À l'heure où la question de la transition énergétique peine à faire l'unanimité lors des débats de la COP 29, à Bakou, des initiatives locales fleurissent en Pays de la Loire pour tendre vers la production d'énergie renouvelable accessible à tous.
La bâtisse surplombe la Sèvre nantaise. Impossible de la louper. Aussi grand que massif, on se sent tout petit à côté du moulin d'Angreviers. On l'est d'autant plus en entrant à l'intérieur. Ce lieu a traversé plusieurs époques, et tout le souligne.
D'un côté, une vieille roue en bois rappelle qu'il s'agit d'une ancienne filature de coton. De l'autre, une grande salle raconte l'histoire d'orphelins venus vivre ici pendant la Seconde Guerre mondiale.
Près de 150 moulins de la sorte bordent les berges de la Sèvre. Leur activité a cessé depuis un bon moment, et beaucoup sont désormais à l'abandon. Mais, celui d'Angreviers, dans la commune de Gorges, à moins de 20 km de Nantes, a repris du service depuis deux ans.
En novembre 2022, les sous-sols et le rez-de-chaussée sont vendus à l'association Énergie de Nantes. Celle-ci a un projet à mener : créer une communauté de moulinistes pour produire de l'énergie hydraulique, une forme d'énergie renouvelable.
Tous les éléments nécessaires pour y arriver sont réunis : une chute d'eau rapide à côté du bâtiment, une turbine et un alternateur. Deux ans plus tard, le pari semble réussi. Énergie de Nantes a décroché un agrément du ministre chargé de l'Énergie lui permettant de devenir le premier producteur d'énergie associatif en France.
En avril 2024, les bénévoles ont ainsi commencé à alimenter leur propre logement à partir de l'énergie qu'ils produisent. Et, depuis septembre dernier, ils commencent à communiquer auprès du grand public. "On fournit 165 personnes, mais ce n'est que le début", précise Thibaut, membre actif de l'association.
D'après lui, Énergie de Nantes aurait les capacités d'approvisionner au moins un millier de foyers en énergie. À noter, qu'en plus du moulin, l'association travaille avec Zéphir, producteur local d'énergie éolienne.
Réappropriation populaire de l'énergie
Thibaut se définit comme un "militant à plein temps". L'an passé, le jeune d'homme de 28 ans, a quitté son travail d'ingénieur. Lui, qui avait notamment travaillé pour le gestionnaire du réseau de haute tension, RTE, souhaitait aller vers "quelque chose qui a plus de sens."
"C'est ce que je suis venu chercher chez Énergie de Nantes; c'est-à-dire participer à une réappropriation populaire de l'énergie et casser l'hégémonie de la production actuelle", détaille-t-il. Pour lui, produire sa propre énergie permet d'être autonome à l'aune d'une époque où la question énergétique est un défi, entre hausse des consommations en électricité et transition énergétique.
"On ne dépend d'aucune grande entreprise, quoi qu'il arrive, on pourra toujours produire notre énergie", souligne Thibaut. Comme tous les autres bénévoles de l'association, il s'est formé sur "le tas" pour entretenir et faire fonctionner le moulin d'Angreviers.
Concrètement, les membres de l'association viennent deux à trois fois par semaine pour s'assurer du bon fonctionnement des équipements. "Notre plus gros travail est de nettoyer le filtre", pointe Thibault.
Long râteau dans les mains, il montre comment cela évite que des feuilles mortes, et autres déchets, ne se glissent dans les canaux du moulin. "Cela permet d'ensuite travailler sur une eau propre", commente le mouliniste. Quelques morceaux de plastiques sont ainsi, également, sortis de l'eau.
Lutte contre la précarité énergétique
Au-delà de l'autonomie et de l'aspect environnemental de l'initiative, Thibault assure que l'association veut tendre vers une énergie accessible à tous, pour lutter contre la précarité énergétique. "Tout est lié de toute façon. Ce sont les personnes les plus précaires qui consomment le plus d'énergie pour se chauffer, puisque ce sont elles qui vivent dans des passoires thermiques", juge-t-il.
