Stéphane Pajot, Jacques Vaché, les surréalistes, Nantes... Une belle histoire, un beau roman

Il y a quelques semaines, Stéphane Pajot, journaliste au quotidien Presse Océan et écrivain, responsable d'une cinquantaine de livres, sortait "Fuck la mort", une fiction ancrée dans l'histoire bien réelle de la Grande Guerre et d'un cercle nantais de surréalistes avant l'heure : les Sârs. Rencontre et déambulation dans la ville de Nantes en sa compagnie.

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Je ne pouvais pas imaginer notre lieu de rendez-vous ailleurs. Le café Flesselles, sur l'allée du même nom, au cœur de la ville, au cœur de l'histoire, au cœur de la culture nantaise. Il y a ses habitudes, sa place favorite, au fond à droite, sur une partie légèrement surélevée. La place idéale est pour observer le va-et-vient des serveurs et des clients, des habitués et des visiteurs d'un jour.

Stéphane Pajot est à l'heure. Comme tout journaliste se doit de l'être. Mais cette fois, ce n'est pas lui qui pose les questions, il est là pour parler de son dernier livre paru aux éditions Locus Solus : Fuck la mort. Un drôle de titre, un drôle de bouquin, une drôle d'histoire qui emprunte à la fois à la fiction et à la réalité, au récit d'amitié et au récit historique.

 

Un café et c'est parti. "Pourquoi Fuck la mort ? Il y a deux raisons...", explique Stéphane Pajot. "La première, c'est le dernier post d'un chanteur guitariste rennais qui s'appelait Dominique Sonic et qui est mort en 2020. Sur son compte Facebook, il avait écrit ces trois mots, ça m'avait beaucoup marqué puisqu'il est décédé trois jours après d'un cancer. J'ai toujours eu ces trois mots en tête, il y avait quelque chose d'injuste, de révoltant. Et quand j'ai commencé à travailler sur Jacques Vaché, sur le dandy des tranchées, je me suis retrouvé dans la Première Guerre mondiale où évidemment on emmerdait aussi la mort. Fuck la mort collait avec la mort de Dominic Sonic et avec la boucherie que fut la Première Guerre mondiale !"

Le groupe des Sârs

Contrairement à ses livres précédents, Fuck la mort n'est pas un polar. Aucun meurtre au programme, pas plus de tueurs, de flics, ou de détectives mais quatre personnages qui ont réellement existé, Jacques Vaché, Eugène Hublet, Pierre Bisserié et Jean Sarment, connus pour avoir formé le groupe des Sârs, des dandys nantais qui ont inspiré le surréalisme. 

"Le groupe des Sârs était une confrérie. C'était quatre copains du lycée Clemenceau qui s'appelait à l'époque le lycée de Nantes. Ils avaient réalisé deux journaux lycéens, En route mauvaise troupe et Le canard sauvage. J'ai eu envie de les faire revivre, d'imaginer un moment où ils se retrouveraient pendant la Première Guerre mondiale pour dessiner et écrire un dernier journal. C'est une vraie fiction avec un grand côté antimilitariste parce que la guerre, ce n'est pas bien. Quelle connerie la guerre, comme disait Jacques Prévert. Et c'est aussi un hymne à l'amitié, les retrouvailles de quatre potes qui savent qu'ils risquent leur peau tous les jours dans les tranchées."

Rendez-vous sur le pont transbordeur...

De retour du front le temps d'une perm', la bande de copains se donne rendez-vous à Nantes, mais pas n'importe où, sur le pont transbordeur... 

"Jacques Vaché était quelqu'un qui allait sur le port faire les 400 coups, notamment avec André Breton qui était infirmier à l'époque. Et le transbordeur était vraiment ancré dans le paysage. C'est le cinquième personnage du livre. C'est un peu ma marotte aussi, j'aime bien les anciennes photos et les histoires autour de lui, il y a toujours eu des défis, un type qui a essayé un parachute d'en haut, trois aviateurs qui sont passés en dessous des piles, un acrobate, Willy Wolf, qui s'est jeté du pont en 1925. Le transbordeur, c'est comme une madeleine de Proust pour les vieux Nantais. Et en plus, ça permettait aux quatre copains de dominer la ville, de dominer leur histoire, de dominer la guerre."

Le transbordeur, c'est comme une madeleine de Proust pour les vieux Nantais.

Stéphane Pajot

Auteur du livre "Fuck la mort"

Le transbordeur, mais aussi l'île Feydeau, la rue Scribe, le Quai Flesselles, le quai de La Fosse, le théâtre Graslin, le marché de la Petite-Hollande, Trentemoult... la ville de Nantes a toujours été le terrain de jeu favori de Stéphane Pajot dans ses romans ou ses livres de mémoire, elle prend ici une dimension particulière dans le contexte de la Première Guerre mondiale. L'occasion pour l'auteur de ressortir sa collection de cartes postales.

