Un week-end de commémoration à Châteaubriant au nord de Nantes. De nombreux hommages ont été rendus aux prisonniers des camps d'internement de Choiseul et aux 27 fusillés de la carrière de la Sablière, victimes de la barbarie nazie.
Comme chaque année, une foule immense et recueillie. C'était il y a 83 ans, 27 otages dont le jeune Guy Môquet étaient exécutés dans une carrière de Châteaubriant en contrebas du bourg. Des tirs en rafales entendus à l'époque dans tout le village. Denise a 94 ans aujourd'hui. Elle était encore une enfant lorsque son père, Charles Michels député communiste, est fusillé par les nazis. Il tombe sous les balles à 15 h 50 ce 22 octobre 1941.
"Il est là avec moi"
C'est plus qu'un souvenir, il est là avec moi, il est toujours là
Denise Bailly-Michels, 94 ansFille de Charles Michels, otage fusillé à Châteaubriant
Casquette sur la tête, emmitouflée dans une doudoune kaki qui peine à absorber le crachin, Denise regarde fixement le portrait de ce père tant aimé. Son visage est accroché juste au-dessus d'un des neuf poteaux sur lesquels se sont effondrés les fusillés.
"J'ai l'impression que je peux lui parler, que je peux lui dire quand il y a des problèmes", murmure la vieille dame. Elle parle à voix basse pour ne pas perturber les notes de la fanfare qui joue le chant des partisans.
"J'étais très fière de mon père, j'étais toujours accrochée à lui quand il était à la maison, parce qu'il était rarement là. Quand il était avec nous, je voulais l'accaparer, mais il y avait ma mère aussi, il y avait ma sœur, mais moi, je prenais toujours une grande place", avoue Denise dans un large sourire.
À ses côtés, son fils et des centaines de personnes réunies sous la pluie. "Il y a moins de monde qui vient aux cérémonies, mais c'était il y a si longtemps". Elle a fait la route depuis la région parisienne et ne raterait l'instant pour rien au monde, d'autant que "la situation politique l'inquiète."
"Hitler a surfé sur la pauvreté, la misère"
Sur scène, Carine Picard-Nilès prend la parole, présidente de l'Amicale des fusillés de Châteaubriant prend la parole et elle ne mâche pas ses mots. "Il ne faut jamais oublier que Hitler a été élu par le peuple. Hitler, il est monté parce qu’il a fait la petite voiture du peuple, la Volkswagen. Il a surfé sur la pauvreté, la misère, et aujourd'hui, moi, je n'ai jamais vu autant de pauvres, de misérables, qui ont du mal à finir les fins de mois, ce n'est pas normal, on est dans un pays riche," se désole la présidente.
Oui, ça m'angoisse pour l'avenir, je suis maman. Je n'ai pas envie de finir avec une 3ᵉ guerre mondiale.
Carine Nilès-PicardPrésidente de l'Amicale des Fusillés de Châteaubriant
"Ces fusillés de Châteaubriant, les internés des camps, les anciens, les familles qui ont monté l'association en 1945, ce qu'ils voulaient, c'est perpétuer le souvenir pour pouvoir éviter que ça recommence. Donc là, maintenant qu'ils sont partis, on doit, en leur mémoire, respecter leurs vœux."
"Guy Môquet a eu une phrase magnifique, soyez dignes de nous, et il faut qu'on reste dignes d'eux", ajoute Carine Picard-Nilès pour qui cette célébration est aussi l'occasion de célébrer sa grand-mère Odette. Décédée l'an passé à l'âge de 102 ans, elle était "la fiancée de Guy Môquet". Résistante et survivante du camp de Choiseul, elle a milité toute sa vie au sein du parti communiste.
Elle est là avec moi aujourd'hui. Elle a partagé toute ma vie, elle m'a construite
Carine Picard-NilèsPrésdidente de l'Amicale des fusillés de Châteaubriant
"Ce combat, on doit le continuer"
Chapeau de feutre sur la tête, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, dépose une gerbe de fleurs. Elle découvre la carrière de la Sablière "avec une vive émotion".
C'est comme s'ils étaient encore là
Sophie BinetSecrétaire générale de la CGT
"Parmi les 27 fusillés de Châteaubriant, la majeure partie d'entre eux, était syndiquée à la CGT. Nombreux étaient dirigeants. Ils sont morts pour nous, pour notre liberté. Aujourd’hui, on a l'impression que l'histoire bégaye. L'extrême droite est aux portes du pouvoir. En France, comme dans beaucoup de pays du monde. Eux, ils avaient lutté contre l'extrême droite, contre la barbarie nazie et la collaboration".
Ils avaient lutté contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie. Aujourd'hui, ces fléaux ne cessent de progresser
Sophie BinetSecrétaire générale de la CGT
Au micro, face aux élus locaux, aux familles, aux bénévoles, face aux simples citoyens, Sophie Binet salue le combat de ceux qui sont tombés. "Il faut essayer d'être à la hauteur des mots que Guy Môquet nous a laissés, nous disant ; je ne souhaitais pas mourir, mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c'est que ma mort n'ait pas servi à rien. Leur mort n'a pas servi à rien parce que grâce à la Résistance, nous avons gagné les plus grands acquis sociaux, la Sécurité sociale, les comités d'entreprise, les nationalisations, la liberté de la presse, la liberté syndicale. Mais ce combat, on doit le continuer justement pour maintenir leurs idéaux et notamment cet humanisme radical qui faisait le ciment parmi ces résistants et résistantes."
Il ne reste aujourd'hui plus aucun témoin direct. Les survivants de cette sombre période appartiennent désormais aux livres d'histoire. Transmettre leur mémoire et leurs combats, c'est aujourd'hui le seul rempart, alors que les digues politiques se fragilisent chaque jour un peu plus partout en Europe. En juin dernier, la France célébrait en grande pompe le 80ᵉ anniversaire de la Libération, dans le même temps Jordan Bardella, candidat RN aux élections européennes, arrivait en tête du scrutin avec 31,37% des suffrages.
Les Fusillés de Châteaubriant. Un reportage de Céline Dupeyrat, VIncent Raynal, Christophe François et Nathalie Saliou
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