De Spirou à Supergroom : quand les Nantais Fabien Vehlmann et Yoann carburent au super !

Le temps d'une petite dizaine d'années et de cinq albums, Fabien Vehlmann et Yoann ont animé la série Spirou et Fantasio. Ils reviennent aujourd'hui avec Supergroom, les aventures d'un super-héros qui se rêve ordinaire. Rencontre...

Si vous vous demandez comment naît un héros de papier, la réponse est ici assez simple. Supergroom est apparu pour la première fois dans une histoire courte publiée dans le journal Spirou. Coup de foudre des lecteurs et des éditeurs, Supergroom ne pouvait pas disparaître comme ça, d'un coup de cape.

"C'est vrai qu'il est né un peu par hasard...", explique Yoann, "Le journal Spirou publie régulièrement des magazines à thème, que ce soit pour Halloween, Noël ou les grandes vacances. Une année, il a été question de faire un numéro spécial autour des super-héros. Et comme nous sommes les auteurs officiels de la série mère, on nous a demandé de faire une histoire courte de Spirou autour de cette thématique. Et là, on a ressorti une vieille idée un peu débile que j'avais présentée à Fabien, un Spirou masqué qui s'appelait déjà Supergroom".

De l'histoire courte à l'histoire longue, il n'y avait qu'un pas, quelques cases et tout de même pas mal de travail pour les auteurs. "Julien Papelier, nouveau directeur général de Dupuis, s'est trouvé emballé par la thématique et le look de Supergroom, et surtout, venant d'arriver à son poste, il souhaitait redynamiser les choses après avoir fait le constat que le lectorat de Spirou avait tendance à vieillir. Il fallait trouver des solutions pour le rajeunir. Julien a tout de suite pensé que Supergroom pouvait être le moyen efficace pour cela..."

"On partageait la même analyse de fond...", poursuit Fabien, "à savoir le vieillissement du lectorat de Spirou. Quand on a repris la série principale, c'était déjà avec l'idée de rajeunir le public mais dans les faits, on n'a pas complètement réussi à trouver la martingale. Dans les festivals, les enfants qu'on voyait aux dédicaces avaient été initiés à Spirou par leurs parents, ils ne venaient pas spontanément vers ce personnage. Avec Supergroom, c'est différent, les enfants achètent l'album sans avoir lu et parfois sans même connaître Spirou. C'est pour ça qu'on présente le personnage de Spirou au début du premier volet de Supergroom".

Mais qui est donc ce fameux Supergroom masqué ?

"C'est un super-héros malgré lui, un super-héros qui n'a pas envie d'être un super-héros...", explique Fabien, "un super-héros qui se veut écolo et se trouve pourtant entraîné dans des aventures à haut bilan carbone".

Spirou n'était-il pas déjà un super héros quelques part ? 

"Oui, tout à fait, Supergroom et Spirou partagent les mêmes valeurs, ils sont tous les deux combatifs, généreux, ils n'ont pas peur du coup de poing. La grosse différence qui fait le comics et le super-héros, c'est vraiment la forme, le fait de voler, les super-pouvoirs..."

"Quoiqu'il en soit, il n'a rien du super-héros américain...", précise Yoann, "il n'a pas de slip moulant, il n'est pas bodybuildé, il a un look super rétro qui reprend les codes de ce qu'étaient les héros de la seconde guerre mondiale, avec des blousons d'aviateur, des lunettes goggles, et ce côté un peu désuet, à l'européenne. Le costume est constitué d'un blouson de cuir qui a existé dans les années 30 à 50, c'est le premier blouson de moto créé aux États-Unis, inspiré des blousons de la cavalerie". 

Yoann est un gros collectionneur de blousons en cuir et un fin connaisseur! Mais c'est une autre histoire, revenons aux super-héros...
"Pour moi...", explique Fabien, "il y a quelque chose d'éminemment  contestable dans le mythe du super-héros, l'idée du surhomme, le fascisme, tout ça... mais ça vient satisfaire des attentes très profondes chez les enfants. Cette idée de surpuissance est un fantasme assez partagé, c'est rassurant de se dire qu'on a le contrôle de sa vie. Mais si on ne met pas quelques garde-fous moraux ou éthiques, ça peut se transformer en une espèce de mégalomanie, de fantasme de toute puissance qui est assez représentatif de ce qu'est actuellement l'humanité envers la planète. Cette idée d'une énergie qui serait renouvelable à l'infini, ne marche plus. Et si on ne la critique pas à travers ce super-héros, alors on passe à côté du sujet".

"Comme le dit Yoann, on n'a pas voulu en faire un super-héros américain. Supergroom n'est pas non plus une parodie à la Superdupont. On conserve l'esprit de la BD franco-belge qui ne se prend pas au sérieux en proposant de l'aventure avec une grande part d'humour y compris dans le dessin, un ton singulier qui nous permet d'aborder des questions de fond, ce qui est la marque de fabrique de notre travail".
Des questions de fond et un scénario un peu fou, une mise en abyme autour de Spirou qui d'un côté invente le personnage de Supergroom pour relancer les ventes de son journal et de l'autre renonce à courir le monde, souhaite prendre sa retraite, s’occuper de son potager, tout ça parce qu’il ne supporte plus de prendre l’avion et d’exploser son bilan carbone. Il rêve d’être un héros ordinaire, un "super-héros anti-héros", dixit Yoann.

