TEMOIGNAGE. Archéo-anthropologue, Camille fait parler les squelettes

Camille Bouffies est archéologue en contrat au pôle de recherche archéologique de Nantes Métropole. Elle participe en ce moment aux fouilles sur le site de l'ancienne chapelle de Mauves-sur-Loire où des centaines de sépultures sont étudiées. Condition sociale, régime alimentaire, état de santé, Camille trouve des réponses dans les squelettes.

Ce jeudi matin, l'équipe d'archéologues que dirige Nicolas Lacoste s'est mise à l'abri d'une grosse averse dans la petite maison près du chantier de fouilles. Une chance, la maisonnette, sur la place de l'église, appartient à la Métropole et elle rend bien service quand les conditions météo se dégradent trop. 

Tout à côté, le chantier de fouille est bâché, pas question que les trombes d'eau ne dégradent le site encore en fouille pour plusieurs mois.

C'est là, dans le centre-bourg de Mauves-sur-Loire, à l'est de Nantes, que l'on a découvert en 2021 lors de fouilles préventives, un ancien cimetière. Très ancien. 

"Les sépultures les plus anciennes datent du VIIIème siècle, précise Camille Bouffies, archéo-anthropologue au pôle de recherche archéologique de Nantes Métropole, et le cimetière est occupé jusqu'au XIXème siècle. On a donc plus de dix siècles d'occupation !"

500 sépultures

D'où la préciosité du site où les fouilles ont débuté en février 2023 pour une durée d'au moins sept mois.

Ces fouilles vont se faire strate par strate et on s'attend à trouver quelques 500 sépultures, empilées ici depuis le règne de Pépin III dit "le bref", roi des Francs.

Ce genre de chantier archéologique permettra de documenter notamment l'histoire de la métropole nantaise. 

"A Mauves-sur-Loire, explique notre jeune archéologue, la trace la plus ancienne, c'était le prieuré, tout proche (et aujourd'hui disparu) qui date du XIème siècle. On pensait que c'était les moines qui s'étaient installés et ensuite la population. Mais cette découverte (avec les tombes du VIIIème siècle) a tout inversé. C'est la population qui est venue d'abord et les moines ensuite."

Le travail des archéologues permettra aussi d'enrichir les connaissances sur les pratiques funéraires pour lesquelles on a peu d'informations sur la métropole nantaise.

"Au cours de la décomposition, les os vont bouger"

Camille nous livre un des éléments qui permettent d'analyser un tel site. Même si tout ce qui est organique, tissu, bois, a disparu.

"On observe la position des squelettes, dit-elle. Si le défunt est déposé en pleine terre, toutes les connexions anatomiques vont être maintenues. Si le défunt est en place dans un cercueil, il y aura du vide autour et au cours de la décomposition, les os vont bouger. Si on observe un tel "mouvement" des os, ça signifie qu'il y avait un espace vide, donc un cercueil ou une fosse avec une couverture."

La présence de clous métalliques donnera aussi des éléments de réponse.

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Camille Bouffies archéo-anthropologue au pôle de recherche archéologique de Nantes Métropole ©France Télévisions Olivier Quentin

En tant qu'archéo-anthropologue, Camille va aussi s'intéresser à la composition humaine de ce cimetière. La proportion d'hommes, de femmes, d'enfants, l'âge des individus. On sait, par exemple, que jusqu'au début du XXème siècle, 50 % de la population décédait avant 20 ans et la plupart de ceux-là avant 5 ans. Il y avait une forte mortalité infantile.

Si les sépultures ne confirment pas ce modèle, il faudra chercher pourquoi.

"On va avoir plusieurs centaines de sujets, on aura une idée globale de la population et pas seulement anecdotique, c'est ce qui est intéressant à Mauves-sur-Loire", souligne Camille.

Et puis, il y aura le volet sanitaire de la population.

Titulaire d'un master d'anthropologie biologique, la jeune femme va pouvoir questionner les squelettes, d'abord par un examen visuel.

"On va avoir l'état sanitaire de la population qu'on va pouvoir comparer avec d'autres sites, d'autres régions."

Camille Bouffies

Archéo-anthropologue

Un examen dentaire lui permettra de trouver des informations sur le régime alimentaire des sujets étudiés. La présence de caries révèle un régime alimentaire basé sur les céréales, riches en sucre. Alors que la présence de tartre peut indiquer une alimentation riche en viande, significative d'un niveau social plus élevé.

L'examen des ossements révélera d'éventuelles traces de fractures mais aussi de maladies comme la tuberculose ou la syphilis. 

Nourrir la connaissance archéologique globale

Le pôle de recherche archéologique de Nantes Métropole pourra aussi solliciter un laboratoire extérieur pour une analyse plus fine qui recherchera la présence d'éléments comme l'azote et le carbone. La proportion de ces deux composants apporte des réponses supplémentaires sur le régime alimentaire, céréales, viande ou poisson. Des analyses cependant coûteuses qui se font souvent en partenariat avec des programmes collectifs de recherche.

"Ce qui est intéressant, ajoute Camille Bouffies, c'est d'être en relation avec des chercheurs qui travaillent sur des problématiques plus larges et cela permet de nourrir la connaissance archéologique globale."

Car les archéologues du pôle nantais sont missionnés sur des chantiers d'archéologie préventive et n'ont pas le temps dont disposent les chercheurs.

"Le métier d'archéologue est complet, souligne Camille, avec une partie travail de terrain et une partie analyse. Il y a toujours quelque chose d'émouvant dans les découvertes."

"On fait de l'archéologie préventive, on intervient uniquement sur des sites menacés de destruction par des projets d'aménagement"

Camille Bouffies

Archéo-anthropologue

La découverte d'un éventuel "trésor" comme l'entend le grand public gavé de films d'aventuriers profanateurs comme Indiana Jones, n'est pas ce qui motive l'archéologue. 

"Ce qui m'intéresse, ce n'est pas forcément de trouver de beaux objets mais le contexte dans lequel l'objet a été trouvé. Je suis toujours contente de trouver des squelettes, déclare Camille en souriant. Plus le site est bien conservé, complet, plus c'est intéressant."

Ici, à Mauves-sur-Loire, on est loin du mythe de l'archéologue découvrant le passage resté secret dans une pyramide. Mais il y a de quoi se passionner.

voir le reportage réalisé en février 2023 sur le site de fouilles, par Cyril Dudon, Boris Vioche et Stéphane Hérel.

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Fouilles archéologiques à Mauves-sur-Loire ©Cyril Dudon, Boris Vioche et Stéphane Hérel

"Il y a plein de choses à découvrir en France, conclut Camille. Sans aller en Egypte !" Oui, mais quand même.

Pendant ses vacances, Camille creuse sous d'autres latitudes.

"En tant que bénévole, je fais de l'archéologie sur mes congés, admet la jeune femme. Par exemple en Egypte, sur des sites qui datent de 4 000 ans avant notre ère ou en Israël, sur un cimetière de Croisés du XIIIème siècle."

Des visites possibles

A l'issue des fouilles effectuées à Mauves-sur-Loire, un rapport sera rédigé qui sera transmis au service régional d'archéologie de la DRAC (direction régionale des affaires culturelles), à destination de la communauté scientifique.

Précisons enfin que le public pourra visiter ces fouilles lors de portes ouvertes en s'inscrivant sur le site du Chronographe, le musée d'archéologie de Rezé.

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