Après un petit détour par le cinéma, le temps de produire son quatrième long métrage baptisé Les Sans-dents, Le Nantais d'adoption Pascal Rabaté retrempe sa plume dans la bande dessinée en compagnie du dessinateur François Ravard et nous offre un petit bijou d'humour et de poésie. Rencontre...
Il y a une constance dans l'écriture de Pascal Rabaté, un petit quelque chose qui le distingue des autres, peut-être tout simplement une belle sensibilité et une empathie envers ses semblables, même s'il dit avoir en lui un petit fond de cruauté.
D'ailleurs son nouvel opus, La Loi des probabilités, réalisé avec François Ravard au dessin, et publié chez Futuropolis en est une fois encore une démonstration éclatante.
Au centre de l'histoire, Martin Henry, un verbicruciste de profession arrivé en avance ce jour-là à son rendez-vous médical. Pensait-il ainsi se débarrasser plus vite de la corvée ? Ou avait-il un mauvais pressentiment ? Quoiqu'il en soit, Martin Henry en ressort avec un diagnostic sans appel : un cancer en phase terminale et trois mois à vivre, au mieux !
On s'est tous posé la question de savoir ce qu'on ferait s'il nous restait 2 ou 3 mois avant la fin du monde ou la fin de soi-même...
Pascal RabatéAuteur de La Loi des Probabilités
Devant une telle annonce, beaucoup finiraient par se liquéfier, sombrer corps et âme, lui décide de réaliser un rêve de jeunesse : aller voir les baleines au Canada. Et d'embarquer sa femme dans une aventure pleine de rencontres improbables, de quiproquos, de situations cocasses et de fantaisies visuelles. Une histoire peu banale qui commence par une mauvaise nouvelle.
"On s'est tous posé la question de savoir ce qu'on ferait s'il nous restait 2 ou 3 mois avant la fin du monde ou la fin de soi-même...", nous confie Pascal Rabaté. "Là, c'était une façon de raconter un peu Québec et surtout de raconter cette façon d'avancer".
Le déclic ? Une résidence à Québec justement, en 2015. "J'ai adoré la ville, vu les baleines, noté plein d'idées. J'avais une amorce de scénario, il fallait que je trouve un lien, ce sera cette histoire d'épée de Damoclès".
Auteur de plus d'une quarantaine d'albums, tantôt scénariste, tantôt dessinateur, parfois les deux, Pascal Rabaté laisse ici les pinceaux à son ami François Ravard avec qui il a déjà travaillé et dont il apprécie le trait et la personnalité.
"François a un dessin aérien, quelque chose d'assez bonhomme, frais, il y a un peu de Sempé derrière, et sur un bouquin qui démarre comme celui-ci par une annonce de mort imminente, je trouvais que ça désamorçait un peu. Son dessin induit forcément la comédie et ce livre EST une comédie".
Et François est un ami. Pour Pascal, c'est important !
"Je travaille quasi uniquement avec des amis, il faut que je rencontre les gens, et si le courant ne passe pas, je ne fais pas de mariage de raison. Je l'ai fait une fois ou deux et ça a donné un divorce assez rapide après l'accouchement de l'objet. Il faut que j'aie quelqu'un en face de moi que j'aie envie de surprendre et que lui-même veuille me surprendre. Ça a été ça avec Zamparutti, Bibeur Lu, Kokor... Et François. Entre lui et moi, il y a une communauté de regard, une empathie, même si François est plus bienveillant que moi".
Pascal Rabaté aime raconter son époque de façon métaphorique ? Ibicus, La Déconfiture, Sous les galets la plage... tous ses projets naissent de ses angoisses, de ses questionnements, comme il pouvait nous le confier au moment de la sortie de son précédent album. La Loi des probabilités est peut-être un peu différent.
Un album à la Buster Keaton
"Cet album est un peu dans la veine de Didier, la 5e roue du tracteur qui parlait des paysans en essayant d'enlever un peu de la noirceur, de la lourdeur de leurs conditions de vie... Celui-ci est un peu plus intime, il parle de la mort, mais de façon burlesque. Quand j'ai parlé à François du projet, je lui ai dit que je voulais un album à la Buster Keaton".
Un esprit qu'on retrouve dans les 80 pages du livre avec plusieurs scènes d'anthologie, des références à Keaton, à Tati et même à Hergé à travers ce singulier personnage, Séraphin Lanterne, aussi drôle et insupportable que le Séraphin Lampion des aventures de Tintin.
Et comme souvent, comme une obsession, le dyslexique Pascal Rabaté évoque une fois encore les jeux de lettres avec ici un personnage central, Martin Henry, qui conçoit des grilles de mots croisés, un verbicruciste.
"Mon père était cruciverbiste, je suis fasciné par ça même si je ne trouve jamais rien. J'en mets partout, dès que je le peux. On en trouve dans mes BD comme Le Linge sale, on en trouve aussi dans mes films, Les Petits ruisseaux ou Ni à vendre ni à louer. Et dans Bien des choses, réalisé avec François Morel, j'ai même glissé une grille de mots croisés pour dyslexiques".
De la BD au cinéma
Avec plus d'une quarantaine d'albums et quatre longs métrages, Pascal Rabaté a un pied et demi dans la BD et un demi-pied dans le cinéma comme il s'amuse à dire. Le scénario de ce nouvel opus aurait très bien pu atterrir sur l'écran d'une salle obscure, il est finalement couché sur du papier. Mais tout reste ouvert...
"La différence est assez ténue entre un scénario de bande dessinée et un scénario de long métrage, c'est le traitement qui change. J'ai écrit cette histoire et je me suis dit faisons-la en bande dessinée. Maintenant que ça existe en bande dessinée, s'il y a une proposition de cinéma, pourquoi pas, mais ce n'est pas forcément nécessaire".
Quand je commence un bouquin, je me dis que je ne peux pas mourir avant de l'avoir fini. Donc plus ça va, plus je fais des bouquins épais..."
Pascal Rabaté
Et s'il n'avait plus que trois mois à dessiner avant de...
"Je suis un pessimiste gai, je continuerai bêtement en espérant finir un chapitre et qu'on me redonnera trois mois pour en faire un autre et avancer ainsi mon projet au maximum. Quand je commence un bouquin, je me dis que je ne peux pas mourir avant de l'avoir fini. Donc plus ça va, plus je fais des bouquins épais..."
La Loi des probabilités, de Rabaté et Ravard. Futuropolis. 18€