"À la base, dans le scénario, la création de Supergroom par Spirou est un coup de pub pour le journal, et un coup de sang en réaction aux super-héros américains. Spirou se déguise en super-héros avec l'idée de faire deux ou trois actions d'éclat avant de révéler sa véritable identité. Mais ça ne marche pas. il déclenche une Supergroommania et dès lors, le personnage lui échappe".

Spirou cultivant ses légumes ? Plus qu'un brun-out, comme on aurait pu l'imaginer dans un premier temps, Spirou affiche une prise de conscience écologique.

On s'est dit que c'était plus amusant de montrer les contradictions d'un personnage qui lutte comme il peut pour être le plus banal possible tout en vivant la grande aventure

"Il veut être cohérent avec ses idéaux...", explique Fabien,"et là, on est vraiment dans des thématiques qui me tiennent à coeur. Depuis des années, on envoie Spirou un peu partout sur la planète sans jamais aborder le fait que prendre l'avion peut poser un problème. J'avais envie d'aborder ce point mais en faisant de Spirou un héros écolo, on risque de se retrouver avec des aventures qui ne répondent plus à la promesse de Spirou. Spirou, c'est du grand spectacle. On a pensé que c'était plus amusant de montrer les contradictions d'un personnage qui lutte comme il peut pour être le plus banal possible tout en vivant la grande aventure. On ne peut pas proposer un héros ou un récit décroissant, personne n'est prêt à ça. Il n'est pas végane non plus, il pourrait tendre vers ça mais il faudrait l'amener avec humour, surtout ne pas mettre le lecteur dans un inconfort constant".
Terminé l'optimisme à 360° ? Dans cette nouvelle série, Spirou doute, se pose mille questions sur sa vie, sur la vie, sur la société. "Ce n'est plus possible...", explique Fabien, "d'être dans l'idéal absolu, dans l'utopie. C'est peut-être pour ça qu'il y a un désarroi politique aujourd'hui, on ne sait plus trop vers où se tourner. Peut-être que finalement la seule grande cause reste l'écologie, elle réunit en tout cas de nombreux gamins autour de Greta Thunberg. L'idée est de les accompagner, de les amener à y réfléchir mais de façon drôle, qu'il y ait de l'aventure, qu'on passe un bon moment et qu'on se pose les bonnes questions".

Les aventures de Supergroom ne sont pas une relecture de la série Spirou et Fantasio, mais pourraient-elles en annoncer un virage ? 

"Ça dépendra du succès de Supergroom...",
explique Fabien, "on a signé pour trois albums, c'est là que j'ai envie aujourd'hui de mettre mon énergie. Maintenant, en fonction du succès, il sera toujours temps de reprendre la série mère".

"Ou de la transmettre à d'autres et de garder Supergroom", complète Yoann.

"On s'offre une récréation...", reprend Fabien, "on ne laisse pas tomber les lecteurs pour autant, Supergroom est dans le journal. Imaginons que Supegroom marche bien, je ne serais pas choqué qu'il y ait des références et des clins d'oeil à Supergroom dans la série principale, il faut juste que ca ne vienne pas trop interférer. On a fait en sorte que ce soit compatible avec la série mère parce qu'on l'aime bien, on a bossé dessus pendant une dizaine d'années tout de même".

Un format compact, une pagination gonflée à 88 pages couleurs, une mise en page nerveuse, un trait moins rond et moins cartoon que dans la série Spirou et Fantasio... Supergroom est à l'image de la culture BD commune aux deux auteurs, un mix parfait entre la BD franco-belge, le comics et le manga. Faut-il voir là une façon de pallier la désaffection des jeunes lecteurs pour les séries classiques ?

La question aujourd'hui n'est pas de savoir ce que les gamins lisent mais si ils lisent

"Il y a quelque chose d'assez unique dans la BD franco-belge...", explique Fabien, "Les comics et les mangas ne sont pas aussi poreux aux influences étrangères. Nous pouvons être fiers de ce qu'a été la BD franco-belge, on peut s'en inspirer pour en garder le meilleur mais il faut par définition l'adapter à ce que les gamins aiment aujourd'hui. Et en ce moment, on est surtout en compétition avec les jeux vidéo et le cinéma. Ce sont d'autres modes de narration et ils changent la donne. La question aujourd'hui n'est pas de savoir ce que les gamins lisent mais si ils lisent. Personnellement, je veux croire qu'il reste une légitimité à la lecture, pour plein de raisons".

Propos recueillis par Eric Guillaud le 17 mars 2020
Supergroom. Editions Dupuis. 13,95€


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