Le Nantes des cartes postales anciennes

"L'histoire se passe en 1915, on est vraiment avant les comblements de la Loire, Nantes est ce qu'on appelle une cité d'eau, Feydeau est vraiment une île, Gloriette est une île, le fameux cours des 50 Otages est le lit de l'Erdre avec plein de petits ponts et dès qu'il pleut beaucoup, il y a des inondations.   Il y avait le tramway, il y avait des fiacres, il y avait des charrettes à bras, il y avait des lavandières, les fameuses lavandières qui bossaient sur des bateaux lavoirs et faisaient sécher leur linge sur les quais. Il y avait un paysage qui n'existe plus évidemment. C'était vraiment une ville différente. Comme j'ai écrit pas mal de bouquins sur Nantes, j'ai à ma disposition mes propres vieilles photographies ou vieilles cartes postales".

Des cartes postales, des photos, des livres, notamment de Jules Grandjouan, mais aussi des tableaux du peintre nantais Pierre Cenon Trigo qui peignait ses contemporains directement dans la rue entre 1900 et 1914 et dont Stéphane possède quelques productions. Toute cette documentation lui a permis de retrouver le Nantes de l'époque, avec ses lieux, mais aussi ses vagabonds, ses mendiants, des personnages pittoresques ayant réellement existé.

Gobe la Lune, le Père Zim Zim, Béhanzin et les autres

"Les sœurs Amadou, Gobe la Lune, le Père Zim Zim, Béhanzin...   Ce que j'aime dans les histoires de ces personnages pittoresques, c'est qu'ils ont eu une vraie vie et qu'ils ont été un peu, comment dire, effacés des tablettes. Il n'y a aucune rue, aucune plaque, rien. La seule chose qui existe, et c'est à la demande de Royal de Luxe (compagnie de théâtre de rue nantaise, ndlr) qui voulait que j'imagine les souvenirs de la Petite Géante, c'est la fameuse fresque près du CHU. Tous ces gens qui étaient et qui sont toujours inconnus sont peints sur cette fresque."

Des lieux emblématiques, des personnages atypiques et une guerre, lointaine, dont on entend à peine l'écho.

"Les journaux ne disent pas les milliers de morts, ne disent pas la grippe espagnole, les journaux mentent à l'époque. C'est compliqué l'arrière, je pense. On n'est pas dans la guerre, on ne la voit pas et lorsqu'arrivent nos quatre types un peu déjantés, personne ne pense qu'ils arrivent d'une boucherie innommable."

De l'horreur de la guerre à l'insouciance retrouvée un temps, les quatre jeunes amis réunis sur le transbordeur écrivent leurs dernières pensées sur des feuilles de papier qu'ils transforment en avion et jettent dans le vide...

"C'est un journal planant, un journal éphémère, un clin d'œil à ce qu'on appelait les feuilles volantes à l'époque. On dit souvent que les mots s'envolent et les écrits restent. Là, pour le coup, les écrits s'envolent aussi, mais avec l'immense espoir que le petit papier tombe dans les mains de quelqu'un."

Et demain ? Sherlock Holmes à Nantes

Le prochain livre de Stéphane Pajot ? Un Sherlock Holmes. Oui.  "Le prochain écrit est une commande d'un petit éditeur, Geste Éditions, qui m'a demandé de faire venir Sherlock Holmes à Nantes. Ça va s'appeler Sherlock Holmes et les secrets de Jules Verne parce que, pour la première fois au monde, on a trouvé un manuscrit inédit du docteur Watson qui raconte la rencontre de Sherlock Holmes avec Jules Verne dans un lieu nantais bien connu puisqu'ils vont déjeuner ensemble à La Cigale. Et Jules Verne va raconter des choses incroyables qui vont bluffer le plus grand détective du monde."

Et de rajouter avec un large sourire : "Véridique ! Je ne peux pas en dire plus..."

Sur les traces de Jacques Vaché

Il n'en dira pas plus ? Vraiment ? Pas si sûr ! À France 3, nous sommes du genre persévérants. Et d'envoyer une équipe télé dans les pas de Stéphane Pajot pour une petite déambulation à travers les villes de Nantes et Rezé. En deux épisodes, les journalistes Cyril Dudon et Jean-Marc Lallier nous en dévoilent un peu plus sur ce fameux Jacques Vaché...

Épisode 1. Etudiants à Nantes au début des années 1910, Jacques Vaché et ses amis, Eugène Hublet, Pierre Bisserié et Jean Sarment, partagent une passion commune pour la poésie et une aversion certaine pour la bourgeoisie, l'armée et la guerre qui s'annonce.

Épisode 2. On retrouve Jacques Vaché blessé et soigné à Nantes par un infirmier nommé André Breton. Ils ont tout juste 20 ans et font les 400 coups ensemble.

Fuck la mort, de Stéphane Pajot. Éditions Locus Solus. 12€

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