Journaliste à France 24, réalisatrice de webdocumentaires et scénariste de bandes dessinées, la Nantaise Stéphanie Trouillard continue d'explorer notre histoire et plus particulièrement la seconde guerre mondiale avec le récit d'une vie brisée, entre Port-Louis et Auschwitz, un aller simple pour l'enfer, avec Renan Coquin au dessin.
Trois clichés en noir et blanc avec le même visage, de face et de profil. Et à chaque fois le même sourire qui interroge, nous interroge. Et pour cause, les clichés ont été pris à Auschwitz en 1943. La jeune femme devant l'objectif s'appelle Marie-Louise Moru, dit Lisette, une Morbihannaise de 16 ans.
Pourquoi ce sourire ? C'est de cette interrogation que la bande dessinée Le Sourire d'Auschwitz est née, et avant elle un webdoc toujours disponible ici.
Un sourire de défi
"Je faisais des recherches sur les femmes résistantes", explique la scénariste Stéphanie Trouillard, "je voulais raconter l'histoire de l'une d'entre elles et je suis tombée sur cette photo de Lisette Moru. Je me suis demandée comment une jeune fille du Morbihan s'était retrouvée à Auschwitz, pour quelles raisons et comment on pouvait sourire sur une photo prise dans un tel endroit."
"J'ai voulu croire que c'était un sourire de défi, qu'elle s'adressait à ses bourreaux, qu'elle signifiait ainsi qu'on ne lui avait pas enlevé son humanité, que c'était un sourire de vie même si c'était l'enfer sur Terre. C'est ce que je voulais croire et finalement ça s'est révélé être le reflet de sa personnalité".
Pendant deux ans, Stéphanie Trouillard a enquêté sur le terrain, consulté les archives, recueilli les témoignages des derniers survivants et finalement retracé le parcours de Lisette ainsi que celui de son amoureux, Louis.
Arrêtés et déportés tous les deux alors qu'ils n'avaient que 16 ans, Lisette et Louis avaient défié les autorités allemandes en fleurissant une tombe d'aviateurs anglais et en établissant une liste de personnes compromises avec l'occupant. Des faits qui n'ont à première vue rien d'extraordinaire commis par des gens pour le moins ordinaires.
Des gens ordinaires
"C'est ce que j'aime faire, prendre le parcours de gens vraiment ordinaires, on ne va pas dire anonymes puisqu'ils ont un nom maintenant, raconter leur histoire, et à partir de leur petite histoire, raconter la grande histoire".
La guerre, l'occupation, la déportation, la collaboration, la Résistance… C'est ce que raconte Le Sourire d'Auschwitz à travers ces destins brisés. Mais l'album raconte aussi le présent, Stéphanie Trouillard se mettant en scène tout au long de l'album et de son enquête.
Archives et lieux de mémoire
"Le Sourire d'Auschwitz est aussi un guide pour montrer aux gens qu'ils peuvent avoir accès aux archives, qu'il y a des personnes qui sont là pour les accueillir, pour les aider. Je voulais montrer comment on procède pour faire des recherches sur la seconde guerre mondiale, et puis montrer les lieux de mémoire, que ce soit le fort de Romainville, le Mémorial de Compiègne, le camp d'Auschwitz ou celui de Sachsenhausen, ce sont des lieux dans lesquels on peut aussi se rendre aujourd'hui".
La BD comme outil pédagogique
Transmettre l'histoire de la seconde guerre mondiale aux plus jeunes, c'est l'objectif de ce livre.
"Avec la bande dessinée, l'idée est de raconter cette histoire d'une manière différente, de s'adresser à un autre public qui ne va pas forcément lire les webdocs, les plus jeunes bien sûr et notamment les scolaires, parce qu'il y a beaucoup de professeurs qui utilisent ce medium pour l'enseignement de l'histoire. C'est un outil pédagogique !"
Avec un nouveau dessinateur, Renan Coquin…
"Oui, je voulais quelqu'un qui soit Breton, qui habite en tout cas en Bretagne, pour qu'il puisse aller sur place, s'approprier les lieux et poser son regard sur ces paysages, sur cette ville, Port-Louis, qui est un personnage en tant que tel dans cette enquête".
"Je voulais aussi un dessin un peu plus réaliste que pour l'album précédent car il y avait cette fois l'idée de dessiner Auschwitz. L'album "Si je reviens un jour…" s'arrêtait à la déportation, le camp en tant que tel n'était pas représenté".
Des rencontres émouvantes
"J'ai rencontré la cousine de Louis, c'est l'une des dernières de la famille qui a vécu cette époque. Elle l'a connue, et comme je le raconte dans la BD, elle m'a donné les photos de Louis, en me disant « vous êtes la dernière à vous intéresser à lui ». C'était très émouvant, j'étais en quelque sorte dépositaire de sa mémoire. Elle se souvenait bien de lui. Et elle me racontait que les parents de Louis ont attendu leur fils unique pendant des années. Ils ne savaient pas ce qu'il était devenu, s'il était mort ou enfermé dans un camp en Russie. Ils sont morts de chagrin".
Le sourire d'Auschwitz (éditions Des Ronds dans l'O) est disponible dans toutes les bonnes librairies et en version webdoc sur le site de France 24.
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