Que signifie réellement être Français ? Pour tenter de répondre à cette question, la réalisatrice Johanne Rigoulot enquête sur une grand-tante partie de son village pour aller vivre au Proche-Orient dans les années trente.
Qu’est-ce qu’être français ?
La question provoque des débats enflammés, souvent à tort, car la réponse est simplissime : être Français, c’est avoir la nationalité française, ce qu’atteste la détention d’une carte d’identité, ou d’un passeport.
L’identité française, c’est encore autre chose et bien sûr, plus complexe. On peut techniquement être Français, et ne pas se sentir Français. À l’inverse, être pétri de culture française, être francophile, tout en étant d’une autre nationalité.
Si Johanne Rigoulot se pose cette question, c’est qu’elle s’est lancée dans une quête et dans une enquête. La quête, c’est celle du destin d’une grand-tante prénommée Yvonne. Partie à l’aube des années trente de son village bourguignon sans crier gare, on la retrouvera ensuite en Égypte puis au Liban où elle décédera dans les années 70 sans jamais avoir revu son pays.
L’enquête
C’est l’envie de la réalisatrice d’en savoir plus sur celles et ceux qui ont fait le chemin inverse, de la naissance dans un pays étranger à la nationalité française aujourd’hui.
La quête et l’enquête convergent à Nantes, où deux services abritent les actes de ces Français dont la vie s’est déroulée tout ou partie hors des frontières nationales : le Service Central de l’État Civil et le Centre des Archives Diplomatiques.
"Il y a deux grands modes d’attribution d’une nationalité" rappelle le politologue Patrick Weil, "le sol et la filiation. Aux États-Unis, c’est le sol. Vous naissez aux USA, vous êtes américain automatiquement. C’était le régime dominant en France aussi jusqu’à la Révolution. Et la France a opéré une rupture mondiale en instaurant la nationalité par la filiation dans le Code civil de 1803. Ça donne une indépendance aux Français parce qu’il peut se promener dans le monde et transmettre sa nationalité à ses enfants."
Le documentaire traduit à merveille ce petit cours d’histoire et de droit avec le cas de Francesca. Née à Florence d’un père italien et d’une mère tunisienne arrivée en France en 1956, elle a grandi à Paris et vit en Angleterre depuis vingt ans.
Je suis devenue Française par filiation à mes 18 ans, mais je ne me sentais pas Française. J’avais vécu en Italie, après le divorce de mes parents, j’habitais avec ma mère un appartement dans un immeuble avec plein de Juifs tunisiens. Je suis passée des pâtes au couscous sans passer par la case jambon-purée
Francesca
L’histoire de la famille de Francesca est emblématique de la grande diversité des façons d’acquérir la nationalité française. Lors d’un rendez-vous organisé pour les besoins du documentaire au Service Central de l’État Civil qui n’est pas ouvert au public, Francesca ira aux sources de la nationalité dont elle a hérité.
Quand les fonctionnaires lui montrent l’acte de naissance de sa mère : il porte en mention que cette nationalité lui a été octroyée par décret en Tunisie à l’époque sous protectorat français.
Colonies, protectorats, mandats : la présence française en Afrique, en Asie et au Proche-Orient a pris diverses formes durant l’histoire. Les actes d’état civil de ces périodes ont été fort heureusement conservés, car certains Français doivent depuis quelques années prouver… qu’ils le sont.
Être né à l’étranger ?
Une richesse, assure Christian, né lui aussi à Tunis qui se souvient avec nostalgie du pays que sa famille, par ailleurs d’origine italienne, a dû quitter. Son petit frère Claude, lui, est né en France, plus précisément à Saint-Denis en banlieue parisienne, et n’a rien connu de cette vie-là ni du déchirement du départ.
Pourtant, l’un comme l’autre ont dû apporter la justification auprès de l’administration qu’ils étaient bien Français au moment de renouveler leur carte nationale d’identité.
On m’a dit "vos parents sont nés à Tunis" raconte Claude, "il a fallu fournir leurs actes de naissance à eux. Ça m’a mis en colère : ils sont Français, nés à Tunis, je suis né en France avec une carte d’identité française" que faut-il de plus. Son frère Christian renchérit :
Avoir des papiers qui disent que vous êtes Français ne suffit plus
Christian
Motif de ces tracas, un décret de 2005, connu sous le nom de "Loi Sarkozy". Depuis, rappelle la réalisatrice, être né en France, y avoir grandi, travaillé, marié ou voté ne suffit plus pour obtenir pour la première fois un titre sécurisé. Si l’un des deux parents au moins est né à l’étranger, il faut fournir la preuve qu’il était bien Français.
C’est le cas de Stéphane, autre témoin du film, dont les parents italiens ont demandé et obtenu la nationalité française quand il avait six ans. En tant que mineur, il est devenu Français lui aussi automatiquement. Mais il devra pour obtenir sa carte d’identité solliciter l’acte de naissance de ses parents auprès du Service Central de l’État Civil qui porte en mention marginale l’obtention de cette nationalité.
Il en ira de même pour les enfants de celles et ceux qui aujourd’hui ont obtenu la nationalité française sans en avoir hérité, mais l’ont demandée. Johanne Rigoulot rencontre ainsi Melha, Algérienne arrivée en France à l’âge de 2 ans et française depuis ses 24 ans.
"Il me paraissait normal de prendre la nationalité du pays où j’avais l’intention de vivre toute ma vie".
Plus jeunes, ses frères sont tous nés en France. Le français est leur langue. Melha aussi, mais elle parle encore le Kabyle. Être française et porteuse d’une autre culture, il y a dans cet exemple comme dans tant d’autres tout l’idéal universel sur lequel s’est fondé notre pays.
"C’est la littérature, le théâtre, les mots qui m’ont rendue française" confie Melha. Mais en tenant sa carte d’identité en main, Melha l’affirme :
Ce bout de plastique m’a aidé à me sentir Française
Melha
Et la fameuse tante Yvonne, se sentait-elle française après toutes ces années passées au Liban, où elle repose désormais ? Johanne Rigoulot en doute. Mais son détour à Nantes par le Centre des Archives Diplomatique, service quant à lui ouvert au public, lui aura permis de retrouver sa trace, et de lever un peu du mystère de son exil, et de sa vie quotidienne.
Et grâce à un ami libanais, elle retrouvera des dames aujourd’hui très âgées qui l’avaient connue à Beyrouth et qui lui livreront de précieux souvenirs… En français.
Les Français de l'exil, un documentaire (52') de Johanne Rigoulot
Une coproduction Comic Strip - France 3 Pays de la Loire
Diffusion jeudi 7 mars à 22 h 40
Rediffusions à 9 h 10 mercredi 27 mars
► À voir en replay sur france.tv dans notre collection La France en Vrai
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