ENTRETIEN. Violence des mineurs. "L'adolescence est une période à risques", alerte la psychiatre Rachel Bocher

Après les agressions- dont un viol- d'adolescents par d'autres mineurs ces dernières semaines en France, Rachel Bocher, chef du service psychiatrie du CHU de Nantes analyse cette hausse de la violence entre jeunes. Un phénomène plurifactoriel selon la médecin, à prendre très au sérieux.

Rachel Bocher est chef du service psychiatrie du CHU de Nantes. Médecin, syndicaliste-présidente de l'INPH, l'Intersyndical national des praticiens hospitaliers, la psychiatre nantaise a toujours été très engagée à défendre l'hôpital public.

Un constat alarmant

Shemseddine, Shanon, Samara, Matisse... Ces dernières semaines, les noms de ces quatre adolescents ont marqué l'actualité en France. Ces ados ont été victimes de violences ou de viol de la part d'autres jeunes jusqu'à en mourir.

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Des actes terribles qui interpellent Rachel Bocher. 

Face au constat alarmant d'une recrudescence de la violence chez les mineurs, la psychiatre nantaise nous livre son analyse sur le sujet.

Comment s'explique cette violence de plus en plus fréquente chez les mineurs ?

Si on parle de la violence des jeunes, il faut prendre en compte deux événements majeurs :

1/ La violence n'est pas forcément synonyme de pathologie

2/ On constate que cette violence arrive sur des jeunes de plus en plus jeunes et qu'elle est de plus en plus grave.

Cette violence est un moyen de communiquer quelque chose qui ne va pas

Rachel Bocher

Cheffe du service psychiatrie du CHU de Nantes

Il y a à mon avis des moyens de faire de la prévention et d'éviter une surenchère pour éviter les passages à l'acte gravissime comme l'on a connu récemment en France. 

Ces actes graves correspondent à des éléments qu'on trouve à l'adolescence de frustration, d'insatisfaction ou de jalousie, surtout quand l'ado a besoin de se construire une identité dont il n'est pas sûr. Ce sont des petits signes à repérer pour éviter les gros problèmes.

Ce phénomène a-t-il été amplifié après le covid ?

À l'adolescence, il y a des grandes causes qui peuvent être à l'origine et d'anxiété majeure et de dépression à la suite d'un deuil, d'une difficulté à vivre, ou d'une psychose.

Effectivement, après le covid, on a eu des éléments de violence qui sont la traduction d'angoisses, de dépression, de perte d'identité beaucoup plus importantes en lien avec des événements d'imprévisibilité, d'incertitude, de non-visibilité de l'avenir qui semble incertain, dangereux, inquiétant. 

Dans cet avenir inquiétant, il y a le covid, mais aussi le réchauffement climatique, les problèmes de chômage, la guerre en Ukraine ou encore le conflit israélo-palestinien.

Sur l'adolescent, tous ces événements incertains redoublent leurs angoisses d'identité : que seront-ils plus grands ? Auront-ils des problèmes de chômage ? Quel sera leur avenir professionnel ? Voilà le dilemme : je dois me construire, mais mon avenir est incertain.

Ce qui est également ressorti de la crise covid, c'est qu'un adolescent a besoin de repères, de milieux stables. Or, on le voit de plus en plus, les cellules familiales éclatent, la société est de plus en plus le miroir d'une violence à tous les niveaux.

Tout cela crée un sentiment de peur chez l'ado : peur de ne pas y arriver, peur de décevoir ses parents, peur de la nuit. Des peurs qui entraînent des troubles du sommeil et/ou de la consommation de produits toxiques.

L'adolescence est une période à risques

Rachel Bocher

Cheffe du service chirurgie du CHU de Nantes

Ces risques sont doublés, voire triplés depuis le covid par une société qui a du mal à se construire avec des éléments de référence, qu'ils soient économiques, sociologiques, politiques.

