Le fer de lance de la résistance lors de la Seconde Guerre mondial a des racines profondes dans le Sud-Est avec une enfance passée dans les Alpilles. Retour sur cette Provence qui a marqué les grandes étapes de la vie de Jean Moulin.
Du héros de la résistance, Jean Moulin, on croit tout connaître : son travail durant la Seconde Guerre mondiale pour créer le Conseil national de la résistance, son arrestation à Lyon par Klaus Barbie et bien sûr sa panthéonisation, le 19 décembre 1964.
Ce soir-là : le général de Gaulle, Laure Moulin sa sœur, ses cousines Andrée et Suzanne Escoffier écoutent le discours bouleversant d’André Malraux, alors ministre de la Culture, qui fait entrer Jean Moulin dans l’histoire Française.
Pourtant, peu le savent mais Jean Moulin est avant tout un Provençal. Certes, il est né à Bézier, ses cendres reposent au Panthéon mais son cœur, lui, est sans doute resté fidèle à Saint-Andiol.
Un petit village des Alpillles
Saint-Andiol au pied des Alpilles, entre la Durance et le Rhône, à 10 km de Saint-Rémy, c’est le village de ses ancêtres. Ici l’histoire des Moulins remonte à plusieurs siècles. Tout commence avec une famille de tisserands. Pour nous raconter cette histoire : Gilbert Benoit. Il est l’époux de Cécile, l’une des plus proches descendantes de Jean Moulin.
"Au XVIIIe siècle, la famille Moulin, venue des Alpes-de-Haute-Provence, s’installe à Saint-Andiol, explique Thomas Rabino, historien spécialiste de la résistance. Le grand-père de Jean Moulin, Jean Alphonse, a fait construire cette maison sur ce qui s’est longtemps appelé la Nationale 7. Elle est toujours debout aujourd’hui et nous l’entretenons."
"Cette maison a une importance particulière pour Jean Moulin, elle scelle l’ancrage de la famille en Provence, poursuit ce grand connaisseur de Jean Moulin. Cette maison, il va y être attaché toute sa vie. Il sera, par exemple, celui qui va dessiner les plans du jardin à la française. C’était un havre de paix pour lui, l’endroit où il retrouvait sa famille et cela tout au long de sa vie. Même durant la résistance."
Si Jean Moulin n’est pas né à Saint-Andiol mais à Béziers, c’est un peu par accident. Son père était professeur et la naissance de Jean, comme celle de ses frères et sœur était prévue en Provence, mais eu lieu à Béziers, sans doute un peu en avance, le 20 juin 1899.
L'influence de "Tartarin de Tarascon"
Son baptême en revanche, celui du dernier-né des Moulins, fut célébré à Saint-Andiol, une fête incroyable qui réunit tout le village. Antonin le père y compte en effet de nombreux amis. C’est l’un des plus lettrés du village, il est ce que l’on appelle un félibre, un poète provençal.
Le provençal était une langue aussi parlée que le français dans la famille.
Gilbert Benoità France 3 Provence-Alpes
Antonin est un grand admirateur de Frédéric Mistral, avec qui il entretiendra une correspondance pendant des décennies, il connaît aussi personnellement Alphonse Daudet. Tous deux firent partie de ses amis. Jean, tout comme sa sœur Laure d’ailleurs, le comprend parfaitement.
La bibliothèque des Moulins comprend des centaines d’ouvrages. Parmi eux Tartarin de Tarascon, d’Alphonse Daudet. Le conte populaire sur la Provence deviendra l’un des livres de chevet du petit Jean.
Benoît Bagan est guide conférencière. Native elle aussi de Béziers, elle a un amour immodéré pour la vie de Jean Moulin. Elle connaît sur le bout des doigts la vie du petiot garçon qu’il fut et di héros qu’il devint.
"Évidement, un enfant comme Jean Moulin, qui a plutôt le caractère d’un rêveur est passionné par tartarin de Tarascon, sourit-elle. Un conte qui sort en 1872 sous forme d’abord de feuilletons et qui raconte l’histoire du chasseur de casquette de Tarascon : Tartarin. Un anti-héros par excellence mais il y a beaucoup de cocasserie dans ce livre. Ça ne peut que plaire à un enfant comme Jean Moulin qui a soif d’aventures."
Des vacances en Provence
Jean Moulin passe toutes ses vacances à Saint-Andiol. Mais aussi une année scolaire complète en 1906. Il est envoyé chez sa tante pendant de longs mois. Car à Bézier, son frère ainé Joseph, se meurt d’une longue maladie. "Là, à Saint-Andiol, il est éloigné de cette douleur et il y passe des moments légers et heureux. Il s’en souviendra toute sa vie", dévoile Thomas Rabino/
Le petit Jean usera ses fonds de culotte dans l’école communale du village. Aujourd’hui le bâtiment est devenu un musée qui lui est consacré.