En 2024, 12 millions de Français ont ainsi souffert du froid dans leur logement, d'après la Fondation Abbé Pierre. Pour le jeune homme, avant toute production d'énergie renouvelable, il est donc nécessaire de procéder à une rénovation thermique de l'ensemble des bâtiments."Ensuite, du côté d'Énergie de Nantes, on a fixé des prix d'abonnement plus bas que la moyenne", assure-t-il.
On note ainsi une légère différence avec EDF, premier producteur et fournisseur d'électricité, en France, de l'ordre de près de 15 euros par mois.
"Puis, nos tarifs sont débattus en assemblée avec les consommateurs qui, en souscrivant à Énergie de Nantes, deviennent adhérents", souligne Thibault. Par ailleurs, l'association travaille en partenariat avec la Maison du Peuple, centre social autogéré de Nantes.
"Ils nous fournissent des batteries à retaper pour qu'on puisse ensuite s'en servir pour aider les personnes en ayant besoin. On s'en sert aussi pour l'électricité dans les squats", détaille Alice, membre du collectif venant régulièrement aider Énergie de Nantes pour l'entretien du moulin. "L'idée, en travaillant ensemble, c'est de créer de la solidarité autour de l'énergie."
Implication citoyenne
Avant de se lancer et de devenir fournisseur d'énergie, l'association nantaise s'est inspirée de projets déjà opérationnels comme Barcelona Energia, un distributeur public métropolitain d’électricité qui se fonde sur la participation citoyenne ; et Enargia, une coopérative basque qui produit et fournit aussi de l'énergie renouvelable à l'échelle locale.
Et d'autres initiatives d'énergie citoyenne de la sorte existent en Pays de la Loire. D'après Jean-François Blot, chargé de mission à l'Ademe (Nantes), notre région serait celle qui en abrite le plus. La plupart sont d'ailleurs répertoriés par Récit, le réseau d'énergies renouvelables, locales et citoyennes sur le territoire.
L'implication citoyenne à l'échelle locale conduit les personnes à être moins réticentes face au renouvelable.
Pierre Wokurichercheur en science politique au Laboratoire Arènes
"Ces initiatives sont des leviers d'informations sur l'intérêt du renouvelable", note Jean-François Blot. En effet, selon l'Ademe, avoir recours aux énergies renouvelables permettrait à la France d'atteindre ses objectifs en termes de neutralité carbone. À savoir, notamment, rendre compte d'une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre de l'ordre de 40 % entre 1990 et 2030.
"L'implication citoyenne à l'échelle locale conduit aussi les personnes à mieux comprendre le fonctionnement de ces énergies et à être moins réticentes face au renouvelable", souligne, quant à lui, Pierre Wokuri, chercheur en sciences politiques au Laboratoire Arènes (Rennes). Il assure que cela permet ainsi d'éviter le phénomène "Nimby".
Il s'agit d'une expression venant de l'anglais "Not In My Backyard", signifiant "pas dans mon arrière-cour". Il désigne l’attitude d’une personne ou d’un groupe de personnes qui refusent l’implantation dans leur environnement proche d’une infrastructure liée aux énergies renouvelables, comme les éoliennes par exemple.
L'énergie citoyenne, c'est faire évoluer nos modes de vies en fonction des ressources que l'on a.
Jean-François Blotchargé de mission à l'Ademe Pays de la Loire
"Faire participer les citoyens aux processus, que ce soit la production, la distribution ou bien les deux, baisse le niveau d'opposition", assure le chercheur qui a, par ailleurs, publié un ouvrage sur ce même propos : "Une énergie verte et démocratique ?"
Alors la transition énergétique se joue-t-elle à l'échelle locale ? "En partie", répondent Pierre Wokuri et Jean-François Blot. Le premier estime ainsi qu'il faut trouver un équilibre avec le national :"en imaginant une organisation nationale et une mise en œuvre locale, par exemple."
Le second considère que cela est possible si l'on accepte de changer nos habitudes "L'énergie citoyenne, c'est faire évoluer nos modes de vies en fonction des ressources que l'on a."
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