"Le dialogue m'a paru essentiel" : cinq ans après, l'ancienne préfète Nicole Klein raconte l'évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes

Avec le retrait du projet de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, l'évacuation de la ZAD a débuté il y a cinq ans, le 9 avril 2018. Préfète au moment des faits, Nicole Klein revient sur l'opération dont elle avait la charge.

Préfète de la région Pays de la Loire de mars 2017 à octobre 2018, Nicole Klein a été en charge de l'évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, le 9 avril 2018. À l'occasion des cinq ans de cet événement, celle qui est aujourd'hui préfète honoraire et juge à la cour nationale des droits d'asile a accepté de revenir sur la gestion de ces expulsions.

  • Comment s'est décidée l'évacuation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ?

Nicole Klein : Je connaissais le cas de Notre-Dame-des-Landes, j'avais été secrétaire générale à Nantes en 2000. Je savais que des agriculteurs habitaient là, que ce n'était pas une zone complètement vide.

J'ai ensuite été nommée préfète des Pays de la Loire en mars 2017, et on m'a dit que ce "dossier" allait être très compliqué - je vous rappelle que l'idée de cet aéroport a germé en 1964. Avant son élection, Emmanuel Macron avait annoncé qu'il ferait l'aéroport puis, une fois élu, décide de faire une médiation. Celle-ci a duré six mois - une pause bienvenue, où on a beaucoup discuté - et une conclusion en a découlé : on n'avait pas assez considéré l'alternative de la rénovation de l'aéroport déjà existant.

S'en sont suivies des réunions à Paris pour discuter de ce qui allait se passer, à la fois si un nouvel aéroport se construisait et si l'ancien était rénové. Les deux cas posaient des questions d'ordre public.

En 2018, le Premier ministre de l'époque Édouard Philippe a annoncé que le nouvel aéroport ne serait pas réalisé et que la déclaration d'utilité publique, dont la validité de dix ans arrivait à terme, était abrogée. Il a été décidé que seuls pourraient rester les agriculteurs ayant régularisé leur situation; les autres devront alors être expulsés. Cette phase d'expulsion ne pouvait commencer qu'après la fin de la phase hivernale, le 1er avril. Elle a pu débuter le 9 avril 2018.

  • En quoi a consisté votre rôle de préfète ce 9 avril 2018 ?

Les gendarmes sont sous l'autorité du préfet, comme la police d'ailleurs. Le préfet est au cœur du dispositif, il en a la responsabilité. Moi, le 9 avril, je suis allée à Notre-Dame-les-Landes, avec les gendarmes, assez tôt le matin. Le général Lizurey, directeur général de la gendarmerie nationale, avec qui j'ai eu la chance de travailler, était sur place aussi.

L'idée était d'engager une première phase d'expulsions. Celles-ci sont menées dans le cadre d'un état de droit : Un huissier apporte un arrêté d'expulsion, on vide et on démolit ce qui n'était pas du bâti. On a dû détruire une trentaine de squats au bord de la RD281 lors de cette première phase. J'avais convaincu mes interlocuteurs parisiens de ne détruire aucune maison, aucun bâti. J'ai un certain nombre de principes : je fais une différence entre s'installer dans du bâti - une vieille ferme par exemple - et construire des squats.

C'était une opération de masse, avec 2 500 gendarmes, mais aussi une opération "dans la dentelle". On n'a pas fait n'importe quoi : on a évacué les squats les plus précaires, les plus proches de la route et souvent habités par les gens les plus extrêmes. Je connaissais bien le secteur : j'y avais été en 2000 avant la ZAD, j'ai visité celle-ci à mon arrivée à la région en mars 2017. Je me suis fait expliquer son fonctionnement notamment par Françoise Verchère, ex-maire de Bouguenais, j'avais des contacts avec Julien Durand, Sylvain Fresneau.

On avait donc une première phase d'expulsions assez radicale, où on avait l'objectif clair de dégager la route. La seconde phase relevait davantage du "travail de dentèle", où on a démantelé un certain nombre de squats qui posaient le plus de problème.

  • Avec le recul d'aujourd'hui, considérez-vous que certaines choses auraient pu être améliorées dans cette évacuation ?

Avec le recul, je considère que les objectifs ont été atteints, comme diraient les militaires. L'objectif, c'était d'expulser ceux qui n'étaient pas en situation régularisée ou régularisable, mais aussi de rendre ces terres à l'agriculture. L'idée du général Lizurey, c'était de déployer beaucoup de gendarmes car l'opération César (2012) n'avait pas marché pour cette raison.

L'objectif, c'était aussi aucun mort ou blessé, ni du côté des zadistes ni celui des gendarmes. Il n'y a pas eu de décès et, après les expulsions, un étudiant a malheureusement perdu la main après avoir voulu renvoyer une grenade. L'objectif d'épargner la vie humain a néanmoins été atteint.

Quelque chose m'a paru essentiel, c'est le dialogue. J'étais le premier préfet à recevoir ces zadistes à la préfecture. Déposer un projet, c'était la solution de sortir de cette situation qui s'était complètement enkystée. Les inviter à la préfecture, ça a beaucoup aidé. (...) On s'est mis autour d'une table, on a discuté. Je ne dis pas qu'on s'est mis d'accord, mais je crois en la discussion. Les expulsions génèrent de la violence des deux côtés : il y a la violence, légitime, de celle de l'État, et on ne peut présenter les zadistes comme des gens tous très gentils.

  • Dans ce contexte actuel de contestations (Sainte-Soline par exemple), les mots "ZAD", "zadistes" ou même "zadisation" semblent omniprésents dans le vocabulaire politique. Que pensez-vous de ce regain d'utilisation ?

Le mot ZAD est employé à toutes les sauces : vous avez les parlementaires qui parlent même aujourd'hui de "zadisation" de l'Assemblée nationale. C'est devenu un mot générique maintenant, mais il faut donner aux mots leur sens. À Saint-Soline, il n'y a pas de ZAD. Mais il y a une telle crainte qu'elle devienne une ZAD que ça devient épidermique.

Notre-Dame-des-Landes, ça a duré longtemps. Et on a laissé la situation se détériorer, avec des gens qui s'installent, et un projet d'aéroport très grand (1600 hectares, dont seul 290 étaient occupés par la ZAD).

C'est aussi la seule ZAD qui a obtenu gain de cause puisqu'on n'a pas construit le nouvel aéroport. 150 personnes sont restées sur place, parce qu'elles avaient des projets agricoles. Dans ce combat-là, il y a toujours quelque chose de légitime. Je ne dis pas que les zadistes ont raison; je dis qu'il ne faut pas perdre de vue l'intérêt du projet dont on discute. C'est peut-être ce qui lie Notre-Dame-des-Landes et Sainte-Soline. Ce ne sont pas des sujets d'ordre public, mais avant tout des questions d'aménagement du territoire.

Si je voulais oublier Notre-Dame-des-Landes, j'aurais bien du mal parce qu'il n'y a pas un jour où j'entends le mot ZAD employé à tort et à travers. Le mot est devenu emblématique, mais les gens ignorent ce qui en est finalement une.

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