A la suite de ce décès, Antonin, le père reportera toute son ambition et son affection sur le dernier fils encore en vie : Jean. Durant des années, ensemble, père et fils, accompagnés par Laure, la grande sœur, vont faire de longues promenades au pied des Alpilles, par exemple à château Romanin à Saint-Rémy, dans les ruines de Baux, sur les bords de la Sorgue.
Devenu adulte, la carrière dans la préfectorale conduira Jean Moulin aux quatre coins de la France. En Savoie, il se lie d’amitié avec un couple fortuné : les Chatins. Ensemble, ils passent des vacances au ski ou sur la Côte d’Azur et notamment dans le petit village de Saint-Tropez, bien avant que le lieu soit à la mode.
Des vacances un peu chics mais aussi des moments simples en famille, toujours en Provence. Voici par exemple la photo la plus connue de Jean Moulin et de sa sœur Laure. Elle est prise et ce n’est pas un hasard au pied des Alpilles.
"On voit deux personnalités très fortes qui se ressemblent beaucoup, détaille Thomas Rabino. On voit un frère et une sœur fusionnels le tout ancré dans cette Provence qui leur est si chère."
C’est un parfait résumé de leur relation à la fois sur un plan fraternel et géographique.
Thomas Rabinoà France 3 Provence-Alpes
Le site archéologique de Glanum à Saint-Rémy est également un lieu cher à Jean Moulin et sa famille.
Il est découvert en 1921. Glanum deviendra très vite un but de promenade pour les Moulins. Les enfants, comme le père, sont passionnés par l’antiquité. Ensemble ils veulent même écrire un livre sur le site.
"Toute sa vie, Jean Moulin repasse sur la Provence, sur Saint-Andiol, assure Gilbert Benoit. Ses cousines, Andrée et Suzanne, ont toujours dit que c’était un cousin joyeux. On constate sur les photos des réunions de famille heureuses et conviviales… Jusqu’à ce que la guerre éclate."
Le tournant de la Seconde Guerre mondiale
Le 1er septembre 1939, sans déclaration de guerre, Adolf Hitler lance la Wehrmacht à l’assaut de la Pologne. La Seconde Guerre mondiale vient de débuter. En mai 1940, Jean Moulin fait face aux événements. Il est préfet à Chartres, et voit affluer les réfugiés de Belgique, du nord de la France, de Paris. Il écrit alors une lettre à sa sœur et à sa mère : il leur demande d’acheter pour lui un petit mas dans les Alpilles, à Eygalières. Un lieu qu’il veut consacrer à aider les réfugiés.
"Pour lui, en achetant cette bergerie et les deux hectares de terrain et de vignes, il va faire une action humanitaire, décrypte Thomas Rabino. Il voit, en tant que préfet, la douleur des gens arrachés à leurs maisons qui fuient les bombardements, qui fuient la guerre. Il a donc cette idée-là d’utiliser le petit mas pour les réfugiés."
L’idée n’aboutira finalement jamais. Le mazet, est toujours debout, entretenu lui aussi par la famille. "On a très peu de photo, mais on sait que c’est un lieu où Jean Moulin aimait venir, raconte Gilbert Benoit. C’est un lieu pour lequel il avait eu le coup de foudre. C’est le seul bien qu’il ait acheté en main propre."
"Saint-Andiol va être le lieu où il se ressource"
Mais revenons-en 1940, pour l’heure Jean Moulin est démis de ses fonctions de préfet d’Eure et Loire par l’administration de Vichy. Il entre alors dans la résistance.
"Lorsqu’il est révoqué, il se retire à Saint-Andiol et se déclare agriculteur, pointe Gilbert Benoit. Et c’est de là qu’il va parcourir le sud de la France pour rencontrer les mouvements de résistance qui commencent à naitre sur le territoire."
"Et là, son arrière-base, c’est Saint-Andiol et sa maison familiale, ajoute Benoite Bagan. Et il va aller très souvent à Marseille pour essayer d’établir un rapport sur tous les mouvements de résistance qui sont encore embryonnaires." "Saint-Andiol va être le lieu où il se ressource', assure Thomas Rabino.
Il retrouve les siens, sa mère, sa sœur, ses cousines. Et étant donné qu’il connait très bien les lieux et que tout le monde le connait, même si personne ne sait qu’il est engagé dans la résistance (à part sa sœur), il se sent en sécurité.
Thomas Rabinoà France 3 Provence-Alpes
Très vite Jean Moulin se rapproche du Général de Gaulle. Il se rend à Londres pour le rencontrer. Il sera chargé de la mission Rex : réunir les mouvements de résistances de la zone non occupée.
"Mais tu tombes du ciel"
Pour mener à bien cette mission, Jean Moulin doit impérativement rentrer en France. Des parachutages sont prévus, puis annulés en raison de la météo. Mais le temps presse, nous sommes en décembre 1941. Les Anglais laissent le soin à Jean Moulin de trouver un endroit en France pour atterrir.
Jean Moulin choisit Eygalières, juste à côté de son mazet pour être parachuté. Le parachutage a lieu une nuit de pleine lune entre le 1er et le 2 janvier 1942. Jean Moulin passera une nuit dans ce refuge avant de revenir à Saint-Andiol chez sa tante.
