La projection du documentaire les Incorrectes, d'Anne-Cécile Genre, à Saint-Sébastien-sur-Loire, près de Nantes, est l'occasion de revenir sur la vie d'Alice Milliat, pionnière des JO féminins. Face à ce récit, de jeunes sportives réagissent et dénoncent des inégalités encore présentes.
Dans la salle de cinéma, l'Embarcadère à Saint-Sébastien, les lumières s'éteignent. À l'image, apparaît une femme. Il s'agit d'Alice Milliat, une Nantaise tombée dans l'oubli malgré un parcours hors normes. Cette femme, qui a vécu aux débuts des années 1900, a pourtant marqué l'histoire du sport féminin.
Le documentaire qui vient de commencer s'appelle Les incorrectes. Il est réalisé par Anne-Cécile Genre, il retrace la vie d'Alice Milliat et les débuts du sport féminin.
Une femme avant-gardiste
Dans la France des années 1910, Alice Milliat se retrouve veuve et sans enfant, libre de faire ce qui lui plaît. Et ce qui passionne cette jeune femme alors âgée de 24 ans, c'est le sport.
Elle fonde la première Fédération sportive féminine de France et organise rapidement des compétitions. La Nantaise veut rendre des sports "masculin" accessibles aux femmes sans contredire pour autant les mœurs de l'époque.
Pour elle, le sport féminin est compatible avec la maternité, elle souhaite simplement que les femmes puissent faire n'importe quelles activités librement. Ces positions sont avant-gardistes, puisqu'à l'époque, la société est encore loin d'accepter les femmes sur les terrains de sport.
Une olympiade femelle est impensable : elle est impraticable, inesthétique et incorrecte
Pierre de CoubertinFondateur des Jeux Olympique, 1914
À l'époque, les femmes n'ont pas accès aux disciplines phare des Jeux olympiques. Face à ce mur, Alice Milliat décide de créer les premiers Jeux olympiques féminins de l'Histoire. Il y aura quatre éditions de 1922 à 1934.
La montée des nationalismes, dans les années 1930, empêchera l'œuvre d'Alice Milliat de se perpétuer. Elle mourra sans voir les femmes obtenir la parité aux Jeux olympiques.
Une figure tombée dans l'oubli
"Qui dans la salle connaissait Alice Milliat avant aujourd'hui ? " demande Mejdaline Mhiri, journaliste sportive, après la projection. Silence. Aucune main ne se lève. Pourtant, tout le monde dans la salle est d'accord pour dire que le combat d'Alice Milliat était audacieux et nécessaire.
"Ça m'a émue. Ça m'a fait me rendre compte que les droits qu'on a aujourd'hui n'ont pas toujours existé. Des gens se sont battus pour les avoir" souligne Margaux Bueno, joueuse de football au FC Nantes.
Je me rends compte de la chance que j'ai
Margaux BuenoJoueuse de football au FC Nantes
Agathe Kocher est une jeune arbitre de 22 ans, elle aussi est émue en sortant de la projection. "Ça m'a beaucoup émue et touchée de voir qu'il n'y a pas si longtemps que ça, il y avait encore beaucoup de décalage" souligne-t-elle. Elle ajoute, "ce qui m'a marqué, c'est la présence de la boxe féminine aux Jeux olympiques depuis seulement 2012, alors que chez les garçons ça date de 1900".
Des inégalités qui persistent
"Il y a encore plein de sujets à évoquer et à aller co-construire tous ensemble" soutien Agathe Kocher. "C'est récent l'engouement, il y a une forte évolution, mais on se bat encore" explique Margaux Bueno avant de préciser que le sport féminin a encore des combats à mener notamment "par rapport aux droits, par rapport aux structures, par rapport aux regards et à la médiatisation".
Agathe Kocher est contente de voir que dans le quartier de Doulon, un terrain de foot synthétique réservé uniquement aux filles a été construit.
Ça me rappelle quand j'étais petite, on annulait mes entraînements parce qu'on donnait plutôt la place aux garçons
Agathe KocherArbitre de haut niveau, licenciée au Saint-Sébastien Football Club
"Je mesure la chance que j'ai aujourd'hui de voir mon nom dans les journaux", ce sont les mots de Sarah Ourahmoune, boxeuse française championne du monde. Ce témoignage issu du documentaire Les Incorrectes fait directement écho aux propos des jeunes joueuses de la région.
"Les athlètes féminines ne sont pas traitées comme leurs homologues masculins" explique Mejdaline Mhiri. "Elles gagnent moins, sont moins bien considérées, avec un staff médical souvent moins important. Elles ont moins les moyens de performer, moins de sponsors et moins de médiatisations" souligne la journaliste.
Aujourd'hui, la médiatisation des sportives à la télévision représente 4,8 % des heures de diffusion. C'est l'équivalent de 2 000 heures de télévisions contre 36 000 pour les sports masculins.
Encore aujourd'hui, on parle de notre corps
Laura ValetteAthlète sur 100m haies et championne olympique jeunesse
Laura Valette, jeune athlète originaire de Saint-Herblain ( spécialiste des courses de sprint sur haies), et toujours en lice pour les J.O de Paris 2024, dénonce également le jugement permanent du corps des sportives. "On le voit, si une fille rentre dans les critères de beauté demandés, il y a plus de sponsors pour la blonde, moins musclée, élancée qui court en culotte" remarque-t-elle.
Avec certains sponsors, on est forcément en culotte et en body
Laura ValetteAthlète sur 100m haies et championne olympique jeunesse
Agathe est arbitre en deuxième division, comme beaucoup d'arbitres féminines, elle est obligée d'avoir un travail à côté de sa pratique. "En ligue 2 masculine, tous les arbitres ont un contrat" rappelle la jeune femme.
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Moins de rémunérations, moins de sponsors et moins d'infrastructures. Il reste encore du chemin à parcourir. Mais aujourd'hui, les joueuses qui sortent de la salle de cinéma sont fières. Le combat d'Alice Milliat, leur a permis d'être là où elles en sont aujourd'hui.
En 2024, 100 ans après son combat, il y aura autant d'athlètes féminines que d'athlètes masculins aux Jeux olympiques de Paris.
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