On n'a par exemple jamais eu autant de violence, d'auto-agressivité, c'est-à-dire des tentatives de suicide chez les 11-12 ans.

Des mouvements de violence qui ont à voir avec l'éducation ou la justice.

Violences, transgression et toxiques

Comment les jeunes vous parlent de cette violence ?

Ils parlent surtout de leur histoire. Souvent les jeunes qu'on voit nous dans nos services en psychiatrie présentent des souffrances mentales importantes avec des idées suicidaires, des angoisses constantes, des troubles du sommeil.

Cela renvoie très souvent aux souffrances et aux difficultés qu'ils ont vécues dans leur enfance, à savoir de la violence, de la maltraitance, des agressions sexuelles.

30 % à 40 % des patients que nous voyons en consultation et en hospitalisation ont subi des violences et/ou des violences sexuelles dans leur enfance

Rachel Bocher

Chef du service psychiatrie du CHU de Nantes

Le premier ministre Gabriel Attal a promis des mesures "extrêmement fortes ", en vue d’un "sursaut " de la société.

La sanction est-elle la réponse la plus appropriée ? 

Il faut que le travail soit pluriprofessionnel. Chacun doit prendre sa part. 

Attention à ne pas s'engouffrer trop vite dans une seule explication de ces comportements violents de plus en plus graves et commis par des personnes de plus en plus jeunes. 

Souffrance, délinquance, transgression sont des éléments à mettre en perspective.

Aujourd'hui dans la transgression, les toxiques jouent un très grand rôle.

Pour les adolescents, cela peut être le moyen d'éviter les mauvaises pensées, et d'avoir du plaisir de façon immédiate.

La question de la violence est inhérente à la prise de toxiques et le fait que l'adolescent perd pied complètement avec la réalité

Rachel Bocher

Cheffe du service psychiatrie du CHU de Nantes

Il faut voir le contexte social, sociétal, économique, éducatif sur lequel le malaise de l'adolescent prend racine.

Quelles peuvent être les autres solutions ?

La réponse doit être plurifactorielle.

Il faut prévenir, être alerte en amont à tous les niveaux. Et agir. Il faut des actes. Des actes et des leviers d'action qui dépendent tant d'une politique de la ville, d'une politique de l'éducation, d'une politique des universités, que d'une politique économique et bien sûr d'une politique de santé.

Aujourd'hui sur la question de la psychiatrie et de la santé mentale*, notamment de la santé mentale des jeunes, et des adolescents - les 15-22 ans est la tranche d'âge où démarrent la plupart des pathologies - on remarque que les pathologies des jeunes et des mineurs sont inhérentes à différents facteurs.

Des "déterminants de santé", qui sont aussi bien éducatifs, culturels, sociologiques, sociétaux, économiques. Et donc ces politiques-là doivent se réfléchir en interministériel.

Ce n'est pas qu'un problème de santé. Il faut des politiques conjointes pour faire face aux différents éléments à l'origine d'une bascule à l'adolescence

Rachel Bocher

Cheffe du service psychiatrie du CHU de Nantes

Quand il y a une transgression majeure, la réponse à la transgression doit être limpide et correspondre à la justice. Ou alors le jeune est déclaré irresponsable et alors, on bascule dans d'autres choses.

Attention à la surenchère chez ces jeunes qui se cherchent des modèles. Atttention aussi au cycle de la violence relayé dans les médias, il y a un risque de contagion...

II faut trouver un équilibre entre sanction et prévention.

Il faut des réponses claires tant pour le jeune que pour la société.

La réponse doit être éducative, judiciaire et psychothérapique.

Rachel Bocher participera au Conseil national de la refondation en santé mentale organisé par Frédéric Valletoux le ministre en charge de la santé et de la prévention. Il s'ouvrira le 12 juin prochain. Il avait été promis par Emmanuel Macron. Gabriel Attal a annoncé qu'une attention particulière sera portée à la santé mentale des enfants, adolescents et étudiants.

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