"Il arrive le matin tout crotté, il débarque à l’improviste, sourit Thomas Rabino. Les petites-cousines boivent leur bol de chicorée et la tante demande : 'Mais tu tombes du ciel.' Ce à quoi Jean Moulin répond : 'C’est à peu près ça'. Trois ans après, les petites-cousines comprendront le sens de cette réplique."
Ce parachutage en Provence, c’est l’acte fondateur de l’unification de la résistance. Dès cet instant, Jean Moulin parcourt notre pays au service de la France Libre. Malgré le danger, il revient dès qu’il peut en Provence pour embrasser les siens.
"C’est une des dernières photos de Jean Moulin avec toute sa famille, glisse Benoite Bagan. Laure et Jean sont agnostiques mais la famille des tantes est pieuse, donc ils sont venus faire une sorte de pèlerinage ici. On voit surtout sur cette photo Laure et Jean, le couple emblématique de résistants. Mais on voit déjà, nous sommes en 1942, les transformations physiques de Jean Moulin, il est seul, il fait des allers-retours dans toute la France et il sent le danger."
Sa mission est très difficile, d’autant qu’il n’y a pas une entente parfaite au sein des mouvements de résistance. Il sait bien qu’un jour, il va se faire prendre, c’est un résistant traqué.
Benoite Baganà France 3 Provence-Alpes
Un détour par Nice
Jean Moulin se crée alors une nouvelle couverture à Nice. Il devient marchand d’art et ouvre une galerie au cœur de la ville, au 22 ter rue de France. Bénédicte Vergez-Chaignon est historienne, elle a travaillé durant dix ans sur les mémoires de Jean Moulin auprès de Daniel Cordier, le secrétaire du résistant durant la Seconde Guerre mondiale.
"Jean Moulin s’est installé à Nice car il n’y avait pas d’activité clandestine et parce qu’il y connaissait peu de monde en dehors d’un ami avocat qui pouvait l’aider dans ses démarches donc c’était un choix de prudence, justifie Bénédicte Vergez-Chaignon. Ici il était Monsieur Moulin, ancien préfet et marchand d’art. C’est tout l’intérêt d’une couverture plausible de l’avoir sous sa véritable identité et de paraitre avoir une activité professionnelle crédible qui justifie ses nombreux déplacements."
Romanin, comme le château de son enfance à Saint-Rémy-de-Provence où son père l’emmenait courir parmi les herbes folles, c’est ainsi eu Jean Moulin nomme la galerie. Dans cette ville huppée, la galerie Romanin est un véritable succès artistique.
A l’intérieur Jean Moulin fait la part belle aux peintres de la Méditerranée. "Il ne faut jamais oublier qu’il reste un enfant de son pays, un héritier de la Provence, des Alpilles, de ce soleil, de ce ciel bleu dur et au fond c’est ce qu’il recherche dans les peintres qu’il expose", pointe Bénédicte Vergez-Chaignon.
Un coup de cœur pour un peintre provençal
Et ces paysages provençaux qu’il aime tant, Jean Moulin va les reconnaître parfaitement sous le pinceau de l’artiste Auguste Chabaud. A Graveson dans l’atelier du peintre, le temps s’est comme figé. Jean Moulin y a passé une après-midi à choisir des œuvres pour la galerie Romanin.
Il achètera sept toiles à Auguste Chabaud. La famille s’en souvient encore. Martine Chabaud est l’une des petites filles de l’artiste.
Ces œuvres ont tapé dans l’œil de Jean Moulin car ce sont des paysages de sa jeunesse, ça représente tellement la Provence.
Martine Chabaudà France 3 Provence-Alpes
Dans les toiles de Chabaud : la Montagnette, des paysans, des arlésiennes, des cyprès, des oliviers, des chapelles et des mas. "Jean Moulin est reparti par l’allée de platanes, se souvient Martine Chabaud. Il avait mis les tableaux sur sa tête pour contrer les bourrasques. Il a avancé jusqu’au grand portail et à la petite gare de Graveson. La famille a gardé la vision de cet homme remontant la longue allée de platanes qui s’inscrit dans les chemins de la liberté."
Un dernier retour en Provence avant son arrestation
Nous sommes en 1943, Jean Moulin ne le sait pas, mais il lui reste seulement quelques mois de vie. Il reviendra ensuite une dernière fois à Pâques embrasser les siens. Sa sœur Laure le regarde quitter Saint-Andiol le cœur lourd elle pressent qu’elle ne le reverra jamais. Jean Moulin part pour créer le conseil national de la résistance.
Le 21 Juin lors d’une réunion secrète à Caluire, à côté de Lyon il est fait prisonnier par Klaus Barbie.
Torturé, il ne révélera aucun de ses secrets.
C’est dans un train en direction des camps de concentration que le résistant va mourir. Il ne connaîtra pas l’après-guerre et ne retournera jamais dans sa chère Provence.
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