AESH). En salle des maîtresses, Elsa fait part d’un épisode violent avec un enfant qui mord, griffe, frappe, hurle.
Pascale, l’une de ses collègues, rappelle qu’autrefois ces enfants allaient en hôpital de jour quand ils étaient détectés. Aujourd’hui, les maîtresses et les ATSEM (Agents Territoriaux Spécialisés des Ecoles Maternelles) doivent gérer, avec peu de ressources. "Une souffrance s’installe" regrette-t-elle, "on est seules face aux problèmes, l’enfant souffre et la classe aussi".
Et pourtant, c'est cette même école inclusive par séquences qui permet à ces enfants de participer, eux aussi, à la classe découverte au centre équestre de Campbon, proche de Nantes. C'est le projet scolaire phare à Jean-Moulin cette année-là, et dont la concrétisation est au centre du documentaire.
Une semaine sans écrans et sans les parents, mais avec les maîtresses et les camarades, au contact de la nature. On part avec son doudou et les valises remplies de vêtements de dehors pour des journées à la ferme, on reviendra avec des souvenirs qu’on gardera bien au chaud au-dedans.
Pour certains, c’est une première fois en dehors de chez eux. Peu de ces gamins ont des grands-parents chez qui passer le week-end ou les vacances scolaires.
L'art d'enseigner
Observatrices fines et discrètes dans l’école et dans le quartier, en classe et dans la salle des maîtresses, Eurydice Calmejane et Catherine Pamart réalisatrices de “L’école en équilibre” nous permettent de comprendre concrètement ce qu'est d’enseigner à de jeunes enfants.
Acquérir connaissances et compétences, développer sa curiosité, s’exprimer et écouter, savoir-vivre ensemble : plus qu’un programme ce sont les bases d’une vie à construire qui s’établissent à la maternelle, avec des enjeux plus cruciaux à Malakoff et dans toutes les écoles REP que partout ailleurs.
À la fin du film, juin est revenu sur la cour de récréation, les vacances s’annoncent et avec elles le premier tournant dans la scolarité des enfants de grande section occupés à jouer.
Dans une salle de l’école, enseignants de maternelle et de CP se réunissent pour évaluer les acquis des élèves qui intégreront après l’été “la grande école”. "Qu’est-ce qu’ils vont faire quand ils seront au collège ? J’y pense souvent" confie Carole. "Je sais que ce sera semé d’embûches, mais je sème des graines".
Et elle et toutes les enseignantes de Jean-Moulin recommenceront à la rentrée prochaine.
La valse à 5 temps
Pendant ce temps, entre le début du tournage de “L’école en équilibre” jusqu’à sa diffusion aujourd’hui, cinq Ministres se sont succédé, alors même que l’Éducation Nationale est érigée en priorité dans les discours.
Pas de quoi rassurer l’institution et ses personnels sur sa capacité à s’attaquer aux inégalités. Car "si on acquiert la certitude que quand on vient d’un quartier, on ne peut rien faire" souligne Carole, "et qu’on ne peut pas s’en sortir juste du fait de nos origines, ça ne peut que semer de la colère".
“L’école en équilibre, chronique d’une maternelle de quartier”
Un documentaire d’Eurydice Calméjane et Catherine Pamart - Une coprodution Ciao Films- France 3 Pays de la Loire.
Diffusion jeudi 21 mars à 22 h 50 et rediffusions à 9 h 10 vendredi 22 et lundi 25 mars, mercredi 3 et mardi 9 avril.
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